lundi 21 novembre 2011

La vidéo qui choque les Chinois « au plus bas niveau moralement »

C'est une vidéo qui choque la Chine. Elle choque tous ceux qui s'inquiètent de voir émerger, avec la prospérité, une société sans valeurs, capable de voir une fillette par terre, écrasée par une voiture, et de passer son chemin en la contournant.

La scène s'est déroulée à Foshan, une de ces villes industrielles de la province du Guangdong, dans le sud de la Chine, où s'est développé « l'atelier du monde », attirant des travailleurs de toute la Chine, déraçinés, fraichement urbanisés.

Yue Yue, une gamine de deux ans, est heurtée par une camionnette alors qu'elle échappe au contrôle de ses parents. Le véhicule s'arrête, puis repart en l'écrasant une seconde fois avec la roue arrière.

Il n'y a aucun témoin, mais un premier passant arrive et continue son chemin sans prêter attention au corps de la fillette. Puis un deuxième, un vélo, une voiture, une camionnette qui l'écrase à son tour et s'enfuit, etc. Tout un cortège d'adultes -18 au total- filmés par la caméra de video-surveillance du quartier, et que la vision d'une gamine blessée à terre n'arrête pas.

De longues minutes plus tard, une femme, une collecteuse d'ordures portant un lourd ballot, s'arrête et lance l'alerte. Puis la mère de Yue Yue arrive, et prend la fillette dans ses bras.

Mort clinique

Vendredi, une semaine après l'accident, l'hôpital de Fosha a annoncé que Yue Yue avait succombé à ses blessures, trop graves pour être soignées. Le conducteur du premier véhicule, un homme de 24 ans, s'est pour sa part présenté à la police après trois jours de fuite : il risque trois à sept ans de prison pour « homicide involontaire ».

Selon les médias chinois cités par Aujourd'hui la Chine, Chen Xianmei, la première à s'être arrêtée pour porter secours à la fillette, a été recompensée par le gouvernement local d'une somme de 20.000 RMB (2275 euros).

Mais c'est l'indifférence des autres qui a fait débat, et qui a choqué lorsque la vidéo a été diffusée par la télévision du Guangdong et reprise massivement sur le web. Elle tent un miroir cruel à une Chine qui se voit désormais en grande puissance, dont les dirigeants prônent l'« harmonie » au sein de la société, et un comportement « civilisé » des citoyens.

Sur les réseaux sociaux, les internautes chinois se lâchent, et certains, selon une sélection établie par le site ChinaSmack, estiment que la Chine « a atteint son niveau le plus bas moralement », que ces comportements sont le fruit d'une montée d'égoisme qui veut que chacun s'occupe de ses propres affaires.

Après trois décennies de réformes économiques qui ont placé la richesse au coeur des valeurs de la nouvelle société là où l'idéologie communiste avait tenté d'imposer un égalitarisme forcené et une solidarité obligatoire, ce constat inquiète une partie des Chinois.

La morale par la loi ?

Parmi les réactions, une partie du débat a porté sur la nécessité de légiférer et de créer un crime de non-assistance en personne en danger qui n'existe pas. Dans le China daily, un quotidien très officiel, les arguments sont partagés, entre ceux qui pensent que la loi peut générer des comportements éthiques, et ceux qui pensent que ces valeurs humaines ne peuvent passer par la loi.

D'autres réactions font référence au « Nanjing judge », l'affaire d'un juge de Nankin (Nanjing) en 2006 : un homme qui a vu une victime d'accident et l'amenée à l'hôpital, a ensuite été condamné en justice. L'hôpital et la victime se sont retournés contre lui pour payer les frais, et un juge a estimé que s'il avait amené cette femme à l'hôpital, c'est qu'il se sentait coupable et qu'il était sûrement l'auteur de l'accident. CQFD.

C'est vrai que cette affaire revient souvent dans les commentaires, mais à voir l'indifférence des passants, on ne les sent pas réfléchir au « Nanjing judge » avant de passer leur chemin...

Cette affaire en rappelle une autre, elle aussi autour d'une fillette accidentée, celle-là miraculée au contraire. Elle s'appelle Yi Yi, et a survécu à l'accident du TGV chinois à Wenzhou, au sud de Shanghai. Mais surtout, elle a été découverte vivante alors que les autorités avaient décidé d'interrompre les opérations de sauvetage, estimant qu'il ne pouvait plus y avoir de survivants.

Un journal avait osé une lettre ouverte à Yi Yi, très amère, dans laquelle on trouvait ces phrases :

« Nous voulions te le dire : ces adultes que tu vois se sont demandés un nombre incalculable de fois si notre époque a oublié l'amour, l'attention portée aux autres et la confiance. Nous sommes emplis de complaintes, nous sommes en colère. »

On pourrait les écrire aujourd'hui à propos de Yue Yue. Et peut-être que les Yi Yi et Yue Yue d'aujourd'hui aideront la Chine à trouver en elle-même les valeurs humanistes qui sont si souvent absentes.

Vendredi, à l'annonce de sa mort, un internaute a publié cette phrase terrible sur Weibo, le site de micro-blogging chinois :

« Adieu, je te souhaite de ne pas renaître en Chine dans une autre vie ».


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