jeudi 30 août 2012

La célébrité n'est plus ce qu'elle était

«Superstar» de Xavier Giannoli montre comment un homme ordinaire devient célèbre du jour au lendemain. Un reflet des transformations de la célébrité à l'ère de l'hypermédiatisation.

Kad Merad dans «Superstar» de Xavier Giannoli. - Kad Merad dans «Superstar» de Xavier Giannoli. -

Il y a 24 siècles, un certain Hérostrate, jeune homme éphésien, se rend devant le temple d’Artémis, l’une des sept merveilles du monde, et y met le feu. Arrêté, il est torturé et avoue son motif: il cherchait la célébrité, et avait trouvé là le moyen de l’atteindre. Efficace.
24 siècles plus tard, la soif de célébrité demeure, mais la nature même de la célébrité a changé. Plus besoin d’incendier un temple pour se faire remarquer: la célébrité est désormais accordée à tous indépendamment des valeurs portées par les individus, ou de la valeur de leur travail, de leur pensée…

Dans son film Superstar (dont Slate est partenaire), Xavier Giannoli livre une réflexion sur ce qu’est désormais cette célébrité, sur sa vacuité, sur l’hypermédiatisation qui l’alimente. Adapté très librement du roman L’Idole, de Serge Joncour, le film raconte l’histoire d’un homme (Martin Kazinski) qui se réveille célèbre un matin, comme dans La Métamorphose Gregor Samsa se réveille un jour en cafard. Dans le métro les badauds photographient Martin, le hèlent, lui réclament des autographes. Mais il n’a rien fait pour ça, cela n’a aucun sens.

Dans un entretien au Nouvel Observateur, Xavier Giannoli explique:
«Dans le film, des gens vouent sans raison un culte à un brave type, comme si la célébrité n'était plus l'expression d'une admiration mais un simple réflexe, excité par des médias eux aussi suiveurs et aveugles, qui encouragent cette quête absurde dans le seul but de la truffer de pages ou d'écrans de publicité. Il s'agit bien d'une perte de substance, d'une perte de sens, d'un ciel bientôt sans étoiles, sans vraies «stars»».
Les stars désormais ne sont plus liées à un talent quelconque – celui d’expliquer le monde, celui de le faire rêver, celui de le transfigurer. Dans sa passionnante Histoire de la Célébrité, l’historien George Minois retrace la célébrité d’Hérostrate à aujourd’hui.
«Dans les époques les plus reculées, la célébrité était reliée au monde des dieux, de la religion: les héros», explique George Minois à Slate.fr. Ce qui s’est prolongé avec le christianisme: au Moyen-Age les gens célèbres sont les saints, les rois, censés avoir un lien privilégié à Dieu.
«A partir du 16e siècle, et surtout du 17e, la célébrité s’est sécularisée et les «grands hommes», les humanistes puis les philosophes du 18e siècle, sont ceux qui ont eu l’apanage de la célébrité, désormais attachée à des qualités humaines, des services rendus à l’humanité».
Au 20e siècle la célébrité moderne émerge. Avec la fin des grandes idéologies explicatives du monde, ce ne sont plus les penseurs qui ont la main sur la célébrité – ils la laissent peu à peu aux acteurs, chanteurs… «Désormais c’est la forme plus que le contenu de la célébrité qui demeure. Ce sont davantage des coquilles vides. Les anciens « guides » de l’humanité sont devenus des reflets de l’humanité. Qui sont fabriqués largement par les médias».

