mardi 26 février 2013

Ce qui motive les salariés français aujourd'hui

Les Echos n° 21198 du 05 Juin 2012 • page 10
Ici et maintenant ! Tel semble être le mot d'ordre des salariés français, selon une étude sur la motivation, menée en exclusivité avec « Les Echos » par le site de recrutement Meteojob et le cabinet de conseil en RH Alixio (*). Avis aux Cassandre : les deux tiers des 23 millions de salariés de l'Hexagone se déclarent « motivés par l'idée d'aller travailler le matin ». Mais pas à tout prix. Car la proximité, le concret et le quotidien prennent le pas sur les discours lointains. D'ailleurs, 64 % des salariés se disent attirés par les PME.
Or, constat déroutant, les ressorts historiques des employeurs pour fidéliser leurs troupes laissent nombre de collaborateurs de marbre. Hormis la rémunération, que le sondage n'a volontairement pas prise en compte, les salariés se mobilisent par passion pour le contenu de leur poste, privilégient, entre autres, l'autonomie, l'ambiance et la notion d'équipe mais dédaignent l'engagement sociétal plus abstrait ou le fait que leur entreprise soit leader. « L'éthique ou la satisfaction des clients sont aux premiers rangs de leurs motivations alors qu'on pense aux formations, à l'image du groupe, à la marque employeur, à la sécurité de l'emploi ou aux projets d'entreprise », s'étonne Francis Bergeron, DRH de SGS France, spécialiste de l'inspection, de l'analyse et de la certification, qui compte 2.550 salariés dans l'Hexagone. « Les gens ont un rapport à l'entreprise plus utilitaire, ils veulent en être partie prenante », estime-t-il.
Etre mieux informé des enjeux de leur société
Aux yeux des salariés, le déficit d'information demeure : 62 % des sondés, y compris 44 % de cadres, se considèrent « pas assez informés » des enjeux de leur société. Un constat « effarant, c ompte tenu du rôle des cadres », estime Eric Peres, secrétaire général de FO-cadres, et que les dirigeants déplorent. « Nous avons l'impression de faire le maximum. Sans doute les exigences sont-elles plus fortes encore », poursuit Francis Bergeron. Mais, à l'heure où des millions de données sur Internet saturent les esprits, « les collaborateurs ont soif de messages qui leur sont propres et qui les concernent », estime Pascale Chastaing-Doblin, associée, responsable des RH du cabinet Deloitte France .
Et « ils attendent que l'information vienne de l'intérieur, que leur PDG donne sa vision », commente Rebecca Meimoun, DRH du groupe de conseil et d'informatique Keyrus. Coté en Bourse, Keyrus se montre pédagogue. « Nos communiqués s'assortissent toujours, en interne, d'une petite explication de texte venant de la direction générale et diffusée à tous nos collaborateurs. D'ailleurs, a ujourd'hui, une information doit être communiquée plusieurs fois pour être bien intégrée », raconte-t-elle. Le groupe organise aussi des petits déjeuners mensuels sur sa stratégie entre sa direction générale et ses collaborateurs. De son côté, Deloitte propose, régulièrement, des webcasts où le management répond aux équipes. Car, s'ils n'ont pas toujours une culture du chiffre, les salariés sont loin d'être insensibles aux enjeux économiques, surtout chez les jeunes : la rentabilité financière de la société est jugée primordiale pour 33 % des répondants.
L'éthique plutôt que l'engagement sociétal
« Il faut aussi être vigilant au décalage entre l'image qu'une société donne à l'extérieur et le vécu des salariés, souligne Pascale Chastaing-Doblin. La défiance surgit dès que les comportements et la communication externe manquent de cohérence. En interne, c'est parfois contre-productif. Nous avons une fondation pour l'éducation et le développement solidaire. Nos collaborateurs considèrent leur contribution comme un acte privé et ne souhaitent pas qu'elle soit récupérée de façon systématique pour en faire un outil marketing. Ils refusent les mélanges. »
Est-ce dû à de trop nombreux discours ? L'engagement sociétal des entreprises ne séduit que 4 % des sondés. « L'engagement doit passer par les salariés et être sincère, constate Marko Vujasinovic, coauteur de l'étude et président de Meteojob. L'entreprise doit d'abord être irréprochable sur son propre écosystème . »
