samedi 30 juin 2012

Lama Jigmé Rinpoché

L a m a . J i g m é . R i n p o c h é
site web officiel



Représentant du Gyalwa Karmapa Trinley Thayé Dorjé en Europe, Lama Jigmé Rinpoché voyage dans différents pays. Pour obtenir des renseignements sur son activité, contacter l'accueil de Dhagpo Kagyu Ling, centre placé sous son autorité spirituelle.


L’existence humaine est précieuse parce qu’elle nous offre la possibilité d’écouter les enseignements et de les mettre en pratique, d’utiliser nos facultés dans un but utile. D’après l’enseignement des grands maîtres, à la mort, notre esprit, contrairement à notre corps, ne périt pas. L’esprit a une continuité. Le connaître est donc de la plus grande importance.

De façon spontanée et habituelle, ce que nous considérons comme important, c’est avant tout nous-mêmes ; en conséquence nous faisons d’innombrables efforts pour tenter d’éviter les souffrances présentes et futures. Et si nous accordons autant d’importance aujourd’hui à notre personne, il n’y a pas de raison que cela cesse demain ou dans un avenir plus lointain. Tel est le fonctionnement de l’ego. Or, c’est justement ce fonctionnement qui nous entrave et se perpétue. C’est ce qu’on appelle la condition samsarique.

Lorsqu’on pense au samsara ou cycle des existences, on a tendance à imaginer des souffrances terribles, des conditions très difficiles. Mais le samsara est vicieux ; souffrances et bonheurs s’y combinent. Prenons-en conscience ! Pour nous libérer, il faut commencer par diminuer notre dépendance envers les choses, en leur accordant une importance relative. Car si les choses, les situations et les circonstances ont une certaine importance, elles n’ont pas celle que nous leur donnons. L’esprit doit s’exercer à considérer les situations avec justesse. Pour cela, il lui faut développer une certaine clarté.

Gampopa, Milarépa, tous les grands maîtres considèrent l’existence humaine de la même façon. Elle est précieuse et nous devons l’utiliser de façon juste. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est considérer que, puisque nous avons tous la nature de bouddha, l’éveil est possible. Et c’est accomplir deux bienfaits, le nôtre et celui d’autrui. Accomplir notre propre bienfait parce qu’il n’y a aucune raison de souffrir, de chercher les difficultés, et accomplir aussi celui des autres. Quel que soit le nombre de personnes que nous ayons la capacité d’aider, nous devons le faire. 

Détachement et dédicace
Notre problème fondamental est l’identification à tout ce qui nous entoure. Or, tôt ou tard, nous serons obligés de tout quitter. Nos biens, notre corps, tout devra être abandonné. Et à ce moment-là, si nous ne nous y sommes pas préparés, la saisie que nous ferons sur nous-mêmes et sur ce qui nous entoure sera encore plus forte et nous ressentirons une grande souffrance. Prisonnier de l’illusion, l’esprit ne pourra trouver la paix.
Cette saisie ne fait pourtant pas partie de notre vraie nature. C’est une sorte d’habitude, d’attachement. Inconsciemment, nous nous identifions à tout ce que nous jugeons important, sans nous rendre compte que c’est cette attitude qui nous emprisonne. Les grands maîtres du passé ont insisté sur le détachement. Comprenons bien ce que ce mot signifie. Il s’agit plus d’une attitude mentale que du rejet de possessions ou de situations. La pratique des deux bienfaits permet de se détacher.

Si nous prenons l’habitude de nous dédier à autrui, si nous ouvrons notre esprit au bienfait des autres, nous pourrons transformer nos vieilles tendances. L’habitude de se dévouer aux autres – depuis notre entourage immédiat jusqu’à tous les êtres - conduit au bonheur. Elle s’acquiert non en se forçant mais en comprenant bien l’importance d’agir ainsi. Qu’importe le nombre des êtres, pourvu que nous souhaitions leur bienfait, leur offrions notre activité et leur dédions les qualités de notre esprit.

Cette dédicace est essentielle et n’est nullement un rituel vide, une pratique issue de la culture tibétaine. C’est quelque chose de très concret. Donner aux autres ce que nous avons accompli peut paraître facile, mais ne l’est pas car nous faisons d’habitude tout l’inverse. Mais si nous comprenons le bien fondé d’une telle attitude et de cette activité, petit à petit, elles deviendront naturelles.

Chaque pays a une spécificité, une originalité. En France, il y en a de nombreuses : une riche littérature, une architecture extraordinaire, de splendides paysages. L’une des plus marquantes est la gastronomie. Notre goût pour la bonne table peut devenir une base de travail au quotidien. Il est inutile de nous forcer à l’abandonner. " En ville, on mange trop bien. Je vais prendre mes vacances dans un petit village et renoncer aux bons petits plats ". En procédant ainsi, nous n’aurons fait que changer de circonstances. Et d’ailleurs, quel défaut peut-il y avoir dans le fait de savourer un bon repas ? Aucun. Surtout si nous prenons conscience que nous nous régalons grâce aux personnes qui l’ont préparé pour nous, que celles-ci ont elles-mêmes appris d’autres personnes dans le passé, et ainsi de suite. Notre appréciation nous aide alors à réaliser que la créativité d’autrui est la source de notre satisfaction personnelle.

Et nous aussi, chaque fois que nous accomplissons quelque chose, faisons-le en toute sincérité non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour nos familles, nos collègues, nos amis, et tous les autres êtres. Souhaitons que de nombreuses générations d’êtres puissent bénéficier de nos activités. Une telle activité, accomplie sans saisie, avec un esprit paisible, n’est plus alors aussi fortement influencée par la jalousie, l’orgueil, l’attachement, les espoirs. Certes, nous ne nous libérerons pas immédiatement et complètement de ces émotions car elles sont étroitement liées les unes aux autres et donc très puissantes. Néanmoins, notre esprit devenant moins inquiet, moins perturbé, et donc plus heureux, plus libre, nous ne souffrirons pas quand le moment sera venu de quitter définitivement nos activités.

