vendredi 31 août 2012

Les Pussy Riots, héritières des prophétesses Quaker ?




Les Pussy Riots sont un groupe contestataire russe de chanteuses Punk qui luttent, avec intelligence, courage et sens de la provocation, pour la libéralisation de la société et la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
A la suite d’une prière anti-Poutine dans la Cathédrale du Christ sauveur (21 février 2012), aussi provocante que le Christ chassant les marchands du temple, ces jeunes femmes, incarcérées depuis 5 mois, sont jugées à Moscou. Mardi 7 août 2012, le procureur a requis contre elles 3 ans de camp.
L’Eglise orthodoxe russe a plaidé pour la sévérité et a dénoncé un “crime pire qu’un meurtre”.
Les turbulentes chanteuses n’ont pourtant  assassiné personne, bien qu’elles n’y soient pas allées de main morte en osant se produire devant l’autel de LA cathédrale emblématique de Russie.
Leur porte-parole, la brillante NADYA TOLOKONNIKOVA (5 ans d’études de Philo), n’a rien d’une criminelle! Elle développe un discours construit, non-conformiste et percutant, qui passe très difficilement pour anti-chrétien. Les anglophones le liront avec intérêt sur ce lien.
 
Ci-dessus: Nadya Tolokonnikova derrière les barreaux
Dixit Nadya (je traduis): “Durant notre performance (2 minutes trente de “prière” punk dans la cathédrale), nous avons voulu exprimer notre inquiétude: le recteur de la cathédrale du Christ sauveur et la tête de l’Eglise orthodoxe russe (le patriarche) soutient un politicien qui réprime par la force la société civile (qui nous est chère)”. Aucun appel au fascisme dans ce plaidoyer dense et argumenté publié par Nadya Tolokonnikova! Aucune fin de civilisation non plus.
On peut même y voir, au contraire, un vibrant manifeste pour la liberté, qui mériterait même (on peut toujours rêver) une nomination pour le Prix Nobel de la Paix. Mais dans l’immédiat, il semble urgent pour le haut clergé orthodoxe et le haut clergé séculier d’Etat de faire taire cet esprit qui dérange. Ainsi que ses collègues, dont une mère de famille. Le baillon, et vite! Car ce que Nadya Tolokonnikova dénonce apparaît effectivement pire qu’un meurtre.
“Pire qu’un meurtre”: toucher au porte-monnaie et au pouvoir de l’Eglise russe
Elle cible en effet l’autocratie de Poutine et les compromissions persistantes d’une Eglise orthodoxe russe qui vit, entre autres, rappelons-le, des taxes sur les cigarettes et autres faveurs reçues du pouvoir politique. Non mais! Quelques années de prison, cela rééduquera ces effrontées, qui ont osé défier le patriarche Cyrille! Post-scriptum, ce dernier était surnommé “métropolite cigarette” lorsqu’il officiait à Smolensk “à cause du rôle actif qu’il a joué au moment de la pérestroïka dans le commerce du tabac et des spiritueux” (dixit Nathalie Ouvaroff-Blime).
Dénoncer l’union du trône et de l’autel? Impardonnable! Sacrilège!
Cela mérite bien trois ans de camp, non? C’est en tout cas la peine qui a été demandée pour l’instant par le procureur lors du procès de Moscou.
Héritage des prophétesses quakers
Dans le contexte de l’histoire du christianisme, il faut bien avouer que le courage prophétique des Pussy Riots renvoie à un gros malaise. Car enfin, une partie du christianisme européen, durant des siècles, a trempé dans les mêmes compromissions qui ternissent aujourd’hui l’image du patriarcat de Moscou et son chef suprême. Liens incestueux avec le pouvoir politique, accaparement subreptice des richesses (les dernières terres, en France, où le servage a été aboli ont été des propriétés d’abbaye), légitimation négociée des systèmes autocratiques.
Mais une autre partie du christianisme (à l’intérieur des Eglises existantes, où en réaction aux Eglises établies) a de longue date protesté, à la manière des Pussy Riots aujourd’hui, contre l’inacceptable. Que ce soit par des figures charismatiques de prêtres (François d’Assise) ou pasteurs (Wesley), des ordres religieux, des mouvements mystiques, des élans prophétiques, des réformes, les voix chrétiennes n’ont jamais complètement manqué pour contester ce que les Pussy Riots défient aujourd’hui.
 

