lundi 25 juin 2012

Géographie électorale: la France coupée en deux

La gauche a gagné les législatives, mais il est impossible de traverser le pays d'un bout à l'autre sans croiser un député UMP. Une occasion pour l'ancien parti majoritaire de redessiner le pays à la sauce Balkans/Gaza/Berlin-Est.

Faute d'avoir pu obtenir un laisser-passer pour le Var, le président Hollande a décidé de passer ses vacances sous le soleil de Tulle-Plage. REUTERS/Caroline Blumberg. - Faute d'avoir pu obtenir un laisser-passer pour le Var, le président Hollande a décidé de passer ses vacances sous le soleil de Tulle-Plage. REUTERS/Caroline Blumberg. -

Regardez la carte de France après les législatives des 10 et 17 juin: du rose partout, quelques taches de bleu ici ou là. Victoire donc, d’autant plus écrasante que la gauche a tous les pouvoirs. Sauf un, celui du péage.


Car la gauche a encore une fois a péché par naïveté. Certes, la droite ne détient que 229 circonscriptions mais leur organisation géographique les rend redoutables. La vague rose qui a emporté l’Assemblée ce 17 juin a fait une invisible victime, l’électeur socialiste lui-même. En effet, il n’est pas possible de traverser la France sans passer par une circonscription de droite. Absurde?
Faites donc le test. Partez de Lille ou de Rouen et tentez d’aller à Biarritz ou Marseille, voire à Strasbourg. Essayez de relier Brest à Nice. Il y aura toujours un député UMP sur votre route. Et si vous voulez rallier l'Italie depuis Biarritz, vous pourrez éviter les circonscriptions de droite mais devrez passer par une enclave verte, la 9e circonscription de l'Isère tenue par Michèle Bonneton (EELV): et l’UMP sait que les écolos s’amadouent facilement en échange de quelques postes honorifiques où il peuvent dire tout le bien qu’ils pensent des pétards...
Flippant.

Hollande a tous les pouvoirs, c’est historique, mais il a négligé la géographie.

Pour la droite, il est temps de profiter de cet avantage stratégique pour empêcher le PS de gouverner. Pour cela, rien n’est plus simple: l’UMP doit déclarer l’autonomie des territoires qu’elle détient et ériger des frontières (barbelés ou murs, c’est à la mode). Bref, couper vraiment la France en deux.

Acte 1: l’UMP organise son espace sans gêne

A l’entrée de ses circonscriptions, l’UMP établira des postes-frontières, rétablira l’octroi et multipliera les petites vexations. Bref, le parti vaincu retiendra la leçon d’Astérix et de Charles de Gaulle: refuser la défaite et entrer en résistance.
Sans gêne aucune, les députés sécessionnistes organiseront le contrôle au faciès électoral. Ils établiront un système de permis de séjours ou de visas pour maîtriser les flux migratoires —c’est le genre de dossiers qu’ils connaissent par cœur.

Les électeurs socialistes obtiendront rarement (mais chèrement) un visa touristique de 24 heures. Aux électeurs frontistes, on délivrera un permis de séjour à validité permanente. Pour regagner Lyon, Najat Vallaud-Belkacem se verra traînée dans un centre de rétention. Les électeurs du MoDem obtiendront un statut de réfugiés après avoir abjuré publiquement leur foi en Bayrou. Tous ou presque patienteront des heures durant dans des check-points arbitraires.

On entrera difficilement dans l’UMP-Land; on en sortira parfois.

Acte 2: un été pourri

Dans un premier temps, l’UMP s’en tiendra à des mesures symboliques. Dès juillet, la horde des vacanciers courra acheter des glaces à Saint-Trop’. Raté: l’UMP s’empressera de bloquer le passage des TGV et de fermer les autoroutes. Il suffira pour cela d’isoler l’Ile-de-France, ce que la carte permet aisément. Pour se financer, l’UMP percevra les péages (qui sont dans ses circonscriptions) et bloquera les automobilistes après.

Les ministres seront également privés de leur farniente glamour, qui au Lubéron, qui à Aix, qui à l’île de Ré. Terrible humiliation, François ne pourra emmener Valérie à Brégançon; dans le Var, l’UMP a fait le grand chelem. D’ailleurs, ses week-ends à la Lanterne sont d’ores et déjà compromis, la circonscription étant celle de François de Mazières (UMP, Versailles). Le voici contraint de passer ses vacances à Tulle-Plage #vdm
Parce qu’elle contrôle la France du nord au sud, l’octroi et les péages assureront à l’UMP de copieuses recettes, qui compenseront largement son malus-parité. Qui plus est, la droite contrôlant, par une ceinture habilement ordonnée, la quasi-totalité des points d’accès à la Suisse, cet argent sera vite placé dans des endroits sûrs.

La couleur politiques des circonscriptions des départements frontaliers de la Suisse (Haut-Rhin, Territoire de Belfort, Doubs, Jura, Ain et Haute-Savoie).
Seule exception rose, la 4ème circonscription du Doubs, gagnée par Pierre Moscovici, sera un lieu de passage sécurisé pour les exilés fiscaux repentis comme Yannick Noah —mais ceux-ci devront s'y installer, une barrière bleue infranchissable la séparant du reste du pays. Heureusement, il y a un tennis-club à Hérimoncourt.

En bloquant de temps en temps le passage des cyclistes, l’UMP dénaturera le Tour de France. Dans l’urgence, le gouvernement se trouvera contraint d’annoncer un tour du quart de France (dans le Sud-Ouest).