Tout étant impermanent, nous devrons de toute façon tôt ou tard tout laisser. Si nous nous sommes exercés à dédier notre activité à autrui, nous nous réjouirons que d’autres personnes puissent poursuivre ce que nous avons entrepris. Notre esprit connaîtra la satisfaction.

Le détachement découle de la dédicace et de l’attitude de bodhicitta. Bodhicitta signifie : un esprit qui accepte d’œuvrer pour le bienfait d’autrui parce qu’il en voit la nécessité. C’est donc un esprit qui est capable de discriminer, de voir ce qui est utile ou nuisible aux autres. La discrimination correcte, la précision et la clarté sont présentes dès lors que l’esprit est libre et détendu.

Ces qualités sont utiles en toutes circonstances. Alors, chaque situation - même le fait de manger un bon repas - prend un sens. Et nous nous rendons compte que les expériences et les découvertes que nous faisons au cours de notre vie quotidienne correspondent aux enseignements des maîtres du passé. Une grande confiance en le dharma voit le jour et nous relions désormais tout ce que nous expérimentons à l’enseignement du Bouddha.

Pratiquer avec souplesse
La vigilance, la pleine conscience de ce qui se passe en nous, l’accomplissement des deux bienfaits et la dédicace sont à effectuer sans saisie et en douceur. Surtout, ne devenons pas des intégristes de la vigilance ou des fanatiques des deux bienfaits. Et n’escomptons pas des résultats immédiats et n’attendons pas non plus, pour commencer à pratiquer, de pouvoir accomplir des choses grandioses. Dans le quotidien nous pouvons tout à fait nous exercer à la vigilance et au dévouement, et ce, non par obligation, par soumission à une règle, à une loi, mais par la reconnaissance, tout en douceur, de la validité de ces pratiques.

La conscience lucide
Pour comprendre le sens profond des enseignements, nous devons comprendre notre mode de fonctionnement. Cette compréhension, qui a son origine dans la nature de bouddha, se fait à l’aide des pensées et des concepts qui s’élèvent dans l’esprit. Bien sûr, nous avons toujours tendance à les utiliser de façon ordinaire, jugeant, discriminant - ceci est bien, ceci est mal - cherchant à obtenir le meilleur et à éviter le pire. Constamment, ce type de réflexion est présent en nous. Pourtant, pour que nos réflexions soient vraiment utiles et puissent nous amener à une découverte, il faut qu’elles nous servent à prendre conscience que notre vie est artificielle, que notre façon de communiquer - même des sentiments profonds - est artificielle. Sans développer pour autant une attitude de rejet.
Il ne sert à rien de se rebeller contre une société vieille de milliers d’années dont nous avons hérité nombre de références et de traditions culturelles. Car même si nous sommes forcés de mener une vie sociale normale, fabriquée, nous pouvons pourtant en être libres. C’est la découverte à faire. Rien à changer, rien à rejeter. Découvrons seulement notre mode de fonctionnement, en regardant la nature de toutes ces idées qui s’élèvent en nous, et notre manière artificielle de communiquer avec autrui. Et il n’y a pas à craindre que cette découverte nous déséquilibre et nous affaiblisse. Au contraire, au moment où les saisies se relâchent, naturellement, les problèmes diminuent.

Du concept à l’expérience
Pour accéder au sens profond des mots, il faut commencer par dépasser leur signification première et les apparentes contradictions relatives à un niveau de compréhension superficiel. Un mot est comme une grotte qui, tout en s’enfonçant, se ramifie continuellement. Au lieu de rester à la surface des mots, utilisons-les pour approfondir notre réflexion. Celle-ci nous conduira à une expérience et une compréhension profondes.
Dans les enseignements du Bouddha, on parle souvent de l’esprit, terme que tout le monde connaît. Mais comprenons-nous vraiment sa signification ? Examiner le sens complet de ce mot peut nous conduire jusqu’à l’éveil, car l’esprit fait partie des qualités d’un bouddha. La compréhension exacte de ce qu’est l’esprit est progressive, comme l’aube en montagne. La lumière irise déjà les crêtes, alors que le soleil reste encore invisible. Pourtant, cette première lueur, c’est déjà le soleil. C’est la qualité lumineuse du soleil.

Grâce aux méthodes proposées par le bouddhisme, nous pouvons pousser notre réflexion sur l’esprit et toutes ses fonctions jusqu’au résultat final : l’éveil. Aussi, méfions-nous des contradictions trop évidentes que notre intellect, en proie à une forte saisie, a tendance à souligner et à dénoncer. Regardons de plus près. La clarté commencera à poindre.

Ce qui voile la clarté
Notre esprit possède une certaine clarté de base qui permet aux différents sens de percevoir leurs objets. Mais tant qu’il n’est pas libre de l’influence des conditions extérieures, il ne peut être parfaitement clair. Puisque nous ne pouvons pas éviter les événements extérieurs, les situations quotidiennes, comment sortir du piège ? Notre clarté de base est parasitée par les situations parce que nous nous y impliquons. Dès qu’une situation se présente, nous la fixons, créant ainsi des habitudes mentales qui deviennent notre façon habituelle de fonctionner, ainsi que des voiles encore plus épais.

Le manque de clarté dû à nos habitudes mentales se révèle dans les petits faits de la vie quotidienne. Que quelqu’un boive le thé différemment de nous, nous en sommes troublés. Une incompréhension jaillit. L’esprit est tellement habitué à s’impliquer dans toutes les situations, même les plus insignifiantes, qu’au moindre changement, il est bouleversé. Il perd sa clarté et, immédiatement, tout se complique.

Pour l’esprit, être clair signifie voir la situation dans son ensemble sans être dérangé, voir les événements tels qu’ils sont en en comprenant les causes et le caractère inéluctable. C’est, en fait, notre interprétation des situations, sous l’emprise des tendances et des habitudes, qui court-circuite la clarté de l’esprit.

Développement progressif
Quand l’esprit est perturbé par quelque chose de désagréable ou d’inhabituel, s’il arrive à voir l’ensemble de la situation clairement - les causes et les circonstances extérieures, ainsi que les habitudes intérieures présentes à ce moment là -, de lui-même, il s’apaise, se rééquilibre. Essayer de comprendre la raison d’être des situations, les causes et les conditions qui les engendrent, rend l’esprit plus libre, plus clair. Les émotions, la confusion, les complications viennent de circonstances - souvent de petites choses - que nous laissons dans l’ombre.

