samedi 17 mars 2012

Psychanalyste inspirée


Fragilités Interdites ? Marie Balmary par archefrance

APRÈS AVOIR PUBLIÉ une nouvelle histoire de l'inconscient chez Freud saluée par Maurice Clavel (L'Homme aux statues, Grasset, 1979), elle s'est intéressée au récit de la Création, à la rivalité entre Caïn et Abel. Une rencontre avec Marc-François Lacan, frère du célèbre psychanalyste et moine bénédictin, lui a fourni la matière d'un dialogue à la fois réel et imaginaire sur le verbe « croire » (Le Moine et la Psychanalyste, Albin Michel, 2005).

Écrivain, conférencière et clinicienne, Marie Balmary ne ressemble pas aux psychanalystes pour midinettes qui encombrent les plateaux des émissions de variétés et font des piges à la rubrique « sexo » des magazines féminins. Cette femme, qui prend au sérieux ce que parler veut dire, n'a pas cessé, depuis trente ans, d'essayer de comprendre les bouleversements et les souffrances qui accompagnent l'émergence d'une parole qui devrait pourtant être libératrice. Elle s'est naturellement intéressée à la Bible, « première fondation et première histoire de la parole », persuadée qu'on y trouve les remèdes pour guérir la civilisation judéo-chrétienne de ses maladies. Elle a consacré dix ans à apprendre l'hébreu pour pouvoir serrer le texte au plus près.

Depuis un premier essai consacré aux Écritures intitulé Le Sacrifice interdit (Grasset, 1986), Marie Balmary s'est sans cesse obstinée à emprunter des chemins de traverse, à ouvrir des voies nouvelles et à déblayer pour l'avenir en revenant toujours au texte.

C'est ce qu'il y a de fascinant dans sa démarche intellectuelle, qui rappelle celle de René Girard : cette capacité à lire la Bible comme un livre neuf. « C'est la même chose qu'avec les partitions de musique, nous confiait-elle un jour. Peut-on encore jouer Beethoven comme si sa musique venait d'être écrite ? Évidemment, c'est même la seule manière. La Bible est un texte que chacun reprend, relève, réinterprète à sa façon, avec d'autres, ce qui ne veut pas dire de façon purement imaginaire. Si on laisse la Bible écrite sans que chacun la relève, elle ne sert plus. Elle devient un musée de textes. La phrase qui résume le mieux cette question, est celle de Jésus dans l'Évangile : « Qu'y a-t-il écrit ? Que lis-tu ? » Cette différence entre ce qui est écrit et ce qu'on lit est très éclairante. » Ainsi, grâce à Marie Balmary, la psychanalyse et les Écritures se sont-elles surprises à faire bon ménage dans le cadre d'une anthropologie fondamentale audacieuse. La singularité de cette construction personnelle, à l'origine d'une des pensées les plus originales de notre temps, est d'être née d'un échec.

C'est en effet après avoir vu sa thèse refusée par la Sorbonne que Marie Balmary s'est décidée à scruter seule les textes. « Le non de l'Université m'a libérée de tout programme et ouvert des chemins d'errance. Je n'ai donc plus demandé le chemin à ceux qui le savaient et j'ai pu rencontrer ceux qui cheminaient aussi, en se perdant chacun et en se trouvant les uns les autres... »

« Une non-juive qui part dans les fondations juives »Marie Balmary ajoute au paradoxe en se déclarant volontiers agnostique. C'est qu'elle aime les montées transgressives vers l'objet de sa quête et les lignes de démarcations intellectuelles tracées à front renversé. « C'est moi, une non-juive, qui part dans les fondations juives, tandis que beaucoup d'analystes juifs s'intéressent aux textes grecs. Cet entrecroisement n'est pas un hasard. On est plus libre d'aller travailler dans ce qui nous est d'abord moins connu. » Ainsi Marie Balmary accorde-t-elle autant d'importance à l'histoire de Joseph qu'à celle d'Oreste et au récit de la Genèse qu'au mythe d'Œdipe. Son art d'écouter ce que le texte veut dire est d'autant plus séduisant qu'il se veut libérateur. « La lecture attentive du texte de la Bible permet un changement de perspective qui fait apparaître l'Éden non plus comme le lieu d'une faute première mais comme un lieu d'épreuve, un lieu qui raconte l'humanité arrivant devant elle-même : homme et femme, différents, et ayant à faire quelque chose de la différence des sexes. »

C'est ainsi que Marie Balmary dépasse Freud, qui regardait la religion comme une illusion infantile, pour ouvrir à ses contemporains un chemin de confiance où la Parole vive souffle sans cesse sur notre poussière.


Marie Balmary est une psychanalyste française. Exerçant à Paris depuis trente ans[précision nécessaire], elle mène également des activités de recherche.

Elle étudie les religions, la Bible, la mythologie grecque, et va fréquemment interroger la théorie psychanalytique dans ses fondements. Aussi va-t-elle inviter à y garder un certain recul, comme il se doit de procéder face à toute théorie.

Pour cette clinicienne et chercheuse — qui n’est pas devenue enseignante, puisque, comme elle le dit, « le ‹ non › de l’université à sa thèse de doctorat l’a libérée de tout programme et ouvert des chemins d’errance » —, il est important de toujours faire preuve d’esprit critique — position qui n’est pas sans rappeler celle d’une Lise Thiry plaidant un « crédit de vagabondage » pour les jeunes chercheurs.

Marie Balmary va notamment revisiter la théorie psychanalytique à travers le mythe d’Œdipe, mythe dont elle va proposer une nouvelle lecture à partir de la reprise de l’histoire du père d’Œdipe, l’étude étymologique des mots et son rapport avec l’histoire de la famille Freud.


Eloge de la fragilité

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