jeudi 31 janvier 2013

La feuille de route vers la « sobriété heureuse »

Agriculture, énergie, économie, éducation, démocratie : les amis de Pierre Rabhi publient leur feuille de route alternative de « grandes directions à 50 ans ».


Un champ de blé (Crabchick/Flickr/CC)
Les amis de Pierre Rabhi, l’agriculteur-philosophe promoteur de la sobriété heureuse, ont un « plan ». Ce mouvement, représenté par l’association les Colibris, présente ce mercredi soir à Paris sa « (r)évolution ».
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Cette « feuille de route citoyenne, politique, alternative, coopérative, à destination de tous » n’est pas un programme politique, mais une série de « grandes directions à 50 ans » pour que la politique soit guidée par les préoccupations de long terme de la société civile.
Dans les cinq domaines clés que sont l’économie, l’agriculture, l’énergie, l’éducation et la démocratie, des « objectifs » et des « leviers d’action » pour les atteindre (et qu’il s’agit de promouvoir auprès des élus ou des entrepreneurs) sont proposés. Les maîtres-mots de la feuille de route : décentralisation et sobriété. Toutes ces thématiques sont déclinées dans une série de livres parus dans une collection en partenariat avec Actes Sud « Domaine du possible », dont (R)évolutions de Lionel Astruc est la synthèse.

« Incarner les utopies »

A force d’expliquer, depuis trente ans, que nos sociétés industrialisées marchent sur la tête, le petit paysan ardéchois originaire du Sahara a vu le nombre de ses soutiens grandir, s’organiser... au point de s’être engagé en 2002 dans un début de campagne pour l’élection présidentielle. Plus habitué aux livres et aux conférences, il avait lancé alors un appel à une « insurrection des consciences ». Avant de se raviser.
Comme il nous l’a confié dans l’e-book d’entretiens que nous avons publié en juillet 2012, il a rapidement réalisé que : « La politique n’est pas en phase avec la réalité. » Celui qui revendique « d’incarner les utopies » prévient aujourd’hui les politiques au pouvoir qu’« ils devraient être plus sensibles aux initiatives porteuses d’avenir issues de la société civile » (écouter le son).
Interview de Pierre Rabhi
Sur le Plan des Colibris
Le récent sondage Ipsos France 2013 tombe à pic, remarque Cyril Dion, directeur des Colibris :
  • 72% des Français auraient « l’impression que le système politique fonctionne plutôt mal, et que leurs idées sont mal représentées » ;
  • 82% que les hommes et femmes politiques « agissent principalement pour leurs intérêts personnels ».
Des chiffres qui concordent avec l’étude Ifop réalisée pour les Colibris lors du lancement de la campagne « Tous candidats ».
La parabole du colibri
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Juste avant la dernière élection présidentielle, il avait réuni 27 000 « candidats », autant de personnes prêtes à « faire leur part » (comme le dit la parabole du colibri, lire l’encadré ci-contre) dans le changement de société. Puis, ils se sont mis au travail, dans 27 forums locaux, et les plus motivés ont rendu en juillet dernier une matière, soumise à des experts.
Le résultat est ce « plan », dont la version que nous publions est 1.0 et qui sera décliné en un wiki, acutalisé en permanence sur Internet.
« Ceux qui ressentent le message comme étant pertinent vont le propager », prédit Pierre Rabhi, prêt à « répondre aux sollicitations », mais sans avoir le moindre rendez-vous à Matignon ou l’Elysée.

Un « cerveau collectif » où chacun met sa part de génie

Ce grand travail de maïeutique a nécessité de remonter à la « cause des causes » : la démocratie. L’expert choisi pour porter la parole sur ce volet n’est autre qu’Etienne Chouard, héraut du « non » au référendum européen de 2005, et qui réfléchit depuis des années à importer les bienfaits de la démocratie athénienne dans notre monde contemporain. Il propose une vraie révolution :
« Faire réécrire notre constitution par une assemblée constituante populaire, tirée au sort et dont les membres seront inéligibles aux mandats qu’ils définiront. »
Idée qu’il développe déjà sur son blog Le Planc C, et qu’il décline de conférence en wiki-échanges sur Internet. Il s’explique :
« Contrairement à Mélenchon, qui veut une constituante élue, moi je pense que si on veut une constitution, il faut qu’on l’écrive nous-mêmes. Si les élus l’écrivent pour eux, il y a un conflit d’intérêt, alors que si on met n’importe qui, un plombier par exemple, il sera naturellement conforme à l’intérêt général ».
Très excité par l’exercice de « cerveau collectif où chacun met sa part de génie », le prof cherche à décrypter les abus de pouvoir et voit dans la monnaie privée une vraie source d’oppression.
Justement, les Colibris proposent de « rendre la souveraineté monétaire », par le développement des monnaies locales. Des initiatives comme le Sol-Violette à Toulouse rencontrent déjà un succès croissant même si, selon Etienne Chouard, elles sont surtout « à vocation pédagogique ».

Construire, à côté du capitalisme, une économie alternative

Au lancement de la (r)évolution se trouveront aussi quelques élus rock’n’roll, comme le sénateur EELV du Morbihan Joël Labbé. Lui voit dans les Colibris des « semeurs d’idées nouvelles » sur lesquels il s’appuie pour faire des propositions parlementaires :
« Une initiative qui arrive au bon moment, alors que la société civile est mûre pour se mobiliser, mais qu’il y a toujours ce fossé entre élus et citoyens. »
Quand le plan à 50 ans des Colibris est l’« autonomie alimentaire pour tous », le sénateur va plus loin en rédigeant une « proposition de loi interdisant les pesticides par les collectivités locales sur les espaces publics ». Il assure que c’est possible puisque des communes l’ont déjà fait.
Cette démonstration par l’exemple, cet essaimage d’initiatives individuelles est au cœur de la stratégie des Colibris, rappelle son directeur Cyril Dion :
« Ceux qui ont voulu transformer le capitalisme de l’intérieur ont bien vu que ça ne marche pas. Body Shop [la boîte de cosmetique écolo et éthique, ndlr] a été racheté par L’Oréal... Il vaut mieux construire à côté une économie alternative, tout en laissant l’ancienne s’écrouler d’elle-même. »

Devenir des acteurs de changement

Raphaël Souchier, auteur de « L’après-Wall Street sera local, Citoyens, entreprises et collectivités réinventent l’économie », à paraître prochainement, présentera les bienfaits de la relocalisation de l’économie. Il exposera le succès du réseau américain BALLE (Business Alliance For Local Living Economies) :
« Organic Valley regroupe 1 766 familles paysannes, réalise un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars, et leur objectif central est de préserver un art de vivre local. Iils ne sont pas devenus des exploitants exploités par leur propre organisation. »
En France, la responsabilité de l’intérêt général est au contraire trop souvent dévolue à la collectivité ou aux associations. Là, explique-t-il, « il s’agit de faire passer la notion de responsabilité personnelle et collective dans nos pratiques habituelles, de devenir des agents de changement ».
Et comme le dit Pierre Rabhi, la question n’est plus seulement « quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? » mais « quels enfants laisserons-nous à la planète ? ».

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