Nous avons tous la faculté de comprendre les situations. Il n’est pas hors de nos capacités de percevoir ce qui est clair et ce qui ne l’est pas. Nous pouvons nous rendre compte qu’il est possible de percevoir les choses de plus en plus clairement, à condition toutefois de prendre du recul par rapport aux situations dans lesquelles nous avons l’habitude de nous impliquer et de trop nous investir. Alors la clarté se développe. Mais attention ! Il ne s’agit pas de se dire : " Je dois procéder ainsi, je dois développer la clarté, je dois comprendre ce qui m’arrive, je dois voir la situation telle qu’elle est ". Cela reviendrait à se laisser piéger par une nouvelle situation, à suivre une méthode dictée par nos habitudes et nos tendances. La clarté qui apparaîtrait ne serait pas la vraie clarté. Vouloir la clarté empêche la clarté. Douceur et patience s’imposent. La clarté est toujours présente dans l’esprit. Il ne s’agit pas de la générer mais de lui permettre de se révéler.

La méditation
La méditation est le moyen utilisé pour clarifier l’esprit. Selon les traditions religieuses ou les écoles de philosophie, ce terme revêt des sens différents, et donc, mis en pratique, donne des résultats différents. Dans le dharma enseigné par le Bouddha, toutes les méthodes de méditation contribuent à la connaissance de la nature éveillée de l’esprit et permettent à sa clarté inhérente de se révéler. Ces méthodes sont nombreuses et proposent de multiples supports. Mais quel que soit le support utilisé, l’idée essentielle est qu’en méditation il n’y a rien à faire. On parle alors de non-méditation, au sens où il n’y a pas de sujet qui médite, pas d’objet sur lequel méditer. C’est cette constatation qui permet à la clarté de se révéler. Tant que l’esprit s’investit et s’implique à l’extérieur, il est piégé et ne peut reconnaître sa clarté. C’est pour l’aider à la découvrir qu’on utilise méthodes et supports. Mais penser que puisqu’il n’y a ni sujet, ni objet, ni acte, on peut se passer de méthode, c’est tomber dans une nouvelle forme de saisie. Saisir l’idée qu’il n’y a rien à faire.

Les yogis du passé, qui méditaient dans les ermitages, comparaient l’esprit au ciel sans limite qui se déployait devant eux. Pour découvrir cet espace sans limite qu’est notre esprit, il n’y a rien à créer, il n’y a pas à essayer de changer quoi que ce soit. Il suffit de regarder naturellement ce qui se passe en lui au moment où cela a lieu.

Dans la vie mondaine, nous agissons presque toujours en vue d’un profit. Aussi, abordons-nous la méditation avec la même attitude. Nous avons beaucoup d’espoirs et d’attentes de résultats. Certes de nombreuses expériences s’élèvent au moment où nous méditons, et il ne saurait être question de les rejeter ou de s’y attacher, de les évaluer. Mais notre attitude vis à vis de ces expériences doit s’apparenter à celle d’un promeneur en forêt qui, conscient de la grande variété d’arbres, de feuilles, de couleurs et de formes qui l’entourent, ne les catégorise ni ne les dénombre. Dans la méditation, ce ne sont pas les expériences qui importent mais le développement de notre faculté à les percevoir globalement et très clairement, sans faire de discrimination sujet objet.

Méditer sans juger
Laissons l’esprit aussi vaste que possible, sans le focaliser sur quoi que ce soit. Asseyons-nous simplement et essayons de garder l’esprit clair. C’est difficile mais essayons. Nous entendons, nous voyons, sans saisir. Faisons de même avec les autres sens : l’odorat, le goût, le toucher. Alors, une clarté apparaît. C’est une découverte. Généralement, quand nous nous asseyons ainsi, nous ne voyons que ce qui se trouve en face de nous et sans grands détails. Si nous avons l’esprit tranquille, nous pouvons tout voir clairement et avec précision. Spontanément notre champ de vision s’élargit et la perception devient plus ample, plus précise, plus claire. Pourtant, presque aussitôt nous nous remettons à commenter, à juger. Les concepts sont de retour et nous font perdre cette qualité d’ouverture et d’acuité. Il en va de même avec l’ouïe et toutes les sensations. Ce que nous ressentons peut être bon ou mauvais, peu importe ! En effet, les circonstances sont instables et une sensation peut être ressentie et perdue aussitôt. L’important est d’arriver à développer une conscience très naturelle, non-obstruée, à travers les différents sens, et de se rendre compte, pendant un laps de temps même très court, que la clarté est présente.

La clarté de l’instant
L’esprit n’arrête pas de fonctionner sous prétexte qu’on médite. Les pensées continuent à s’élever. Si nous ne prenons pas conscience de leur simple mouvement, en s’élevant et s’enchaînant elles vont faire obstacle à notre perception de la clarté. C’est la distraction. La méditation est alors interrompue. Par contre, quand l’émergence d’une pensée est clairement perçue, nous voyons que la pensée ne dure pas très longtemps, qu’elle se dissout et qu’une nouvelle pensée apparaît immédiatement. Celle-ci se dissout à son tour. Si nous sommes conscients, nous voyons que cela ne dure jamais. Il ne s’agit pas de compter ou de chercher les pensées. Il s’agit juste d’être conscient de leur mouvement. Méditer, c’est voir clairement le fonctionnement de son esprit, sans intervenir.

Assis au bord d’un torrent, nous pouvons suivre des yeux le courant qui s’éloigne, ou bien fixer un point, où l’eau arrive, passe et s’en va sans cesse. Le mouvement de l’eau est ininterrompu et, à l’endroit où notre regard se porte, l’eau apparaît et disparaît immédiatement. L’esprit fonctionne de même : les pensées émergent et disparaissent continuellement. Méditer, ce n’est pas non plus se fixer sur ce processus, c’est être conscient du fonctionnement de l’esprit.

