vendredi 11 novembre 2011

Trois cents mots pour faire le tour de la violence

Daniel Fouray
Pour Michela Marzano, « l'ultra-individualisme est le mal de notre siècle ». : Daniel Fouray

D'abandon à western, un dictionnaire éclectique et passionnant analyse les violences qui traversent la société et les êtres humains. Deux cents chercheurs se sont attelés à la tâche, dirigés par la philosophe Michela Marzano.

Entretien avec Michela Marzano.

Enseignante en philosophie, elle dirige le département des sciences sociales à l'université Paris-Descartes.

Une société sans violence est-elle envisageable ?

La violence est une composante de la condition humaine. On ne pourra pas l'éradiquer, comme en rêvaient les philosophes des Lumières. Le « zéro risque », prôné parfois pour justifier des politiques sécuritaires, est un mythe. D'ailleurs, une certaine forme d'agressivité est utile. Les conflits - quand ils peuvent s'exprimer, quand ils manifestent une solidarité -, permettent d'évoluer et d'avancer. Ils signifient qu'heureusement, tout le monde ne pense pas la même chose.

Quelles violences, que l'on aurait pu espérer disparues ou atténuées, persistent ?

La traite d'êtres humains, en dépit des Droits de l'homme et de l'abolition de l'esclavage. Les violences faites aux femmes, même si ces crimes et délits sont désormais condamnés par la loi dans bien des pays. Le génocide : après la Shoah, plus jamais ça ? Mais des groupes de gens peuvent encore être « effacés » de l'univers. Des exemples parmi d'autres...

À l'inverse, qu'est-ce qui caractérise, selon vous, notre époque ?

Dans le domaine de l'entreprise, l'idéologie du gagnant et du perdant. Chacun pour soi et tous contre tous, un retour à cet « état de nature » que définissait Thomas Hobbes au XVIIe siècle. L'ultra-individualisme est le mal de notre siècle. On a fait miroiter une promesse de salut par le travail, on a confondu identité et salaire. Les gens sont poussés à aller de l'avant, monter en grade, gagner toujours plus. Conséquences : ceux qui n'ont pas de travail sont humiliés et culpabilisés, persuadés que c'est de leur faute.

Votre Dictionnaire se réfère aussi aux artistes - les peintres Goya ou Bacon, les réalisateurs Eastwood et Coppola -, aux écrivains, aux poètes. Pourquoi ?

L'art révèle des choses que l'on n'arrive pas nécessairement à dire. Une oeuvre est parfois plus « lisible » qu'un concept philosophique ou une enquête sociologique. La fiction aide à penser. La rationalité, en effet, ne permet pas de faire le tour des questions qui nous bouleversent. Aujourd'hui, la tendance est à trouver, rapidement, des solutions simples et magiques. Mais les choses sont complexes !

C'est ce que vous enseignez à vos étudiants ?

Je veux faire l'effort de leur faire comprendre, sans simplifier. La violence, elle est là, aussi, à l'université. Obtenir le silence dans l'amphi, ce n'est pas rien ! (Rires) Je refuse de quitter la salle ou de brandir la menace de l'examen : ce n'est pas par la violence que l'on apprend. Les étudiants sont souvent dans l'agressivité, habitués aux rapports de force. Tenez, ils boudent le travail en équipe car ils se méfient « de celui qui en profitera pour ne rien faire » ! L'éducation sert aussi à cela : passer des messages pour sortir de la logique de la compétitivité, pour restaurer la confiance et la coopération. Moi, j'y crois.

Recueilli par Colette DAVID.

« Bruit », « Crime passionnel », « Guerre civile », « Jeux vidéo », « Mépris », « Sans-logis », « Terrorisme »...: quelques-unes des 300 entrées de cet ouvrage, rédigées par des sociologues, des historiens, des juristes, des psychanalystes, etc. Michela Marzano a privilégié les thèmes d'actualité qui permettent une mise en perspective. Le Dictionnaire de la violence, éd. Puf, 1 568 pages, 39 €.

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