mardi 28 août 2012

Google étend son empire sur la Toile

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Les bureaux de Google, dans le centre de San Francisco, en Californie, en mars 2008. | ERIN SIEGAL/REUTERS

On l'avait presque oublié, on l'avait cru perdu, dépassé par l'étoile filante Apple, ringardisé par les nouveaux arrivants Facebook, LinkedIn ou même Groupon. Pourtant, à l'ouverture, le 31 août prochain, de l'IFA, grand-messe annuelle de l'électronique grand public à Berlin, Google risque de gentiment se rappeler à notre souvenir et montrer aux observateurs de quel bois il se chauffe.

A cette occasion, le moteur de recherche devrait officiellement lancer sa Google TV en Europe. Un boîtier permettant de profiter de manière révolutionnaire de tous les services de Google directement sur sa télévision, pour peu qu'elle soit connectée bien sûr. Annoncée avant l'été, sa propre tablette, la Nexus 7, devrait, par ailleurs, faire son arrivée sur le Vieux Continent dans quelques jours. Sans oublier le rachat au creux de l'été du célèbre guide de voyage américain Frommer's pour se renforcer sur le segment du tourisme en ligne.
Certes, il ne s'agit plus de la start-up des années 2000, celle qui balayait tout sur son passage et attirait les plus brillants talents. Google est désormais une lourde machine, lestée depuis l'acquisition de Motorola de plus de 54 000 employés. Mais la mécanique est désormais bien huilée, et la jeune pousse, devenue plante tentaculaire, poursuit sa conquête du Web.
Contrairement aux Facebook et autres Groupon, dont le modèle économique ne semble pas certain, celui de Google reste d'une efficacité redoutable : tous les trimestres ou presque, malgré la crise, son chiffre d'affaires et ses profits continuent à progresser de 20 % à 30 %. Sa marge opérationnelle devrait, elle, encore atteindre 40 % en 2012, selon les estimations des analystes.
La poule aux oeufs d'or, c'est la publicité. Celle-ci représente 95 % des revenus de l'entreprise. Selon Brian Wieser, analyste de la société Pivotal, sur ce marché, le groupe se taille d'ailleurs la part du lion : il devrait capter plus de la moitié du total des dépenses des annonceurs en ligne cette année (hors Chine)...
UN MOTEUR DE RECHERCHE RENTABLE
Tout l'édifice, ou presque, repose sur la pertinence du moteur de recherche, premier service proposé par Google lors de sa création en 1998. Un outil qui a beaucoup évolué ces dernières années. Le souci : répondre le plus vite possible aux requêtes des internautes sur une Toile où la quantité de données explose.
La concurrence s'est pourtant intensifiée, avec notamment Bing, le moteur de Microsoft, qui monte doucement en puissance. Enfin, les comportements des internautes changent eux aussi. Connectés en permanence à Facebook ou Twitter, certains utilisent moins Google, trouvant les réponses à leurs questions à l'intérieur même de ces réseaux sociaux.
Pour pallier ces différents problèmes, Google a procédé à des évolutions majeures de son algorithme, visant à expurger des réponses les liens jugés non pertinents (agrégation de contenus, sites piratés...) et à déjouer les ruses des petits malins qui cherchent tous les moyens pour s'afficher en tête de liste. Résultat, le moteur a conservé son avance, avec une part de marché de près de 70 % des requêtes sur le Web.
C'est justement grâce à cette énorme audience que Google vend si bien ses fameux "liens sponsorisés". Ceux-ci se divisent en deux catégories. Il y a d'abord les "AdWords". Placés en haut à droite ou au-dessus des liens de réponse "non commerciaux", ils sont achetés par les annonceurs par l'intermédiaire d'un système d'enchères de mots-clés très rodé, perfectionné mais simple d'utilisation. Sur le même principe, les annonceurs peuvent acheter les liens "AdSense" qui, contrairement aux premiers, apparaissent sur des sites clients de Google.
Depuis leur mise en place au début des années 2000, ces liens ont permis à Google, d'accéder à un marché considérable mais quasiment vierge sur le Web : celui des myriades de PME à qui la publicité classique est inaccessible financièrement. Selon Pivotal, Google contrôle les trois quarts du marché des liens sponsorisés sur Internet (hors Russie et Chine). Des formats qui représentent, selon James Dix de la banque Wedbush, 90 % de ses profits opérationnels.