Procédant ainsi, nous pourrons découvrir en l’esprit une grande clarté. Cela nous conduira à réaliser ce qu’est notre esprit. Mais si nous avons des attentes, il sera difficile d’obtenir cette réalisation. Par contre, si nous sommes simplement conscients de la situation, de ce qui est, avec l’habitude, spontanément, la clarté de l’esprit se révélera, parce qu’elle est déjà présente. Il est inutile de la guetter et d’espérer pouvoir la saisir.

Le piège du support
Pour garder cette clarté, nous pouvons utiliser différents supports ou méthodes : un objet extérieur, la respiration, des visualisations, etc. L’essentiel est de se souvenir que la méditation a pour but de révéler et de maintenir la clarté de l’esprit. Si nous sommes trop préoccupés par le support ou la méthode, nous oublions l’essentiel, le sens principal de la méditation. L’esprit peut très vite être piégé et dérangé, si nous oublions que méthodes et supports ne sont que temporaires. S’il y a saisie, il y a interruption, c’est à dire retour à un état émotionnel.

Certes, en méditation, les méthodes ont un rôle important, mais l’essentiel reste toujours la finalité. Ici, dans le contexte de l’enseignement du Bouddha, la finalité est la conscience et la clarté de l’esprit. Méditer, c’est être clairement conscient.

Le processus naturel
La méditation est un processus naturel. Il n’y a pas à ruser ou à forcer l’esprit. Il suffit de le laisser dans son état naturel, avec une grande lucidité. Et il ne faut surtout pas être en attente d’un résultat immédiat. Les fruits ne mûriront qu’avec le temps. Simplement, soyons naturels et vivons la situation telle qu’elle est dans le moment. Et bien qu’au début nous ne connaissions qu’un bref instant de perception claire, elle nous apporte tout de même une certitude quant à la clarté de notre esprit. Cette certitude nous encourage et nous donne envie de méditer davantage.

La méditation n’est pas une tâche spéciale à effectuer dans un certain délai. Par exemple : Je bêche le jardin, je sème les graines, j’ai fini le travail : mission accomplie. Ou bien : Je fais bâtir une maison. La construction achevée, je me réjouis. Bravo, le but est atteint. C’est terminé ! Ou bien : Je fais des études de médecine. J’obtiens le diplôme et j’exerce mes fonctions. Non, il n’en est pas ainsi. En méditant, nous n’obtiendrons rien de directement utilisable. Pourtant, à coup sûr il y aura des fruits. Le développement que nous avons entrepris nous conduira jusqu’à l’éveil.

Entendre parler de la méditation comme d’un processus naturel soulève d’apparentes contradictions. Dans le bouddhisme on nous demande d’être satisfaits de notre vie et de poursuivre notre développement, de n’avoir aucune attente de résultat et de persévérer jusqu’à l’éveil. Méditer, c’est un peu comme se nourrir. Il est naturel de manger tous les jours. On ne mange pas une fois pour toutes car, jusqu’à la mort, on a besoin de nourrir son corps. Souvent, au début, lorsqu’on reçoit les premières instructions de méditation, on est plein d’entrain, plein de courage, mais aussi plein d’attentes. Et puis, on médite, on médite, et rien ne vient. Alors, on se décourage, on se dit : " Finalement, ce n’est pas pour moi ", et on arrête de pratiquer. Ou bien, en pratiquant, de petites expériences s’élèvent. On est alors fasciné par ces expériences, elles deviennent une nouvelle préoccupation pour l’esprit et cette saisie empêche de progresser. Dans la méditation, il faut constamment approfondir jusqu’à ce qu’on arrive au but, et, en même temps, il ne faut pas avoir d’attentes. C’est ainsi, même si cela semble contradictoire.

La simplicité
C’est paradoxal mais le but de la méditation est donc de ne pas attendre de résultat. A ce moment seulement on obtient un bon résultat : la clarté. Et quand notre esprit est très clair, il n’y a pas de place pour la confusion. Nous pouvons alors comprendre clairement toute situation. Par exemple, un matin, il pleut et nous sommes obligés de sortir. Si nous sommes simplement conscients que la pluie mouille, que nous pouvons attraper froid, qu’il en est ainsi, nous ne nous irritons pas. Comprenant la situation, nous la vivons, c’est tout. A ce moment-là l’esprit reste libre. Nous comprenons qu’il est impossible d’arrêter la pluie et le froid. Nous vivons la situation telle qu’elle est. L’exemple peut paraître simpliste, mais en fait, c’est l’attitude à adopter dans notre vie. En général, nous rencontrons des problèmes et des souffrances. Il s’agit de les considérer avec simplicité. Alors colère et frustration ne s’élèveront pas, parce que nous aurons perçu clairement la situation telle qu’elle est.

Nos attentes ne servent à rien. Ce qui importe, c’est la qualité de notre méditation, la compréhension claire de notre nature. Puisque nous ne pouvons échapper aux situations, faisons en sorte que notre esprit n’en soit pas perturbé. Dés que nous aurons quelque expérience de clarté, nous acquerrons la certitude que les situations peuvent être vécues sans que l’esprit soit dérangé. Quand nous ressentons une douleur, la douleur est certes bien réelle même si notre esprit est très clair, mais s’il y a compréhension, elle ne crée pas de confusion. Pas de problème !

La détente naturelle
Par la méditation nous découvrons la clarté de notre esprit et, grâce à la vigilance, nous en restons conscients. Rester conscient contribue à développer encore plus la clarté. En même temps que la clarté, il est nécessaire de connaître la détente. La détente dont nous parlons ici, sur la voie spirituelle n’est pas une relaxation ; c’est notre vraie nature, la nature de notre esprit, qui est fondamentalement détente. La méditation apporte une détente car clarté et détente sont simultanées. Un esprit très clair prend conscience de ce qui, habituellement, nuit à la détente. Le fait de ne pas pouvoir se détendre vient en partie de nos concepts et aussi de la perception que nous avons des autres.