“Nous ne sommes pas des ennemis du christianisme”
Aussi Nadya Tolokonnikova a-t-elle parfaitement raison de souligner que son point de vue n’est pas anti-chrétien. Dixit Nadya: “Nous ne sommes pas des ennemis du christianisme. Nous avons à coeur l’opinion des russes orthodoxes. Nous les voulons tous à nos côtés -du côté des activistes anti-autoritaires venus de la société civile. C’est la raison pour laquelle nous sommes allées à la cathédrale” (source en anglais).
Pourtant, on ne voit guère, pour l’heure, de responsables ecclésiastiques européens se précipiter pour la soutenir (étonnant? Ou pas?).
Mais on doit faire observer qu’au regard de l’histoire du christianisme européen, il y a toujours eu des voix prophétiques, y compris féminines, pour contester la collusion Eglise-Etat et la dérive autocratique. Non pas contre le “Christ Sauveur” (nom de la cathédrale orthodoxe où a eu lieu le “sacrilège), mais précisément à cause du “Christ Sauveur”.
Au sein du protestantisme (mon terrain de spécialisation), on pense en particulier au contexte effervescent de la Révolution de Cromwell, en Angleterre (160-1660), épisode trop peu connu en France, qui a vu le roi d’Angleterre décapité (en 1649). Cet épisode complexe a été marqué par une extraordinaire veine prophétique, au sein duquel les femmes ont joué un rôle majeur, prêchant parfois devant des publics mixtes.
L’historienne Phyllis Mack a ainsi dénombré 38 prophétesses en vue durant les années 1640-1650 en Angleterre.
Elle prêchent à domicile, exceptionnellement dans certains temples ou en pleine rue, devant des foules parfois considérables, n’hésitant pas à intervenir sur la scène politique au nom de l’Évangile. Ce qu’elles dénoncent? Le manque de liberté, y compris pour les femmes. L’oppression dont souffre le peuple. Et  les compromissions des puissants, y compris des puissances ecclésiastiques.
 
The Quakers meeting (gravure du XVIIIe siècle montrant une prophétesse qui prêche)

“Crime pire qu’un meurtre”, à l’époque déjà!
Le souvenir de ces prophétesses ne s’est pas perdu. A la fin du XIXe siècle, alors que Pierre Larrousse publie son Grand Dictionnaire Universel, machine à éduquer les masses aux valeurs laïques et républicaines, l’auteur ne peut cacher sa fascination devant cette prophétesse, qui “se rua toute nue dans la chapelle de Whitehall, en présence du protecteur Olivier Cromwell”, ou cette “autre quakeresse” qui “reçut du ciel l’ordre de se présenter devant le Parlement, une cruche en main, et de la briser en terre, en s’écriant : “Ainsi serez-vous mis en pièces!””.

Et si les Pussy Riots étaient des prophétesses d’aujourd’hui ?
Cliquez-ici pour soutenir les Pussy Riots
Source : Blog de Sébastien Fath
Sebastien-Fath



Références :
. Phyllis Mack, Visionary Women : Ecstatic Prophecy in Seventeenth Century England, Berkeley, University of California Press, 1992.
. Pierre Larousse, article “Quaker, eresse ou quakre, esse”, Grand Dictionnaire Universel, réimpression de l’édition de Paris 1866-79, Paris, Slatkine, 1982, t.13, 1e partie, p.490, p.489.
. Sébastien Fath, “La prédication féminine en protestantisme évangélique. Le “non-conformisme” à l’épreuve”, Hokhma, n°74/2000, pp.23-60 (38p).
. Fiodor DOSTOIEVSKI, le passage sur le GRAND INQUISITEUR, dans les Frères Karamazov: on n’a jamais rien écrit de mieux comme résumé de l’histoire chrétienne. (texte en accès libre ici: http://www.bible-service.net/site/657.html)