L'INCROYABLE MACHINE YOUTUBE
Depuis des années, une chose obsède Google : diversifier ses sources de revenus. Le moteur de recherche y arrive avec un certain succès. Son premier relais de croissance, c'est la publicité dite "display", à savoir les bannières et les vidéos. En quelques années, le groupe de Mountain View est devenu l'un des acteurs majeurs de ces formats, taillant des croupières à Microsoft et Yahoo !
En 2011, le display a représenté plus de 10 % de son chiffre d'affaires, selon Wedbush. Et ce, grâce à YouTube. Le groupe a racheté la plate-forme de vidéos en 2006, pour 1,65 milliard de dollars (1,32 milliard d'euros). A l'époque, certains jugeaient l'affaire cher payée. Aujourd'hui, YouTube est devenu une véritable machine de guerre, qui permet à Google de vendre des publicités "classiques" mais aussi de capter une partie des dépenses que les annonceurs consacrent à la télévision.
Au début, pourtant, le monde de YouTube tenait plutôt du "Far West". Beaucoup de contenus piratés et peu d'annonceurs ! Mais, peu à peu, la plate-forme s'est muée en un véritable "Network", avec 30 000 partenaires éditeurs de contenus audiovisuels, des dizaines de chaînes thématiques, et même de la vidéo à la demande.
Pour ce faire, elle a su normaliser ses relations avec les ayants droit (les sociétés d'auteurs comme la Sacem, la SACD... en France, en 2010). Désormais, les audiences étant considérables (800 millions de visiteurs uniques mensuels), la publicité afflue.
Selon une étude Pivotal du mois de février, le chiffre d'affaires de YouTube devrait atteindre 1,3 milliard de dollars en 2012, soit 25 % du total des dépenses publicitaires dans la vidéo en ligne ! "Si Google, avec Google TV, arrive à s'imposer comme un portail sur la télévision, YouTube pourrait lui permettre d'y vendre directement de la publicité", indique Kerry Rice, analyste pour la société de Bourse Needham.
Google, perçu par beaucoup comme un "big brother" sans foi ni loi, a mené ce travail avec YouTube en impliquant l'ensemble de l'écosystème. Résultat, les relations avec les éditeurs de contenu se sont en grande partie apaisées et un règlement à l'amiable est même probable dans l'enquête pour abus de position dominante menée par Bruxelles.
En France, où le débat sur l'opportunité d'une "taxe" Google est récurrent, l'américain a voulu donner des gages aux politiques. Il a notamment investi dans un siège social de 10 000 m2, derrière la gare Saint-Lazare à Paris, embauché 100 ingénieurs en 2011 et inauguré un centre culturel qui devrait ouvrir au public début 2013. "On veut prendre nos responsabilités, jouer le jeu", note Olivier Esper de Google Europe.
Une des forces de Google est, en outre, l'intention précise avec laquelle les internautes utilisent ses services. Lorsqu'on tape une recherche sur le moteur, l'acte d'achat n'est souvent pas très loin. D'où l'intérêt pour les annonceurs. Une situation qui contraste avec celle de Facebook. "Pour les marques, Google, c'est un canal de vente, Facebook, de marketing", estime Mme Rice.
LE MOBILE RAPPORTE ENFIN
Ces recettes publicitaires, Google a choisi de les appliquer prudemment au mobile, dont il est aujourd'hui l'acteur dominant avec Apple. James Dix, de Wedbush, enfonce le clou : "Le téléphone aime Google. Ses services (la recherche, la cartographie, etc.) y sont particulièrement pertinents. Le mobile pèse presque 10 % des revenus publicitaires de Google."
Un succès que Google doit à son système d'exploitation Android. Cédé gratuitement aux constructeurs, celui-ci a colonisé les smartphones, se taillant 68,1 % de part de marché, selon le cabinet IDC, loin devant iOS, le système d'Apple (16,9 %), qui équipe les iPhone et les iPad. Le pari de Google ? Utiliser Android pour standardiser les différents modèles de machines en circulation, préparant ainsi le terrain pour une diffusion maximale de ses services.
