dimanche 5 décembre 2010

Le Système totalitaire et la Banalité du mal




La pensée d'Hannah Arendt est avant tout une nouvelle conception de l'action politique, développée dans Condition de l'homme moderne et La Crise de la culture. Loin des traditionnels liens établis entre théorie et pratique, selon lesquels il s'agirait de comprendre le monde pour ensuite le transformer, elle pense l'espace public comme un lieu fait de fragilité car continuellement soumis à la natalité, c'est-à-dire à l'émergence de nouveaux événements.
Elle a tout à la fois étudié les conditions historiques de disparition d'un tel espace public (en particulier dans Condition de l'homme moderne avec la question de la sécularisation et de l'oubli de la quête d'immortalité), et les événements qui indiquent de nouvelles possibilités (en particulier dans son Essai sur la révolution). Son analyse de l'espace public repose sur la distinction conceptuelle entre le domaine privé et le domaine public, chacune des principales activités de l'homme devant être bien localisée :
Le travail doit rester dans le domaine privé, sous peine que la vie de l'homme devienne une quête d'abondance sans fin. Cette critique de la société de consommation et cette invitation à l'auto-limitation du travail préfigure l'écologie politique et les notions de simplicité volontaire et de décroissance[3]. L'œuvre doit être créée en privé avant d'être exposée publiquement : c'est ainsi qu'elle crée un monde dans lequel l'action peut prendre place. Ce point, développé dans Condition de l'homme moderne, explique qu'Hannah Arendt dénonce la massification de la culture et la transformation de l'art en objets de consommation dans son célèbre essai sur La crise de la culture. Les actes et les paroles méritent d'apparaître en public pourvu que l'auteur les laisse dévoiler qui il est. Il ne faut pas concevoir la liberté comme une souveraineté : il ne faut pas chercher à maîtriser toutes les conséquences de ses actes. Hannah Arendt invite au contraire à assumer la fragilité de l'espace public, à rester sensible à la natalité, aux événements qui surgissent. D'où l'intérêt d'Hannah Arendt pour les révolutions spontanées (Essai sur la révolution) comme La Commune ou la révolution hongroise : « Dans les conditions de vie modernes, nous ne connaissons donc que deux possibilités d’une démocratie dominante : le système des partis, victorieux depuis un siècle, et le système des conseils, sans cesse vaincu depuis un siècle »[4]. Ses réflexions sur l'action ne l'ont pas empêchée de s'interroger sur le rôle de la pensée, en particulier dans La Vie de l'esprit : il ne s'agit plus d'une vita contemplativa, censée permettre d'accéder à la vérité avant de décider comment agir. La pensée a un rôle purgatoire : elle est l'occasion de se retirer du monde, de s'en rendre spectateur. C'est en restant ainsi dans le domaine privé qu'il est possible d'utiliser la volonté pour décider ce qui est bien et ce qui est mal (ce qui peut donner lieu à la méchanceté, au mal radical). Mais c'est surtout par cette purgation par la pensée, qu'il est possible face à un événement dans le domaine public de faire preuve de discernement, de juger ce qui est beau et ce qui est mal (et c'est faute d'un tel jugement que peut apparaître la banalité du mal comme dans le cas d'Eichmann). Pour Hannah Arendt, la pensée la plus haute n'est pas celle qui se réfugie dans la contemplation privée, mais celle qui, après la pensée purgatrice et la volonté légiférante, s'expose dans la domaine public en jugeant les événements, en faisant preuve de goût dans ses paroles et ses actions.



Le Système totalitaire
Arendt dégage les caractéristiques propres du totalitarisme. Pour Arendt, le totalitarisme est avant tout un mouvement, une dynamique de destruction de la réalité et des structures sociales, plus qu’un régime fixe. Un mouvement totalitaire est « international dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques ». Le régime totalitaire, selon Arendt, trouverait sa fin s’il se bornait à un territoire précis, ou adoptait une hiérarchie, comme dans un régime autoritaire classique : il recherche la domination totale, sans limites.
Banalité du mal
Hannah Arendt est une philosophe et une spécialiste de théorie politique, juive allemande, réfugiée aux États-Unis. En 1961 et 1962, elle suit en Israël le procès d'Adolf Eichmann, criminel de guerre nazi, en tant qu'envoyée spéciale du New Yorker. Elle estime qu'Eichmann, loin d'être le monstre sanguinaire qu'on a décrit, est un homme tristement banal, un petit fonctionnaire ambitieux et zélé, entièrement soumis à l'autorité, incapable de distinguer le bien du mal. Eichmann croit accomplir un devoir, il suit les consignes et cesse de penser. C'est ce phénomène qu'Arendt décrit comme la banalité du mal. Il ne s'agit pas de le disculper : pour Arendt, cette attitude est impardonnable, et Eichmann est coupable. Ce concept pose des questions essentielles sur la nature humaine : l'inhumain se loge en chacun de nous. Dans un régime totalitaire, ceux qui choisissent d'accomplir les activités les plus monstrueuses ne sont pas si différents de nous. Continuer à « penser » (c'est-à-dire s'interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) est la condition pour ne pas sombrer dans cette banalité du mal ou encore dans la « crise de la culture ». Dans un régime totalitaire, cela est rendu plus difficile par l'idéologie, la propagande et la répression.
Stanley Milgram s'est appuyé sur le concept de banalité du mal pour expliquer les résultats de son expérience de psychologie expérimentale de soumission à l'autorité (Expérience de Milgram).

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