Chantée en plein coeur de la cathédrale orthodoxe du Christ Saint-Sauveur à Moscou le 21 février dernier, leur "prière punk" est adressé à la Vierge Marie pour demander le départ du pouvoir de Vladimir Poutine. Les Pussy Riot avaient toutefois été empêchées de la chanter en entier.
Voici une traduction des paroles de "Vierge Marie, chasse Poutine"  :
(Choeurs)
"Vierge Marie, Mère de Dieu, chasse Poutine
Chasse Poutine, chasse Poutine
(Fin des choeurs)
Soutane noire, épaulettes d'or
Tous les paroissiens rampent pour s'incliner
Le fantôme de la liberté est au ciel
La gay-pride est envoyée en Sibérie enchaînée
Le chef du KGB, leur saint patron,
Conduit des protestataires en prison sous escorte
Pour ne pas offenser Sa Sainteté
Les femmes doivent enfanter et aimer
Merde, merde, merde du Seigneur !
Merde, merde, merde du Seigneur !
(Choeur)
Vierge Marie, Mère de Dieu, deviens féministe
Deviens féministe, deviens féministe
(Fin des choeurs)
La louange de l'Église aux dictateurs pourris
La croix portée par une procession de limousines noires
Un professeur-prédicateur t'attendra à l'école
Va en cours - donne-lui de l'argent !
Le Patriarche Goundiaev croit en Poutine
Ce salaud ferait mieux de croire en Dieu à la place
La ceinture de la Vierge ne peut pas remplacer les mobilisations massives
Marie, Mère de Dieu, est avec nous dans la protestation !
(Choeurs)
Vierge Marie, Mère de Dieu, chasse Poutine
Chasse Poutine, chasse Poutine"
(Fin des Choeurs)





alekhina - Pussy Riot
alekhina - Pussy Riot -

Voici le texte écrit par Maria Alekhina une des Pussy Riot, lu à son procès par son avocate. Avec Nadejda Tolokonnikova et Ekaterina Samoutsevitch, elle a été condamnée à deux ans de prison. Les Inrockuptibles, solidaires des Pussy Riot.