Acte 3: la prise de l’Elysée

Dans une logique de fermeté progressive, l’UMP assoiera ensuite son pouvoir sur Paris. A l’image de Berlin, la capitale sera en effet coupée en deux.

La couleur politique des circonscriptions parisiennes et la position de l'Elysée
En faisant appel à Bouygues, un mur de droite pourra être construit rapidement, en une nuit, par exemple celle du 13 août. Tout en protégeant les électeurs des circonscriptions UMP, ce mur privera Hollande de quelques ministères, dont celui de l’Intérieur et, surtout, de l’Elysée (1re circonscription). Désormais, les conseils des ministres se tiendront à la salle des fêtes de Tulle et il faudra réserver.

Aussitôt, la plupart des lignes de métro et de RER seront coupées, certaines stations fermées, des miradors érigés ici ou là. A Tuileries, terminus, tout le monde descend. Paris brisé, Paris outragé? Non: Paris-Est et Paris-Ouest. Objectif caché: faire de Paris-Ouest une vitrine. C’est ainsi que les Allemands de l’Est, par le capitalisme alléché, firent un jour tomber le mur. Qu’importe s’il faut attendre 28 ans!

Si d’aventure, Valérie Trierweiler était chez elle la nuit du 13 août tandis que François jouait au G20 ailleurs, elle pourrait se retrouver prisonnière de Paris Ouest (15ème arrondissement) et donc séparée de son amoureux. Magnifique scénario people que celui d’une First Ossie envoyant des tweets déchirants derrière l’implacable rideau de fer.

Acte 4: le brunch aux rutabagas

L’offensive de l’UMP ne s’arrêtera pas là. Le blocus plongera bientôt la France (plus de RER A = plus personne à La Défense) dans un chaos économique total, dont la responsabilité échoira naturellement aux socialistes. Puis, en bloquant l’accès à Rungis, Paris sera progressivement affamé. Les rares AMAP et les épars jardins bios en terrasse montreront vite leurs limites gadgetées.

A Paris-Est, le bobo sera contraint de bruncher au rutabaga. La nuit, il subtilisera des selles de Vélib’ qu’il fera bouillir pour nourrir ses faméliques enfants.

Evidemment, le gouvernement organisera un pont aérien (avec des avions de transport low-cost) pour nourrir ses électeurs. Comme le Sud-Ouest est totalement PS, les Rosinenbomber seront surtout chargés de maïs et de foie gras. Autant dire qu’au bout de trois semaines de largages, le bobo criera misère pour une betterave de droite bien juteuse.

Détenant 10 centrales nucléaires sur 19, l’UMP a entre les mains un beau joujou. Par exemple, les députés pourront jouer à éteindre la lumière à tout moment, juste pour embêter. Et, à Fessenheim (Haut-Rhin), Michel Sordi s’opposera non seulement à la fermeture de la centrale mais fera construire quelques dizaines d’EPR autour, comme ça, pour agacer.

Acte 5: la fin de la normalitude

Dans cette France morcelée, le président normal reverra de fond en comble sa politique des transports. D’abord, il devra rejoindre Tulle… en avion, pour ne pas subir l’humiliation d’une demande de visa. C’est jouable. L’aérodrome de Brive est à quelques encablures de Tulle et, à Orly, il y a du low-cost. De toute façon, Villacoublay, jalousement gardé par Valérie Pécresse, est exclu. Voilà pour les déplacements présidentiels.

Si le gouvernement entend rester «normal», c’est-à-dire faire comme tout le monde et perdre un maximum de temps dans les transports en commun, il devra se résoudre à instaurer un service de bateau-bus qui longera les côtes du nord et de l’Atlantique, le train et la route étant désormais sous contrôle UMP.

On connaît la fameuse blague du Grand O’ de l’ENA.
«Vous devez aller de Casablanca à Alexandrie en bateau. Quels pays africains longez-vous ?
—Facile : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et enfin l’Egypte.
—Non, non. Dans l’autre sens.»
Eh bien, c’est à ce genre d’exercices que les chefs de cabinet des ministères passeront désormais le plus clair de leur temps:
«Alors, si je veux aller de Fralib à Seafrance, on doit prendre le bateau? Tu te fous de moi?
—Tu sais bien que l’avion nous est interdit...
—Bon, ok. Trouve-moi un port à gauche. Préviens qu’on aura un peu de retard.»

Epilogue: la vraie France

Pendant que la France rose fêtera ses congés payés permanents (le chômage serait ainsi rebaptisé), les opulentes enclaves UMP attireront des talents, créeront des richesses, abonderont en emplois. Un audacieux système fiscal (plus d’impôt, l’octroi finance tout), la généralisation des OGM et des gaz de schiste, une City dans chaque sous-préfecture, feront de ces circonscriptions des mini-Qatars.

Soucieuse de légitimité, la France libre-UMP se trouvera une capitale. Paris, comme Berlin autrefois, serait exclu, dans l’attente de la réunification. Neuilly? Sympa, ouais mais un peu trop marqué. Vichy? Impossible: la circo est tenue par le PS. Tout comme Londres, les Français de l’étranger ayant rosi la capitale gaulliste.
Le plus simple serait que le gouvernement de résistance s’installe à La Rochelle. Et, juste pour le LOL, confie aux jeunes pop’ l’organisation de l’université d’été du PS.
Jean-Marc Proust


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