L’essor du people dans les médias

Dans Superstar, Xavier Giannoli met en scène une équipe de journalistes télé voulant faire venir Kazinski (Kad Merad) dans leur émission télé pour raconter son histoire –et en tirer un maximum d’audience. Ils sont odieux ces journalistes, avides, méprisants, médiocres, sans ambition intellectuelle pour leur public. Le producteur de l’émission (Louis-Do de Lencquesaing) lance à une de ses journalistes, qui a eu l’idée du «sujet» pour leur programme (Cécile de France):
«C’est toi qui a tout inventé à force de vouloir donner du sens.»
Si la presse à potins existe depuis le 18e siècle, c’est à partir de la télévision que tout s’accélère, «et l’intensité est nouvelle depuis les années 90, le grand moment dans la presse people où l’on voit la multiplicité des titres et l’augmentation des ventes, selon Christian Delporte, historien spécialiste d’histoire culturelle et des médias. Et le pic se fait au milieu des années 2000».
Comme George Minois, Christian Delporte se dit «frappé» par «l’absence de valeur» des nouvelles célébrités. Comme Kazinski (qui travaille dans une usine de recyclage de produits informatiques), ce sont des gens qui n’ont rien créé, rien réalisé, qui n’ont pas augmenté le monde de plus que de leur personne. A la différence de Mikael Vendetta, Kazinski est touchant et ne massacre pas la langue française. Mais il n’est pas tellement plus légitime que ce type se retrouve un beau jour propulsé sur un plateau télévisé, entre un rappeur et un artiste-performer.
«Tout est mélangé désormais» souligne Christian Delporte. «Vous ouvrez un magazine et vous trouvez pêle-mêle un ancien candidat de la téléréalité, une actrice et un homme politique».
Dans son essai précurseur Les Stars, Edgar Morin expliquait que les idoles d’une société disent beaucoup sur elle. George Minois rappelle un très important sondage fait au début du siècle dernier:
«A l’époque, en 1905-1906, Le Petit Journal demandait aux Français qui étaient les grandes célébrités du siècle précédent: il y avait eu des millions de réponses et in fine, les trois personnes les plus connues étaient Pasteur, Victor Hugo et Gambetta. Au début du 21e siècle un sondage du même genre a été organisé: les trois quarts des personnalités citées étaient des acteurs, des chanteurs, des présentateurs. On a abandonné aujourd’hui les grandes explications de l’existence et ce que l’on recherche, ce sont des gens qui aident à faire face au quotidien, des amuseurs

Fascination haineuse

«Les médias donnent beaucoup d’importance à des personnes qui ne sont connues que parce qu’elles sont passées à la télé, où elles ne sont passées pour rien d’autre que pour devenir célèbre», explique François Jost ,directeur du Centre d'études sur l'image et le son médiatiques (CEISME) et enseigne la sémiologie audiovisuelle. Les spectateurs se sont amusés de Loana (Loft Story), Giuseppe (Qui Veut épouser mon fils), Amélie (Secret Story) alors la presse people reprend leurs histoires comme celles des artistes quand leur vie connaît des péripéties. Et cette célébrité-là est fielleuse.
Loana, Amélie et Giuseppe.
«Dans l’ampleur qui est donnée par les médias, beaucoup de gens confondent célébrité et amour. Un certain nombre de personnes connues se croient aimées», poursuit François Jost:
«Cette recherche d’amour constante était possible chez de vraies stars, que les fans aimaient pour ce que ces stars apportaient, elles les faisaient rêver, leur offraient leur talent. Désormais on aime se foutre de leur gueule. On aime les détester».
Dans Superstar, le directeur de la chaîne sur laquelle passe Martin Kazinski propose à ce dernier de devenir un «héros» de téléréalité. Kazinski refuse et le directeur lui dit: «Mais les gens vous aiment!»  «Ce n’est pas de l’amour, répond Kazinski, c’est un malentendu». Il ne faut pas attendre longtemps avant que ces mêmes gens passent de l’amour à la haine.
«Les gens croient être célèbres pour eux-mêmes, ils ne sont qu’un produit d’appel. Une déception fondamentale est toujours imminente» souligne François Jost en employant ce même mot de «malentendu», ajoutant: «Ils se leurrent totalement».