Ce procès est exemplaire. Le pouvoir en rougira, et pas qu’une fois, et il en aura honte. Chacune de ses étapes est la quintessence de l’arbitraire. Comment notre démarche, à l’origine une action modeste et plutôt farfelue, s’est-elle muée en cet immense malheur ? Il est évident que, dans une société saine, ce serait impossible. La Russie, en tant qu’Etat, apparaît depuis longtemps comme un organisme rongé par la maladie. Et cet organisme réagit de manière maladive dès qu’on effleure l’un de ses abcès purulents. D’abord il passe longuement cette maladie sous silence. Ensuite, il trouve une solution en dialoguant. Et voici ce qu’il appelle un dialogue. Ce tribunal n’est pas simplement une mascarade grotesque et cruelle, il est le « visage » du dialogue tel qu’il se pratique dans notre pays. Au niveau social, pour aborder un problème par le dialogue, il faut une situation – une motivation. Ce qui est intéressant, c’est que notre situation a été, dès l’origine, dépersonnalisée.
Parce que, lorsque nous parlons de Poutine, ce n’est pas Vladimir Vladimirovitch Poutine que nous avons en vue ; c’est Poutine en tant que système créé par lui-même, cette verticale du pouvoir où pratiquement toute la gestion s’effectue à la main.
Et cette verticale ne prend pas en compte, ne prend absolument pas en compte, l’opinion des masses. Et, c’est ce qui m’inquiète le plus, l’opinion des jeunes générations. Et cela dans tous les domaines.
Dans ce dernier mot, je veux dire ma propre expérience, ma propre confrontation avec ce système. L’éducation, là où commence la formation de la personne sociale, ignore ce qui constitue cette personne. Mépris de l’individu, mépris de l’éducation culturelle, philosophique, mépris des connaissances élémentaires qui font une société civile. Officiellement, toutes ces matières sont au programme. Mais elles sont enseignées sur le modèle soviétique. Résultat : la marginalisation de la culture dans l’esprit de chaque individu, la marginalisation de la réflexion philosophique, et le sexisme érigé en stéréotype. L’homme-citoyen est un idéal balancé au fond du placard.
Toutes les institutions en charge aujourd’hui de l’éducation s’efforcent avant tout d’inculquer aux enfants les principes d’une existence automatique. Sans tenir compte de leur âge et des questions propres à cet âge. Elles inoculent la cruauté et le rejet de toute idée non conformiste. Dès l’enfance, l’homme doit oublier sa liberté.
J’ai une certaine expérience de l’hôpital de jour psychiatrique pour les mineurs. Je peux affirmer que tout adolescent qui, de manière plus ou moins active, fait preuve d’anticonformisme peut être aussitôt interné. Dans ces établissements échouent nombre d’enfants qui viennent d’orphelinats. Oui, dans notre pays, il est normal de placer en hôpital psychiatrique un enfant qui a voulu fuir l’orphelinat. Et de lui administrer des tranquillisants comme l’aminazine, qui était utilisée dans les années 70 pour mater les dissidents soviétiques.
Dans ces établissements, c’est la répression qui est privilégiée et non l’accompagnement psychologique. Le système est basé exclusivement sur la peur et sur la soumission inconditionnelle. Ces enfants deviennent inévitablement des enfants cruels. Beaucoup d’entre eux sont illettrés. Et personne ne fait quoi que ce soit pour y remédier. Bien au contraire. Tout est fait pour briser, tout est fait pour étouffer la moindre aspiration, le moindre désir de progresser. Ici, l’être humain doit se fermer et perdre toute confiance dans le monde.
Voilà ce que je veux dire : une telle conception de l’homme interdit la prise de conscience des libertés individuelles, y compris religieuses, et cela touche toute la population. La conséquence de ce processus, c’est la résignation ontologique, c’est-à-dire la résignation ontique socialisée. Ce passage, ou plutôt cette fracture, est remarquable en ceci que, si on l’examine dans un contexte chrétien, on s’aperçoit que les significations et les symboles se substituent en significations et en symboles exactement inverses. Ainsi, aujourd’hui, la résignation, qui est l’une des catégories essentielles du christianisme, est entendue ontologiquement non plus comme moyen de purifier, d’affermir et de conduire à la libération définitive de l’homme mais, au contraire, comme moyen de l’asservir. On peut dire, en citant Nikolai Berdiaiev : « L’ontologie de la résignation — c’est l’ontologie des esclaves de Dieu, non des enfants de Dieu. »
En ce qui me concerne, c’est quand je me suis lancée dans la lutte écologique pour la forêt de Krasnodar que j’ai pris conscience de la liberté intérieure comme fondement de l’action. Ainsi que de l’importance, et l’importance immédiate de l’action en tant que telle.