Détente et clarté
Quand l’esprit est très clair, notre perception de son fonctionnement est très aiguë. Nous percevons alors avec précision ce qui empêche la véritable détente, la détente qui est une qualité de notre vraie nature. Bien que la nature de bouddha soit déjà présente en nous, nous avons aussi en nous l’habitude de la saisie d’un soi. De ce fait, même si aucune circonstance ne vient nous troubler, nous ne sommes pas vraiment détendus. Généralement, nous ne savons pas pourquoi. En réfléchissant, nous pouvons voir que c’est à cause de la saisie d’un soi.

Nous cherchons tous à être heureux mais ce bonheur nous échappe car nous n’arrivons pas à utiliser dans l’activité quotidienne la clarté que nous expérimentons dans la méditation. Notre esprit est encore en proie à la distraction et nous manquons d’ouverture, de disponibilité aux choses, de détente. La détente est l’apaisement de l’esprit par la compréhension de l’essentiel.

Prenons un exemple. Nous attachons beaucoup d’importance à notre corps. Dès que nous ressentons une forte douleur, nous paniquons. Surtout si nous n’en connaissons pas la cause. Par contre, si, en proie à une grande souffrance, nous apprenons que nous n’avons rien de grave, nous nous détendons car notre inquiétude a cessé. Cette détente provient de la compréhension. Compréhension que, fondamentalement, rien n’est vraiment dérangeant pour l’esprit.

Quand l’esprit est très clair, il faut encore éviter de se laisser piéger en saisissant la clarté. Nous risquons en effet de figer cette clarté, de nous y attacher. Et de nouveau, l’attachement à la clarté empêchera la véritable détente. 

Quand nous essayons de voir totalement, de comprendre complètement ce qui a lieu en nous - les distractions et les perturbations de notre esprit – une détente mentale prend place. Tant que nous n’aurons pas réalisé l’éveil, il y aura des perturbations. Mais ces perturbations étant impermanentes, elles n’ont pas grande importance. Cette compréhension va nous empêcher d’être pris dans les situations. La clef de la détente c’est de combiner conscience et clarté.

Les émotions perturbatrices surgissent dans certaines circonstances. Ces circonstances vont donc nous révéler nos émotions. Si nous essayons d’éviter les situations, les émotions, bien qu’étant au fond de nous, ne se montreront pas. Mais la véritable détente ne s’obtient pas en se cachant dans un coin pour être tranquille parce que, même si nous pensons que nous y sommes paisible et serein, en fait, notre esprit n’est pas vraiment en paix. Par contre, étant en plein dans l’activité, si nous essayons de comprendre ce qui se passe, dés qu’il y aura compréhension, il y aura détente. Détente ne veut pas dire absence de mouvement et d’action. La détente s’applique à notre esprit.

Sans aucun jugement, essayons de voir comment nous fonctionnons. Faisons cela sincèrement, sans hésitation, sans essayer de fuir, sans utiliser des méthodes artificielles pour nous calmer. Essayons simplement de voir qui nous sommes. Pour cela, il n’y a rien à changer. Si nous essayons de modifier notre comportement, cela restera artificiel et de courte durée. L’esprit, lui, restera le même. Par contre, si nous regardons de façon très naturelle, nous pourrons voir très clairement. Ne jugeons pas, contentons-nous de regarder. Juger veut dire : essayer d’éliminer, condamner, fabriquer. 

Méditation formelle et activité
Il ne faut donc pas essayer de changer quelque chose à l’aide de méthodes artificielles. Bien sûr, même à un niveau relatif, la voie du Bouddha offre des méthodes qui permettent de pacifier l’esprit, de connaître plus de détente et d’ouverture. Mais ici, abordons l’étape suivante, posons un regard direct sur ce qui se passe en nous, sans juger. Comme cela est assez difficile, différentes perches nous sont tendues. Méditations et rituels n’ont qu’un seul but : celui de nous préparer à la méditation ultime. Ces pratiques transmettent une bénédiction qui, sans que nous en soyons pleinement conscients, clarifient notre compréhension. Pendant un rituel, nous ne savons pas exactement ce que nous faisons mais, au moins, nous mettons les instructions en pratique. Et, même si, au début, aucun résultat manifeste n’apparaît, progressivement, nous nous rendrons compte que nous changeons en profondeur.

La clarté ne doit pas être une simple expérience de méditation, car une expérience n’est pas stable. Elle doit accompagner toutes nos activités pour que le fonctionnement de l’esprit nous devienne plus évident. Nous devons utiliser la clarté comme une nécessité quotidienne. Si nous arrivons à garder une conscience claire, notre compréhension s’améliorera, s’affinera, l’esprit sera atteint en profondeur. Quelque chose de très important apparaîtra. Nous ressentirons que notre vie se développe, prend vraiment un sens.

Patience, ardeur, but ultime
Les méthodes pour développer la clarté et la détente grâce à la méditation et à la conscience vigilante peuvent être mises en pratique concrètement. Mais il arrive aussi qu’elles soient difficilement applicables dans l’immédiat. Que cela ne nous décourage pas. En attendant, utilisons intelligemment notre temps pour réfléchir aux instructions données, tout en nous exerçant régulièrement à l’attention. Il importe d’être patient et de se rappeler que l’étude et la pratique du dharma ne donnent pas leurs fruits au moment désiré. L’impatience pourrait nous conduire au découragement et, sous l’emprise des doutes, nous risquerions d’abandonner le dharma, le jugeant inefficace. Mettre l’enseignement du Bouddha en pratique demande du temps et de l’énergie. Au début, nous ne sommes pas parfaits. D’où la nécessité d’appliquer des méthodes, de suivre cette voie de façon progressive, de nous perfectionner. Si nous pratiquons avec patience, persévérance et compréhension, la progression se fera toute seule.

Le dharma n’est pas une matière ordinaire que l’on étudie rapidement en vue d’une application immédiatement efficace. Nous travaillons sur notre esprit, un esprit dont les tendances ne remontent pas à quelques années mais à des vies innombrables. Il ne serait pas raisonnable de croire que nous allons les purifier facilement et tout transformer en un clin d’œil. Pratiquons avec confiance, en nous rappelant que, dès le départ, nous nous dirigeons vers l’éveil. Et si, malgré nos imperfections et notre manque de clarté, la voie nous apporte déjà certains bienfaits, ne perdons jamais de vue que notre but ultime est l’éveil.


