vendredi 15 février 2013

Rudolf Steiner et la biodynamique

L'agriculture biologique a un père fondateur : Rudolf Steiner, philosophe, visionnaire, théoricien de la " science spirituelle" et créateur de l'Anthroposophie. En France, le personnage est mal connu, ou bien nimbé d'une brume de légendes - un héritage de la germanophobie galopante au début du siècle. Et pourtant, quelle histoire ! Avec toutes ses facettes, ses contradictions, sa démesure, son génie, sa folie, Steiner est bel et bien le précurseur de tout ce qui nous agite au XXIé siècle.

II naît en 1861, dans les montagnes hongroises. Fils d'un chef de gare autrichien, c'est un petit surdoué, chétif, introverti, bouleversé à neuf ans par la découverte d'un livre de mathématiques. Il écrira plus tard: "C'est à la géométrie que je dois d'avoir connu le bonheur." On l'envoie dans un collège technique, puis dans une école d'ingénieurs à Vienne. En même temps, il se trouve un curieux maître spirituel - un herboriste passionné d'occultisme.

Steiner intello

À Vienne, le jeune diplômé essaie de se faire un nom dans les milieux cultivés. Il fréquente le Café de la mégalomanie, rendez-vous des génies traîne-savates. Il oublie des critiques d'art dans des revues. Pour vivre, il est le précepteur, logé et nourri, d'un jeune handicapé mental. Succès inespéré : en cinq ans, l'hydrocéphale rattrape son retard scolaire, il finira médecin.

Steiner archiviste

À 30 ans, il décroche un poste de rêve comme éditeur des œuvres scientifiques de Goethe. Il va passer sept ans à Weimar, la vieille capitale culturelle du Siècle des lumières, et plonger dans l'œuvre singulière d'un Goethe méconnu, précurseur de l'évolutionnisme, méditant sur les couleurs ou les formes végétales et animales. Il rencontre aussi Nietzsche, hébété et mourant ; on le pressent pour éditer les œuvres complètes du philosophe, il commence à classer ses manuscrits, puis renonce, faute de s'entendre avec la très détestable sœur de Nietzsche, future nazie.

Steiner philosophe

Il publie ses premiers livres, des essais sur Goethe et sur Nietzsche, et, en 1894, un exposé de ses propres idées : "La philosophie de la liberté, résultat de l'expérience intérieure conduite selon les méthodes scientifiques." Tout Steiner est déjà là en germe : il veut réfuter le matérialisme, alors triomphant dans la philosophie et les sciences ; il défend l'existence d'un monde spirituel, accessible au chercheur par des voies aussi rationnelles et rigoureuses que celles de la science. C'est à l'opposé de l'air du temps, le livre fait un bide absolu.

Steiner savant

On arrive au tournant du siècle. Steiner s'installe à Berlin et traverse une période bizarre, tourmentée, une vraie schizophrénie intellectuelle. Conférencier, essayiste, directeur d'une revue culturelle en pleine déconfiture, il se passionne pour les sciences naturelles et apparaît comme le disciple et porte-parole de l'illustre biologiste Ernst Haeckel. Haeckel est l'apôtre de la révolution darwinienne, il prône l'unité profonde de toutes les espèces vivantes à travers la chaîne de l'évolution ; c'est aussi l'inventeur du mot "écologie", qu'il définit comme la science des rapports entre les organismes vivants et leur milieu. Le hic, c'est qu'il est matérialiste pur et dur, et Steiner se désespère à tenter de le convertir. Autre paradoxe, Steiner enseigne l'histoire et les sciences à l'Université populaire de Berlin, une école marxiste... On l'en démissionne, au bout de quatre ans, pour spiritualisme indécrottable.

Steiner théosophe

En 1900, Steiner entame une série de conférences sur les mystiques à la Société théosophique de Berlin. Et là, miracle, il trouve enfin un auditoire captivé par le monde "supra-sensible". La Théosophie, fondée par la voyante russe Héléna Blavatsky, est une sorte de religion universelle très portée sur l'Inde et le Tibet. Steiner se sent plus proche des mystiques chrétiens occidentaux, mais sa culture et son charisme font merveille : en 1902, il est nommé responsable des sections allemandes, autrichiennes et suisses du mouvement théosophique. Dès lors, ce petit homme aux traits sévères, toujours vêtu de noir, portant lavallière et cape de fourrure, se met à parcourir l'Europe. Il devient une star.