Je ne cesse de m’étonner que dans notre pays il faille rassembler plusieurs milliers de personnes pour faire cesser l’arbitraire d’un ou d’une poignée de fonctionnaires.
La réaction de milliers de gens de par le monde à ce procès est en est la preuve éclatante. Nous sommes toutes trois innocentes. Nous sommes innocentes, le monde entier le dit. Le monde entier le dit pendant les concerts, le monde entier le dit sur Internet, le monde entier le dit dans la presse et dans les parlements.
Les premiers mots que le Premier ministre britannique a adressé à notre président n’ont pas concerné les Jeux olympiques mais il lui a demandé : « Pourquoi trois jeunes femmes innocentes sont-elles en prison ? C’est une honte. »
Mais ce qui m’étonne davantage encore, c’est que les gens ne croient pas qu’ils puissent influencer le pouvoir de quelque manière que ce soit. Alors que nous organisions piquets et meetings pour défendre la forêt de Krasnodar, alors justement que je récoltais les signatures pour les pétitions, beaucoup de gens me demandaient, et avec un étonnement tout à fait sincère, qui ça pouvait intéresser… Oui, peut-être, d’accord, c’était la dernière forêt séculaire de Russie, mais qu’est-ce que ça pouvait bien leur faire, cette forêt dans la région de Krasnodar ? Ce bout de terre paumé. C’est vrai, qu’est-ce que ça pouvait leur faire que la femme de notre Premier ministre Dmitri Medvedev ait l’intention d’y faire construire une résidence ? Et de détruire l’unique réserve de genévriers de Russie ?
Voici comment réagissent les gens… Voici encore une preuve que les gens dans notre pays ont cessé de considérer que le territoire appartenait à ses citoyens. Ils ont cessé de se considérer comme des citoyens. Ils se considèrent tout simplement comme des masses automatisées. Ils ne comprennent pas qu’une forêt leur appartient même si elle ne se trouve pas à proximité immédiate de leur domicile. J’en viens même à douter qu’ils aient conscience que leur propre maison leur appartient. Si une excavatrice s’approche de l’entrée de leur immeuble, que l’on demande aux gens d’évacuer les lieux et qu’on leur dise : « Excusez-nous, nous allons démolir votre maison pour y construire la résidence d’un fonctionnaire », ils ramassent leurs affaires, leurs sacs et ils quittent leur maison. Et ils resteront là, dans la rue, en attendant tranquillement que le pouvoir leur dise ce qu’il faut faire. Ils sont absolument amorphes, c’est très triste.
Après plus de six mois passés dans une cellule, j’ai compris que la prison, c’était la Russie en miniature. C’est la même verticale du pouvoir, où le règlement du moindre problème passe par la décision exclusive et directe du chef.
En l’absence d’une répartition horizontale des fonctions et des attributions qui faciliterait considérablement la vie de chacun. En l’absence également de toute initiative individuelle. Ici, c’est le règne de la délation. De la suspicion mutuelle. En prison, de la même façon que dans le reste du pays, tout est basé sur la dépersonnalisation et sur l’assimilation de l’individu à sa fonction. Qu’il s’agisse d’un employé ou d’un détenu. Le règlement sévère de la prison, auquel on s’habitue rapidement, ressemble au règlement de la vie qu’on impose à chacun dès sa naissance. Dans le cadre de ce règlement, les gens commencent à s’attacher aux choses insignifiantes. En prison, c’est par exemple une nappe ou de la vaisselle en plastique qu’on ne peut se procurer qu’avec la permission du chef. Dehors, l’équivalent, c’est le statut social, auquel les gens sont particulièrement attachés. Ce qui m’a toujours beaucoup étonnée.
Il y a aussi quelque chose d’important, c’est le moment où l’on prend conscience de ce régime en tant que spectacle. Qui, dans la réalité, se traduit par le chaos, mettant à nu la désorganisation et la non-optimisation de la majorité des processus. Cela ne favorise pas le bon fonctionnement politique. Au contraire, les gens sont de plus en plus désorientés, y compris dans le temps et dans l’espace. Le citoyen, où qu’il se trouve, ne sait pas où s’adresser pour régler tel ou tel problème. C’est pour ça qu’il s’adresse au chef de la prison. Hors de prison, ce chef s’appelle Poutine.
Nous sommes contre le chaos poutinien qui n’a de régime que le nom. Nous donnons une image composite de ce système où, d’après nous, presque toutes les institutions subissent une mutation, tout en gardant leur apparence extérieure. De ce système qui détruit cette société civile qui nous est si chère. Nos textes, s’ils recourent au style direct, ne réalisent rien directement. Nous considérons cela comme une forme artistique. Mais la motivation, elle, est identique. Notre motivation reste identique dans une expression directe. Cette motivation est très bien exprimée par ces mots de l’Evangile : « Car quiconque demande, reçoit; et qui cherche, trouve ; et à celui qui frappe à la porte, on ouvrira. » Et moi, et nous tous, nous croyons sincèrement qu’on nous ouvrira. Aujourd’hui, hélas, on nous a enfermées. En prison.