L’avidité du public

Xavier Giannoli, lors d’un débat organisé par Slate, a souligné que les médias, s’ils ont concouru aux dérives de la célébrité, n’en sont pas les seuls acteurs. Dans Superstar, un présentateur interroge «C’est pas un peu facile de toujours accuser les journalistes?»
La foule et les médias se partagent la responsabilité, ils sont les deux facettes nécessaires et indissociables de cette célébrité hystérisée.
«Cette traque est devenue banale, c’est accepté de prendre des gens en photo dans la rue et de faire intrusion dans leur intimité», estime Christian Delporte. En 1963, raconte l’historien, un photographe de Paris Jour, journal people français, avait pénétré dans la chambre d’Edith Piaf, alitée, malade. «Ca avait été rejeté par la presse en masse. Aujourd’hui la violation de l’intime ne choque plus. Il y a sans doute une responsabilité des célébrités elles-mêmes, de la chanson et du cinéma, qui se font de la pub à travers de fausses photos volées. Mais le public est aussi avide de cela».
Récemment, à la suite de la rupture de Kristen Stewart et Robert Pattinson, l’actrice Jodie Foster a écrit une tribune dans le Daily Beast pour défendre la jeune femme, avec laquelle elle avait tourné Panic Room:
«A mon époque, avec de la discipline et de la force de caractère, vous pouviez encore atteindre une carrière de star et maintenir une vie privée authentique. Bien sûr, il fallait perdre en spontanéité dans la construction de cet équilibre (…). Mais vous pouviez au moins vous lever et dire ‘je ne participerai pas délibérément à ma propre exploitation. C’est fini désormais. Si j’étais aujourd’hui un jeune acteur ou une jeune actrice, débutant ma carrière dans cette nouvelle ère des médias sociaux, et sa saison de chasse autorisée, pourrais-je survivre? (…) Si je devais grandir dans cette culture médiatique, je ne crois pas que je pourrais survivre émotionnellement».

L’individu foule

Giannoli cite cette phrase de Victor Hugo: «Souvent la foule trahit le peuple». Dans son film, il la montre à l’œuvre, cette foule, poursuivant un homme, traqué, pour le prendre en photo.
La foule, comme explique toute la sociologie s’étant penchée dessus, est autre chose que la somme des individus qui la composent. Cela a été montrée quantité de fois au cinéma. Mais Giannoli montre une foule nouvelle – la foule moderne. Alors que la foule est normalement aveugle, pensant en commun ou plutôt ne pensant pas mais agissant en commun, la foule de Giannoli, armée de téléphones portables, produit du contenu comme un individu. Elle agit comme une masse automate, mais en résulte une création humaine, individuelle. Elle combine donc l’hystérie de la foule et le pouvoir créateur d’un individu et devient ainsi un média informe, inquiétant.  
Superstar ©Wild Bunch
Dans son ouvrage De la Visibilité, la sociologue Nathalie Heinich explique que «le déferlement mondial des téléphones portables, ainsi que l’adjonction d’une possibilité d’enregistrement et de transmission des images […] amènent une nouvelle et dernière (mais sans doute pas ultime) étape dans l’accès électronique aux statuts conjoints – et désormais quasi indiscernables – de producteur, diffuseur et consommateur de visibilité.»
La célébrité semble être désormais l'Hydre de Lerne, avec ses têtes multiples: plus puissante, plus énorme, plus incontrôlable et plus effrayante. «Ce sont non seulement les publics des célébrités qui ont été multipliés à une échelle planétaire et dans une temporalité quasi instantanée, mais aussi les candidats à une possible célébrité, dès lors que chacun a la possibilité de diffuser sur le Net sa propre image, sa voix, ses faits et gestes, ses opinions».
La seule consolation est la durée de cette célébrité. «Avant elle s’inscrivait dans la durée, désormais il y a un très fort turnover de notoriété, vous pouvez être oublié très rapidement». Le quart d’heure warholien s’est transformé en minute.
Charlotte Pudlowski

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