Même logique pour la Google TV : l'écran de télévision est préparé afin de recevoir la panoplie des services Google et capter, autant que faire se peut, une partie du budget des annonceurs consacré à la TV. Pour l'instant, la Google TV n'a pas réussi à prouver sa puissance de frappe. Loin d'être naïves, les chaînes de TV ont flairé l'entourloupe et refusent que le moteur de recherche, adossé à son système d'exploitation, indexe leur contenu... pour l'instant.
La plupart des analystes estiment néanmoins que la marge de progression de Google sur la publicité est encore considérable. "Plein de budgets publicitaires consacrés à la presse papier et à la TV vont continuer de basculer en ligne : les audiences y sont plus fortes et l'impact des campagnes de publicité plus facile à mesurer", estime Kerry Rice. Selon Magna Global, les dépenses publicitaires en ligne devraient atteindre 87 milliards de dollars en 2012 et 130 milliards en 2016.
Ce qui n'empêche pas Google de tester d'autres modèles économiques : la conception de matériel ou même le commerce en ligne. A l'instar d'Apple, le géant californien propose un service centralisé de vente de contenus (vidéos, musique, jeux, livres) baptisé Google Play.
C'est d'ailleurs sous cette bannière que sera commercialisée sa tablette Nexus 7. "C'est pour nous un moyen de mieux connaître les comportements d'achat de nos utilisateurs", souligne Jamie Rosenberg, responsable monde de Google Play. "Sa plate-forme n'est pas bien conçue pour la vente en ligne. Mais quand on voit leurs services : la publicité locale, la géolocalisation, la cartographie, l'e-commerce prend tout son sens", juge Mme Rice.
Une stratégie de long terme ? Plutôt une "tentation" à la Apple, qui touche aussi d'autres sociétés, toutes fascinées par le niveau de rentabilité auquel est parvenu le constructeur avec son modèle totalement intégré.
Pour l'instant, Google est encore loin de ce contrôle absolu du produit. Android lui a en partie échappé. Il en existe désormais des dizaines de versions différentes, les concepteurs de téléphones s'étant approprié le logiciel. Côté matériel, ses expériences ne sont pour l'instant pas très concluantes. Les téléphones Nexus, bien que fabriqués par Samsung, n'ont pas brillé par leur succès commercial.
FAIBLESSES
Mais les jeunes pousses, même devenues arbres géants, ne montent pas jusqu'au ciel. La Chine et la Russie résistent farouchement à ses efforts. La concurrence est de plus en plus rude avec les autres titans du Web, tels Amazon ou Microsoft, à mesure que Google envahit leurs plates-bandes. Sa faiblesse dans les réseaux sociaux pourrait également finir par lui nuire. Comme Intel ou Microsoft avant lui, comme Apple aujourd'hui, Google est condamné à la paranoïa, s'il veut survivre.
Mais attention, répond Philippe Torrès, de l'atelier BNP Paribas, la firme fondée par Larry Page et Sergey Brin dans un petit local de l'université de Stanford, il y a quinze ans, peut encore surprendre. "Le sujet pour les dix ans qui viennent, c'est la distribution. Pour l'instant, la stratégie de Google n'est pas très claire. Mais il a l'ADN pour défricher des domaines qu'il ne connaît pas. Peut-être que le groupe se positionne pour devenir le système d'exploitation du Caddie de demain ?"
James Dix est moins enthousiaste pour le long terme. Il pointe le risque d'un ralentissement de la croissance des revenus publicitaires. Les liens sponsorisés pourraient entrer en concurrence, selon lui, avec ces nouvelles techniques de marketing permises par le "traçage" du surf des internautes, qui consistent à leur offrir des réductions dès qu'ils semblent attirés par une marque. Un moyen redoutable de "zapper" le moteur de recherche. Comme au premier jour, l'avenir de Google est inscrit dans la formule mathématique sur laquelle il a bâti tout son succès.
A lire sur ce sujet Dans " Le Monde Eco & entreprise ", dans l'édition Abonnés du Monde.fr ou dans Le Monde daté mardi 28 août :
- Google étend son empire sur la toile, par Cécile Ducourtieux et Sarah Belouezzane.
- Une semaine sans Google, par Olivier Zilbertin.
- Dans les entrailles des " X-Lab ", par Sarah Belouezzane.
- Des usines dans le monde entier, par Florence Puybareau.
- Dangereuse innovation, par Philippe Escande.

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