Trinley Thaye Dorje

Le Karmapa

Le Gyalwa Karmapa est un être éveillé, un Tulku ou Lama réincarné dont la lignée de réincarnation a débuté avec Düsum Khyenpa au Tibet au XIIe siècle. Il est détenteur de la lignée de la transmission des enseignements bouddhistes des trois véhicules, Hinayana, Mahayana et Vajrayana (ou véhicule de diamant), et Lama racine de la branche Karma Kagyu de la lignée Kagyupa.
L'enseignement de cette lignée trouve son origine en Bouddha Shakyamuni et a été préservé de façon pure et authentique jusqu'à nos jours grâce à une transmission de maître à disciple. Le Gyalwa Karmapa est le réceptacle de cet enseignement et de toute la grâce qu'il véhicule. L'enseignement ne pourrait se limiter à des textes, il est vivant, expérimenté par de grands accomplis tel le Gyalwa Karmapa.

Trinley Thayé Dorjé, naquit en 1983, dans l'année du cochon. Il est le fils aîné du 3e Mipham Rinpoché de l'école Nyingma du Bouddhisme tibétain. Le père du 17e Karmapa, la 3e réincarnation du 1er Mipham Rinpoché, est à la tête de treize monastères Nyingma dans la région du Dha, au Tibet, et descend depuis plusieurs générations de docteurs et d'érudits en médecine. Sa mère Détchen Wangmo, est la fille d'une famille noble descendant du roi Guésar de Ling (voir : Épopée du roi Gesar).
En janvier 1994, Trinley Thayé Dorjé put quitter le Tibet occupé par les chinois et gagner sa liberté en Inde. Depuis lors, il y reçoit et dispense des enseignements et transmissions bouddhiques. Il a bénéficié également d'un enseignement scolaire, apprenant l'anglais et les technologies modernes de l'information.
En décembre 1996, il dirigea sa première grande cérémonie à Bodhgaya devant des milliers de participants venus de l'Himalaya. En octobre 1997, il fut invité par la famille royale du Bhoutan pour une première visite d'état officielle, pendant laquelle il donna des enseignements et des initiations. Fin 1999, il entama son premier grand périple international à Hong Kong, Taïwan, en Malaisie, puis en Europe. En janvier 2000, il fut accueilli par plus de 10 000 personnes en Allemagne, Hongrie et Autriche. Il fit ensuite des séjours en France, en Suisse, et plusieurs étapes encore en Allemagne, dans les pays de l'Est et au Danemark.
En février 2000, il se retire à l'ermitage monastique Dhagpo Kundreul Ling du Bost en Auvergne (France) établi par son prédécesseur, où se trouvent des centres de retraite. Là il reçoit durant le mois d'avril la transmission du « Drubtop Kundu » par Chobgyé Trichen Rinpoché ; celui-ci lui transmet également les vœux de novice le 7 avril 2000. Ensuite, Kunzig Shamar Rinpoché, détenteur de la lignée Karma Kagyu, continue à transmettre au Gyalwa Karmapa les enseignements de l’École Kagyu ; cette phase inclut plus de 50 initiations et trois volumes d’enseignements compilés d'anciens Maîtres indiens – les Mahasiddhas – sur Le Mahamoudra. Pendant cette même période il étudie auprès de son professeur Sempa Dordjé des textes philosophiques et d'autres disciplines comme la logique.
En 2002, à la demande de Kunzig Shamar Rinpoché, le Gyalwa Karmapa effectue, de juin à mi-août, une première retraite de 2 mois et demi à l'ermitage monastique du Bost. Cette retraite est placée sous la direction spirituelle de Khentchen Trinlé Peldjor Rinpoché. Le 2 septembre, le Gyalwa Karmapa, accompagné de Nendo Ténam Rinpoché, débute une nouvelle retraite à Kundreul Ling jusqu'au 20 décembre.
Depuis, il poursuit sa formation principalement à Kalimpong en Inde du Nord et parcours les différents centre Karma Kagyu du monde pour y dispenser ses enseignements, souvent qualifiés de profonds, modernes et accessibles.

Reconnaissance du 17e Karmapa Trinley Thayé Dorjé

Shamar Rinpoché ( le porteur de la Coiffe rouge), lama Jigmé Rinpoché ( Dhagpo Kagyu ling ), lama Guendune Rinpoché ( disciple direct du Karmapa qui fonda Dhagpo Kundreul Ling ), Lopeun Tséchou Rinpoché, Mipham Rinpoché, Lama Shérab Gyaltsen Rinpoché, Chobgyé Trichen Rinpoché sont quelques-uns des autres hauts lamas ayant reconnu Trinley Thayé Dorjé comme étant le 17e Karmapa. Des lamas occidentaux comme Ole Nydahl reconnaissent aussi le 17e Karmapa Trinley Thayé Dorjé.


Réincarnation du Karmapa
17-Karmapa-Lon.jpg
Trinley Thayé Dorjé
Nom de naissance Trinley Thayé
Nom de réincarnation Trinley Thayé Dorjé
Prédécesseur Rangjung Rigpe Dorje
Successeur
Date de naissance 6 mai 1983
Lieu de naissance Lhasa, Région autonome du Tibet

Voilée

Fanatisme Islamiste : la destruction et la mort


Photo : Après les  présidentielles égyptiennes



Les viols et agressions de femmes se multiplient place Tahrir, au Caire


Les manifestants réunis sur la place Tahrir, le 25 janvier 2012.
Les manifestants réunis sur la place Tahrir, le 25 janvier 2012. | AFP PHOTO / KHALED DESOUKI

Le scénario est toujours le même : une femme, place Tahrir, au Caire, vers la fin de l'après-midi, un jour de manifestation. Elle est égyptienne, ou non, voilée, ou pas. Journaliste parfois, souvent militante. Elle se fraie un chemin dans la foule compacte et chamarrée en compagnie de camarades ou de collègues comme elle transportés par la liesse.