Steiner mystique

À l'époque, on l'accuse d'avoir retourné sa veste en rejoignant les théosophes. En fait, il est sorti du placard. Tout ce qu'il n'avait jamais osé raconter, par peur du ridicule, il le déverse à présent devant un public avide. Il s'avère que, depuis son adolescence, Steiner entre à volonté dans des transes visionnaires. Ce qu'il en rapporte, publié dans des livres comme L'initiation, Mémoire cosmique ou La science occulte, laisse pantois.
Pas question de résumer ici ces méditations qui noircissent des milliers de pages et voyagent parmi les mondes astraux, les vies antérieures, les corps éthériques, les anges, la mémoire akashique... On peut y voir, au choix, une gigantesque hallucination, un enseignement surhumain, ou une mythologie poétique et grandiose.

Steiner dramaturge

La dimension artistique est une autre clé du personnage. À ses heures, il pratique la peinture, la sculpture, la musique, le théâtre. En 1910, il monte un Mystère, un drame initiatique - il l'a écrit, mis en scène, a créé les décors et les costumes. Trois autres suivront, représentés à Munich chaque été. En 1912, il baptise eurythmie sa technique théâtrale qui mélange chant, diction scandée, chorégraphie et gestuelle symbolique.

Steiner anthroposophe

La rupture d'avec la Théosophie couvait depuis 1909, quand le révérend Charles Leadbater, théosophe en chef et pédophile notoire, s'entiche d'un jeune garçon indien et le désigne comme la nouvelle incarnation de Jésus-Christ. Le garçon quittera plus tard les théosophes et deviendra Krishnamurti. Quant à Steiner, il refuse de prêter allégeance au nouveau Messie et crée, en février 1913, son propre mouvement, la Société anthroposophique.

Steiner bâtisseur

L'Anthroposophie veut un siège social comme on n'en a jamais connu. Steiner sculpte des maquettes sinueuses et tarabiscotées. Munich refuse le permis de construire et les anthroposophes s'installent en Suisse, à Dornach. Ils sont en pleine construction quand la guerre éclate en août 1914. Une drôle de communauté vit là-bas, réunissant des disciples de toute l'Europe. Les bâtiments du "Goethaenum" prennent forme, tout en bois chantourné, parés de fresques bizarres. Effectivement, le lieu est unique au monde.

Steiner politique

Dans le chaos de l'après-guerre, Steiner conçoit un système social et politique, la "Tripartition". La société s'organiserait en trois sphères, celle de la culture, avec les artistes et les savants pour diriger moralement le monde ; celle de l'économie, autonome et associative ; et la sphère étatique-politique, discrète et subalterne.
Un appel est envoyé aux chefs d'Etats et aux intellectuels. Hermann Hesse fait partie des signataires. Un parti s'organise à Stuttgart, Steiner part en campagne militante. En 1922, les Nazis, qu'il abomine, attaquent ses réunions; il échappe de justesse à leurs nervis armés dans un hôtel à Munich. L'année suivante, il reconnaîtra son échec et quittera le domaine politique.

Steiner pédagogue 

A la demande d'un industriel, directeur de l'usine Waldorf-Astoria à Stuttgart, il crée en 1919 une école pour les enfants d'ouvriers et invente une pédagogie fondée sur les méthodes actives et l'éducation artistique Les "écoles Steiner", sont un vrai succès - on en compte quatre cents aujourd'hui dans le monde.

Steiner médecin

La médecine anthroposophique date aussi de cette période, avec l'ouverture de plusieurs cliniques, sanatoriums et instituts psychiatriques. Il s'agit de soigner
vant tout le "corps éthérique" et le "corps astral", tenus pour vrais responsables des maladies physiques. La thérapie insiste sur le régime alimentaire (Steiner est végétarien, mais n'en fait pas une obligation pour les disciples). Les médicaments sont à base de plantes, proches de l'homéopathie. On utilise aussi les couleurs et les cristaux, liés aux influences planétaires.

Steiner prophète

L'activité de Steiner devient frénétique. Le rythme des conférences et des voyages dans toute l'Europe s'accélère follement. En ajoutant les ateliers à Dornach, les consultations personnelles avec la foule des disciples, l'écriture de son autobiographie, l'homme ne dort quasiment plus, sa force de travail semble colossale et inépuisable. L'enseignement prend un tour de plus en plus mystique. En 1922, avec des pasteurs protestants, Steiner fonde une manière de nouvelle Église, la "Communauté chrétienne".

Steiner foudroyé

La nuit du nouvel an 1923, le Goethaenum est entièrement détruit par un incendie. On commence aussitôt la reconstruction, cette fois en béton. Un an plus tard, jour pour jour, Steiner est terrassé par un violent mal d'estomac. Il se croit empoisonné. Il ne s'alimentera pratiquement plus pendant les mois qui lui restent, sans pour autant ralentir ses activités. À la fin de l'année, il doit quand même s'aliter, il ne quittera plus sa chambre. Les derniers jours, il cesse de souffrir, mais il ne parle plus. Il meurt sans un mot le 30 mars 1925, à l'âge de 64 ans.

