dimanche 9 décembre 2012

L’organisation ne marche pas : Et si on essayait de faire confiance à l’auto organisation ?

faire confiance à l’auto organisation ?

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) - Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Un mythe sur l’entreprise continue de perdurer : pour bien fonctionner l’entreprise a besoin d’ordre, de contrôle et d’organisation.
Cela paraît sûrement à beaucoup une évidence. C’est même une profession « consultant en organisation ».
Imaginez par exemple qu’il faille définir le fonctionnement d’un système qui permettra à environ dix millions de personnes de manger trois repas par jour, et de disposer de réserves lui permettant de subvenir à ses besoins pour deux semaines. Quel serait ce système d’organisation ?
Réfléchissez un peu, imaginer les structures, les flux, les circuits, les règles, l’organisation…Soyez le consultant en organisation pour mettre en œuvre ce système complexe.
Pourtant, ce système n’a pas besoin d’être inventé ; il existe déjà : c’est celui d’une ville comme Paris, où la plupart des habitants se nourrissent régulièrement chaque jour.
Et qui a organisé ce système ?
Eh oui, personne…Ce système fonctionne de lui-même ; comme auto-organisé. Le grand organisateur du système n’existe pas. Il s’est mis en place par les initiatives multiples de chacun des membres.
Et si l’on y regarde bien, en fait, la plupart de nos entreprises sont aussi organisées : Il y a bien sûr souvent des procédures, des écrits, des processus, des organigrammes. Mais, on le sait bien, il y a aussi tout ce qui se passe dans l’entreprise, les initiatives, les petits arrangements, les employés qui se débrouillent, surtout les employés de terrain, ceux qui sont au contact chaque jour des clients, des fournisseurs, pendant que leurs chefs, leurs « managers » croient qu’ils contrôlent tout.
Alors, bien sûr, dans certaines entreprises, les chefs qui aiment l’Ordre ne supportent pas ces auto-organisés, et tentent de remettre tout ça au carré, en menant audits, et réorganisations successifs. Mais le système d’auto organisation sera toujours le plus fort, et ne disparaîtra jamais, car c’est lui qui permet que ça marche.
C’est en se convaincant de cette loi que l’on peut le mieux comprendre l’entreprise et comment elle peut devenir et rester performante. Harrison Owen est mon auteur préféré sur le sujet. Il a dû publier une dizaine d’ouvrages, dont « Wave Rider, Leadership for high performance in a Self-Organizing World ».
Pour lui, il ne s’agit plus d’admettre que l’auto organisation vaincra l’organisation par le haut, mais bien de la favoriser, de faire de l’ « auto organisation » le principe même de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise performante.
Car ce que l’on appelle les « managers » dans l’organisation sont parfois (souvent, dirait Harrison Owen) la cause des dysfonctionnements : en tentant de contrôler un système et des habitudes qui marchent tout seul (comme le système de nourriture de Paris), ils le dérèglent. Le manager est alors celui qui met « des bâtons dans les roues » de l’auto organisation.
Prenons le système de communication de l’entreprise : celui qui marche le mieux, on le connaît bien. Ça se passe devant la machine à café, en bas de l’immeuble, dehors, entre les fumeurs. Système merveilleux qui fait circuler l’information avec une efficacité redoutable. Comme les managers aimeraient contrôler tout ça, ils tentent de le supprimer, et redoublent d’efforts pour imposer leur propre système de communication. Mais on sait bien qu’ils n’y arriveront jamais. Car plus ils poussent leur système imposé, plus l’autre, l’informel, se rebelle, et fait circuler des informations inverses. Dans certaines entreprises, c’est devenu une véritable maladie qui mine l’entreprise, son efficacité, sa performance. On croit avoir un problème avec le système de communication, alors que le meilleur système de communication existe dans l’entreprise, c’est celui auto organisé, mais le problème, c’est son contenu….Si nous étions capables d’utiliser correctement le système de communication informel, nous pourrions faire passer dans l’entreprise des informations très utiles à la vitesse de la lumière.
C’est pourquoi Harrison Owen a popularisé une « méthode » pour encourager et faire perdurer  l’auto organisation, qu’il a appelée « Open Space ». Elle peut prendre des formes très diverses, mais le principe de base, la philosophie, sont toujours les mêmes.
Pour résoudre les problèmes et dysfonctionnement de l’entreprise, invitez qui veut venir ; tous ceux qui veulent participer, vraiment s’engager, sont invités. Mettez-les ensemble (ou, mieux, ils se rassembleront d’eux-mêmes, en cercle, comme les indiens – oui, Harrison Owen a affiné ses méthodes au fil du temps en observant comment les indiens réglaient leurs différents, avec un calumet de la paix). Ce qui fera que cette philosophie se mettra en œuvre, et apportera les résultats et l’excellence, ce sont des mots comme Passion, Responsabilité, Authentique Leadership. Et tout le programme est de les faire se développer dans l’entreprise, partout, tout le temps. Et oui, forcément, c’est plus subtil que de rédiger des procédures et de mettre en place des contrôles par le haut. Car, une fois l’ »open space » en action, il y aura peut-être dans l’entreprise des procédures et des contrôles qui se mettront en place, mais ils sortiront directement de ces initiatives et de la responsabilité des acteurs qui auront librement apporté les idées et solutions.
Car ces « leaders authentiques » ne sont pas les chefs et managers que l’on aurait « nommés » ( le on étant le chef des chefs), mais les personnes qui vont émerger spontanément car elles veulent vraiment soigner un problème, améliorer les choses.
Cette philosophie, comme les livres de Harrison Owen, rendent joyeux.
Mais elle ne peut se mettre en place qu’avec l’énergie de tous, et notamment en haut de l’entreprise. J’ai souvent des discussions avec des dirigeants d’entreprises qui sont volontaires pour faire participer leurs managers, leurs employés, et parfois en grand nombre, aux réflexions sur un projet d’amélioration de performance ou de réorganisation. Mais vient toujours un moment où ils aimeraient bien redevenir le grand chef, décider de choses qui justement ne seront pas issues des échanges des collaborateurs ; comme ça cela prouve qu’ils sont le chef, qu’ils savent mieux que tous ce qu’il faut faire,…et vlan, la croyance que l’auto organisation pourra être vaincue réapparaît…Et de là va naître ce sentiment de solitude du dirigeant, qui se lamente d’avoir imaginé le meilleur système, celui qui serait capable de nourrir les dix millions de parisiens, et qui voit son entreprise se vider de passion, de responsabilité, de leadership…Comme le grand organisateur du « système pour nourrir tous les parisiens » nous ferait peut-être tous mourir de faim.
Alors, forts de cette philosophie, et si nous décidions de faire confiance à l’auto organisation ?

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