Soudain, tout bascule. En quelques secondes, le bain de foule tourne au viol collectif. Les mains d'abord, par dizaines, s'abattent brusquement sur son corps. La femme réalise alors qu'elle est encerclée par des dizaines d'hommes qui la séparent de force de ses compagnons.
Projetée à terre, elle voit ses habits arrachés, sent des doigts s'immiscer en elle malgré ses hurlements de terreur. Autour, la meute grossit. Une foule d'hommes se bousculent en hurlant, tendant leurs bras pour mieux la toucher. D'autres s'interposent, tentent de la protéger. En vain. Cela peut durer une heure. Parfois, elle perd connaissance. Parfois, elle a le temps d'apercevoir le visage de ceux qui parviendront à l'arracher à ses agresseurs. Car bien qu'elle soit détruite, elle est sauvée, toujours. In extremis.
DES ATTAQUES QUI SERAIENT DE PLUS EN PLUS FRÉQUENTES

Combien de fois ce scénario s'est-il répété depuis la révolution ? Pour l'instant, seules les agressions concernant des journalistes étrangères ont fait l'objet de comptes rendus détaillés. Le 11 février 2011, Lara Logan, une journaliste de la chaîne américaine CBS, a raconté son calvaire en détail après avoir subi ce traitement pendant près d'une demi-heure.
Le 24 novembre 2011, une journaliste de France 3, Caroline Sinz, était agressée à son tour :
Des dizaines de cas identiques, concernant autant les Egyptiennes que les étrangères, ont été signalés depuis le soulèvement de janvier 2011. C'est peu comparé aux victimes anonymes qui, selon les organisations de défense des droits de l'homme, se sont gardées de se faire connaître et qui refusent de témoigner. Un groupe de femmes venues le 8 juin sur la place pour dénoncer le harcèlement sexuel a été violemment agressé.
Le 26 juin, le récit bouleversant d'une jeune Britannique, Natasha Smith, étudiante en journalisme venue au Caire réaliser un reportage, a suscité une profonde émotion. Sur son blog, elle décrit "ces hommes qui, par centaines, changés en animaux", se seraient jetés sur elle à la sortie du pont Qasr Al-Nil. Déshabillée, traînée par les cheveux, elle affirme avoir été battue et violée par des dizaines de doigts, jusque sous des tentes dans lesquelles on essayait de la soustraire à ses agresseurs. "Un homme a tenté de me frapper avec un piquet de tente", affirme Natasha Smith, qui décrit, pour compléter le tableau, "deux femmes en burqa qui la regardent benoîtement avant de se détourner".
Affublée d'un voile censé la dissimuler aux regards, elle affirme avoir été évacuée en cachette par des Egyptiens qui auraient cependant refusé de l'accompagner à l'hôpital, "de peur d'être arrêtés si on les voyait avec elle". Elle aurait alors gagné un hôpital public, où elle aurait été éconduite par le personnel. Dans un autre établissement, on aurait refusé de l'examiner.
Son récit, relayé par CNN (vidéo ci-dessous), aurait, selon la chaîne américaine, été confirmé par l'ambassade de Grande-Bretagne en Egypte. Même s'il laisse sceptiques un certain nombre d'Egyptiens, gênés par le manque de détails temporels et géographiques, certaines incohérences de la narration et le ton volontiers ironique adopté par l'auteur, il correspond aux descriptions données par les autres victimes.
"Quel que soit le fin mot de l'histoire, et les doutes que j'ai sur son récit, prévient Yara Sallam, directrice du programme de défense des droits des femmes à l'ONG Nazra pour les études sur les femmes, cela ne doit pas masquer la réalité de ces attaques", qui, selon beaucoup de femmes, seraient de plus en plus fréquentes.
"DES HOMMES AUX REGARDS D'ANIMAUX"
Violée le 2 juin place Tahrir, C., bien qu'étrangère, souhaite garder l'anonymat. Ce qu'elle décrit correspond exactement au récit de Natasha Smith : "Les hommes étaient comme des lions autour d'une pièce de viande, leurs mains partout sur mon corps et sous mes vêtements déchirés. Leurs regards étaient ceux d'animaux. Pas humains du tout, ils me jetaient à droite et à gauche comme si j'étais un sac-poubelle, pas un humain."
Ni elle ni ses deux amies, qui ont subi le même sort au même moment, n'ont porté plainte, faute de pouvoir reconnaître leurs agresseurs. Elles se sont contentées de témoigner auprès d'ONG locales. De toute façon, la loi ne considère pas ces agressions comme des viols, mais comme du simple "harcèlement sexuel", dont les victimes sont systématiquement découragées et dénigrées par les policiers.

"Ces attaques sont calculées et organisées pour effrayer les femmes et les chasser de la sphère publique", affirme un rapport publié par Nazra. "Il est très difficile d'accuser l'armée ou l'Etat d'envoyer des voyous sur la place commettre ces agressions pour ternir l'image des révolutionnaires, explique Yara Sallam, mais le fait que, la plupart du temps, ces agressions se produisent au même endroit [devant le restaurant Hardees] les rend très louches. Comment croire que tous les frustrés du Caire se trouvent en même temps au même endroit ? Cela ressemble plutôt à un traquenard. Cela dit, ces viols ne seraient pas possibles sans un climat général de tolérance vis-à-vis du harcèlement sexuel."
PLACE TAHRIR, LIEU DE "BAGARRES DE RUE"

De fait, aucune enquête n'aurait été déclenchée. Et le sujet alimente un débat brûlant en Egypte, même s'il est absent des colonnes des journaux. On sait parfaitement qu'il déchaîne les passions en Occident, où l'islam est volontiers incriminé. Or le contexte général d'insécurité qui règne sur la place Tahrir n'est sans doute pas étranger à ces agressions. A la nuit tombée, la place se transforme en un lieu interlope où vendeurs ambulants, souvent accusés d'espionnage, hommes ayant élu domicile sous les tentes et baltagas ("voyous") cherchent la bagarre. Les hommes, eux aussi, y sont victimes de vols et d'agressions.

"L'augmentation des agressions sexuelles n'est pas étonnante dans le contexte actuel, estime Yara Sallam. La présence de l'armée dans la rue contribue à normaliser la violence dans la société, cela rend les gens plus agressifs en général. Il y a beaucoup de bagarres de rue."
Et de souligner les agressions sexuelles répétées commises par les militaires égyptiens contre les manifestantes qui ne peuvent qu'encourager une telle violence, par ailleurs déjà signalée sous le régime Moubarak.