A l'inverse, les valeurs éthiques et morales au quotidien sont les plus recherchées. « La fierté d'appartenance est ancrée sur des éléments lisibles et mesurables au jour le jour auxquels les équipes peuvent rattacher leur contribution immédiate », analyse Pascale Chastaing-Doblin.
La satisfaction clients et les produits sont source de fierté
De fait, ce dont ils sont le plus fiers, ce sont à 60 % la qualité des services ou des produits. « Lorsqu'on est f ace à un Airbus, sur une chaîne de production, qui incarne tous les corps de métier, il y a un silence absolu. Une magie s'opère », raconte Eric Peres, chez FO-cadres. Quant à la satisfaction clients, « c'est un levier inexploité, estime Marko Vujasinovic. Mais, là encore, c'est du concret ». Les salariés y sont d'autant plus sensibles qu'eux-mêmes sont des consommateurs. Mais ce n'est pas tout. « La satisfaction clients, c'est aussi une source de reconnaissance directe et immédiate pour les collaborateurs », estime Pascale Chastaing-Doblin. Ils en ont soif : plus de 50 % d'entre eux ont des « attentes non satisfaites en matière de reconnaissance de leur travail ».
D'autant qu'elle est souvent peu formulée. « La France est un des pays où l'on dit le plus rarement à quelqu'un qu'il a fait du bon travail, contrairement au monde anglo-saxon où l'on félicite à l'excès », observe Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur associé à HEC Paris.
Les PDG suscitent l'indifférence
Un management défaillant reste l'une des premières sources de démotivation, avec l'ambiance dégradée. « Il y a une défiance croissante par rapport à la hiérarchie. Or, aujourd'hui, le management, à tous les échelons, est écartelé entre des injonctions contradictoires », affirme Caroline Dana, directeur associé chez Alixio.
Peu importe, aussi, qu'un PDG soit charismatique, populaire ou respecté. Un phénomène saillant dans les grands groupes, où 58 % des collaborateurs se déclarent « indifférents » au patron. Tandis que 14 % disent qu'il les démotive, contre 27 % qui affirment l'inverse. Même dans les PME, où la proximité est de mise, l'indifférence à l'égard du PDG gagne près d'un salarié sur deux (46 %).
« Le nombre de salariés motivés par leur numéro un est toutefois supérieur aux démotivés », tempère Marko Vujasinovic. Mais le phénomène s'explique. Les débats sur les salaires des patrons ont sans doute égratigné leur image. « Il y a assez peu de PDG exemplaires, commente Charles-Henri Besseyre des Horts. Et comment s'identifier à quelqu'un pointé du doigt dans les médias ? »
En outre, la distance entre patron et salariés s'accroît à mesure que les groupes s'internationalisent ou que les PME grandissent. « Les entreprises sont moins incarnées par un seul homme. D'ailleurs, de Microsoft à Apple, beaucoup de fondateurs ne sont plus à la barre. C'est la fin, aussi, des dynasties familiales. Les patrons sont donc perçus comme interchangeables », relève-t-il. D'autant qu'ils ne sont pas à l'abri d'être remerciés. Mais, pour Francis Bergeron de SGS, les salariés ont gagné en maturité : « Il faut rompre avec la vision romantique du capitaine de vaisseau qui tire ses troupes. La complexité des organisations est telle que faire tout reposer sur les épaules d'un homme providentiel serait irréaliste. »
Davantage d'autonomie vis-à-vis de l'entreprise
Les salariés se montrent aussi plus détachés à l'égard de l'entreprise : que celle-ci figure parmi les trois premières de son secteur n'est un sujet de fierté que pour 12 % des répondants. Et, côté motivation, les projets d'entreprise remportent moins de 10 % des suffrages. Même si le phénomène va davantage de soi chez les moins de 30 ans que chez leurs aînés : les plus de 45 ans estiment que la compétitivité est liée aux enjeux d'organisation et qu'elle passe par une plus grande implication du management. Pas les jeunes. « Les seniors, qui ont sans doute été davantage confrontés à l'impact de décisions RH, attendent encore tout de l'entreprise. Les jeunes n'y croient pas. Ils se soucient davantage des enjeux globaux. C'est la fin de l'entreprise qui "babysitte" ses cadres. Ils deviennent autonomes », conclut Charles-Henri Besseyre des Horts. Pour Caroline Dana, co-auteur de l'étude chez Alixio, « il est urgent de renouer le dialogue ».


(* ) Enquête réalisée entre les 14 et 21 mai 2012 auprès de 2065 personnes

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