C’est très curieux que les autorités, en réagissant à nos actions, ne tiennent absolument pas compte de l’expérience historique passée des manifestations d’hétérodoxie, d’anticonformisme. “La simple honnêteté est perçue dans le meilleur des cas comme de l’héroïsme. Et dans le pire, comme un trouble psychique », écrivait dans les années 70 le dissident Boukovski. Il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps et pourtant tout le monde fait comme si la Grande Terreur n’avait jamais existé, ni les tentatives de s’y opposer. Je considère que nous sommes accusées par des gens sans mémoire. Nombre d’entre eux disaient : « Il est possédé du démon, et Il a perdu le sens; pourquoi l’écoutez-vous? » Ces paroles, ce sont les juifs qui ont accusé Jésus Christ de blasphème qui les ont prononcées. Ils disaient : « Nous vous lapidons pour un blasphème » (Jean 10.33).
Il est remarquable que c’est précisément ce verset auquel fait référence l’église orthodoxe russe pour exprimer son avis sur le blasphème. Cet avis est dûment certifié sur un document versé à notre dossier criminel. En émettant cet avis, l’église orthodoxe russe se réfère à l’Evangile comme à une vérité religieuse immuable. L’Evangile n’est plus considéré comme un livre révélé, ce qu’il fut pourtant dès l’origine. L’Evangile est considéré comme un bloc de citations qu’on peut tirer et fourrer où bon vous semble. Dans n’importe quel document et à toute fin utile. Et l’église orthodoxe russe ne tient même pas compte du contexte dans lequel est employé le mot « blasphème ». En l’occurrence, il était appliqué à Jésus Christ.
Je considère que la vérité religieuse ne doit pas rester immobile. Qu’il est indispensable de saisir les voies immanentes pour l’évolution de l’esprit. Que les expériences de l’homme, ses dédoublements, ses fissurations doivent être pris en compte. Qu’il faut avoir vécu toutes ces choses pour se construire. Que c’est uniquement après avoir vécu tout cela que l’homme peut atteindre quelque chose et continuer à avancer. Que la vérité religieuse est un processus, et non un résultat définitif qu’on peut fourrer où bon vous semble. Et toutes ces choses dont j’ai parlé, ces processus, sont pensés par l’art et la philosophie. Y compris par l’art contemporain.
Une situation artistique peut, et se doit selon moi, comporter un conflit intérieur. Et je suis particulièrement irritée par toute cette « soi-disance » qui émaille les paroles de l’accusation lorsqu’elle mentionne l’art contemporain.
Je tiens à remarquer que les mêmes termes ont été employés lors du procès du poète Brodsky. Ses vers étaient désignés comme des « soi-disant » vers, mais les témoins ne les avaient pas lus. Comme une partie des témoins de notre procès, qui n’étaient pas présents lors de notre action, mais qui ont regardé le clip sur Internet. Il est probable que nos excuses soient également présentées par l’esprit généralisateur de l’accusation comme « soi-disant ». C’est une insulte. C’est un préjudice moral. C’est un traumatisme. Parce que nos excuses étaient sincères. Vous n’imaginez pas à quel point je regrette que tant de paroles aient été prononcées et que vous n’ayez toujours rien compris. Ou alors vous rusez, quand vous dites que nos excuses n’étaient pas sincères. Je ne comprends pas ce que vous voudriez encore entendre. Pour moi, c’est ce procès qui est un soi-disant procès.
Et je n’ai pas peur de vous. Je n’ai pas peur du mensonge, je n’ai pas peur de la fiction, je n’ai pas peur de cette mystification mal fagotée, je n’ai pas peur du verdict de ce soi-disant tribunal. Parce que vous ne pouvez me priver que d’une soi-disant liberté. C’est la seule qui existe sur le territoire de la Fédération de Russie. Ma liberté intérieure, personne ne pourra me l’enlever.
Elle vit dans le verbe, elle continuera à vivre quand elle parlera grâce aux milliers de gens qui l’écouteront. Cette liberté continue dans chaque personne qui n’est pas indifférente et qui nous entendent dans ce pays. Dans tous ceux qui ont trouvé en eux les éclats de ces processus, comme autrefois Franz Kafka et Guy Debord. Je crois, que c’est justement l’honnêteté et la puissance de la parole, et la soif de vérité qui nous rendront tous un peu plus libres. Cela, nous le verrons.
Maria Alekhina, 8 août 2012,
traduction Helmut Brent
Retrouvez ici tous les articles des Inrocks sur les Pussy Riot

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