L'objectif affiché par Sanda Ould Boumama, porte-parole d'Ansar Dine à Tombouctou, est de détruire tous les mausolées de la ville, "sans exception". Samedi, au moins trois mausolées avaient d'ores et déjà été détruits à coups de pioches, de houes et de burins, aux cris de "Allah akbar !" ("Dieu est grand!"), ont rapporté des témoins.

Vue d'une des mosquées de Tombouctou, en mai 2010.

Des islamistes d'Ansar Dine, un des groupes armés contrôlant le nord du Mali, ont démoli samedi 30 juin plusieurs mausolées de saints musulmans à Tombouctou, en représailles à la récente décision de l'Unesco de classer cette ville mythique patrimoine mondial en péril.


Le premier sanctuaire visé a été celui de Sidi Mahmoud, dans le nord de la ville, qui avait déjà été profané début mai par des membres d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), un allié d'Ansar Dine, ont raconté des habitants joints depuis la capitale, certains sous le choc.
"Aujourd'hui, au moment où je vous parle, les islamistes d'Ansar Dine ont fini de détruire le mausolée du saint Sidi Mahmoud. Ils ont cassé (et) fait tomber le mur" de clôture du site, "c'est très grave", a déclaré en pleurant un des témoins.
Les islamistes se ont ensuite attaqué tour-à-tour aux mausolées de Sidi Moctar, dans l'est de la ville, puis celui d'Alpha Moya, qui ont tous deux été détruits.
"NOUS, NOUS SOMMES MUSULMANS. L'UNESCO, C'EST QUOI ?"
Ce projet de destruction totale des mausolées est une réponse à la décision de l'Unesco, annoncée jeudi, de placer Tombouctou, depuis 1988 au patrimoine mondial de l'humanité, sur la liste du patrimoine en péril, d'après le porte-parole d'Ansar Dine. "Dieu, il est unique. Tout ça, c'est 'haram' (interdit en islam). Nous, nous sommes musulmans. L'Unesco, c'est quoi ?", a-t-il dit, ajoutant que Ansar Dine réagissait "au nom de Dieu".
Image suivante
Tombouctou, ville du nord du Mali contrôlée depuis fin mars par les islamistes, a été inscrite jeudi 28 juin sur la liste du patrimoine mondial en péril par l'Unesco, à la demande du gouvernement malien.
Crédits : REUTERS/LUC GNAGO / LUC GNAGO
1 sur 8
Selon le site Internet de l'Unesco, Tombouctou compte "16 cimetières et mausolées qui étaient des composantes essentielles du système religieux dans la mesure où, selon la croyance populaire, ils étaient le rempart qui protégeait la ville de tous les dangers".
Fondée entre le XIe et le XIIe siècles par des tribus touareg, et surnommée notamment "la cité des 333 saints", elle a été un grand centre intellectuel de l'islam et une ancienne cité marchande prospère des caravanes. Tombouctou est également célèbre pour ses dizaines de milliers de manuscrits, dont certains remontent au XIIe siècle, et d'autres de l'ère pré-islamique. Ils sont pour la plupart détenus comme des trésors par les grandes familles de la ville.
Environ de 30 000 de ces manuscrits qui étaient conservés dans un institut gouvernemental ont été déplacés et "sécurisés" ailleurs, après le saccage de lieux par des islamistes en avril, d'après des bibliothécaires.
En annonçant jeudi sa décision de placer la cité sur la liste du patrimoine mondial en péril, de même qu'un site historique de Gao (nord-est), l'Unesco avait alerté la communauté internationale sur les dangers qui pèsent sur la cité.

"Nous venons juste d'apprendre la nouvelle tragique des dégâts sans raison causés au mausolée de Sidi Mahmoud, dans le nord du Mali", a déclaré Alissandra Cummins, présidente de l'Unesco, dans un communiqué, appelant toutes les parties impliquées dans le conflit à Tombouctou à "exercer leurs responsabilités".

Des membres d'Ançar Eddine, priant dans le désert, en mai 2012.

En plus de Tombouctou (nord-ouest), Gao et Kidal (nord-est), les trois régions formant le Nord, sont sous le contrôle des islamistes divers groupes armés qui ont profité de la confusion créée à Bamako par un d'Etat militaire le 22 mars.
La démolition des mausolées de Tombouctou par les islamistes rappelle le sort d'autres ouvrages du patrimoine mondial, dont les Bouddhas de Bamyan, dans le centre de l'Afghanistan, détruits en mars 2001 par les talibans et leurs alliés d'Al-Qaïda. En Afrique de l'Est, les islamistes somaliens shebab ont détruit de nombreux mausolées de mystiques soufis dont la mémoire était vénérée par les populations locales.
TERGIVERSATIONS SUR L'ENVOI D'UNE FORCE RÉGIONALE
L'Afrique de l'Ouest a appelé vendredi le Conseil de sécurité de l'ONU à "accélérer" en vue de l'adoption d'une résolution autorisant l'envoi d'une force régionale au Mali contre les groupes armés, surtout islamistes, qui contrôlent le Nord.
La Cédéao prépare depuis plusieurs semaines l'envoi éventuel d'une force dans le pays, dont l'effectif est actuellement fixé à quelque 3 300 hommes. Mais elle a besoin, avec l'Union africaine (UA), d'un soutien international à une telle opération, et d'un appui notamment logistique des Etats-Unis et de la France. Un premier projet a été jugé beaucoup trop imprécis au Conseil de sécurité de l'ONU, et la Cédéao revoit sa copie. Les Etats-Unis ont d'ailleurs adressé vendredi une mise en garde contre une "entreprise très lourde pour la Cédéao", qui devrait être "préparée très soigneusement et disposer de ressources en conséquence".
Les chefs d'Etat de la Cédéao ont réaffirmé leur préférence pour la négociation – confiée au président burkinabè et médiateur Blaise Compaoré – mais réitéré leur choix d'une intervention armée si nécessaire.