Enfin... Steiner et la biodynamique !

De toutes les inventions de Rudolf Steiner, l'agriculture biodynamique est sans doute la plus suivie aujourd'hui. Il s'y montre un précurseur génial, et l'épreuve de la pratique, au bout de trois-quarts de siècle, confirme ses intuitions de façon stupéfiante, compte tenu du côté spéculatif, péremptoire et parfois totalement surréaliste de ses propositions.
La recherche agricole débute très tard dans sa vie, en 1922, par des essais au domaine de Dornach et dans quelques fermes de la région de Stuttgart. En juin 1924, huit mois avant sa mort, il s'adresse pendant une semaine à une centaine d'agriculteurs réunis au château de Koberwitz, près de Breslau, dans l'actuelle Pologne.
Ces causeries, réunies dans un petit livre, Agriculture, fondements spirituels de la méthode biodynamique , font un texte dense, complexe, souvent déconcertant, une bible de l'écologie agricole qui est loin d'avoir livré tous ses mystères.
Steiner commence par un procès de l'agriculture moderne et des additifs chimiques, qui épuisent la terre et dégradent la qualité des aliments - à l'époque, il est le premier et pratiquement le seul à s'élever contre ces progrès apparemment incontournables, prônés depuis déjà un quart de siècle par le baron von Liebig, fondateur de l'agriculture chimique. Steiner
fait l'éloge du vieux savoir paysan en voie de perdition. Puis il expose sa vision, et là, il faut s'accrocher.
Pour lui, le mystère de la végétation tient à l'équilibre entre forces cosmiques venues des astres et forces terrestres montant du sous-sol. Sa chimie des sols et sa biologie des plantes donnent le vertige. On y rencontre la silice, qui capte l'influence des planètes lointaines aux cycles très lents, puis le calcaire, sensible aux planètes proches en orbites plus rapides, et l'argile qui joue les médiateurs. L'eau transmet l'action de la Lune, l'azote est astral, l'oxygène éthérique, le soufre spirituel, le carbone est le sculpteur des formes. L'humus n'est pas nourricier, mais porteur de radiations vitales, la graine sur le point d'éclore entre en état de "chaotisation", ouverte à tout l'univers. C'est abracadabrant, peut-être, et aussi singulièrement beau.
Une bonne partie du livre consiste en recettes pratiques aussi précises qu'étonnantes. Le compost de déchets est disposé en monticules, feuilleté en couches minces, saupoudré de calcaire. On stimule la terre avant les semailles en pulvérisant des dilutions de bouse ou de quartz pilé qu'on a versées dans des cornes de vaches et enterrées tout un hiver ou un été. On dynamise le fumier par des fleurs d'achillée enfermées dans des vessies de cerf, de la camomille dans des boyaux de bovidés, de l'ortie enfouie pendant un an sur un lit de tourbe. On lutte contre les maladies avec des décoctions de prêles, de l'écorce de chêne émiettée et bourrée dans un crâne d'animal, du pissenlit cousu dans des intestins de bovins. Contre les ravageurs, on répand des cendres d'insectes ou de peaux de mulot...
Pour Steiner, un domaine agricole est comme un individu vivant, autonome, équilibré, régulé par un savant dosage entre les champs, les arbres, le bétail, rythmé par des cycles à peine entrevus par la science, influencé par l'univers entier. Toute l'agriculture biologique est née de cette vision. Depuis, des générations de chercheurs en biodynamie l'ont affinée, mesurée, testée, précisée. Bien des points restent obscurs ou controversés, mais l'ensemble tient le choc. On peut crier au fou ou au génie, invoquer le cerveau droit ou le surnaturel. Peu importe. Les recherches continuent. Pour le reste, on en recausera dans mille ans.

Agriculture, fondements spirituels de la méthode biodynamique - Éditions anthroposophiques romandes.
On trouve aussi nombre de ses ouvrages aux éd. Triades, 4 rue de la rande Chaumière, 75006 Paris.






Rudolf Steiner (25 février 1861 à Donji Kraljevec, Croatie/Empire austro-hongrois - 30 mars 1925 à Dornach, Suisse) est un philosophe, occultiste et penseur social né en Autriche. Il est le fondateur de l'anthroposophie, qu'il qualifie de « chemin de connaissance », visant à « restaurer le lien entre l'Homme et les mondes spirituels ». Ses adeptes le considèrent généralement à la fois comme un homme de connaissance et un guide spirituel.
Son enseignement est à l'origine de projets aussi divers que les écoles Waldorf, l'agriculture biodynamique, les médicaments et produits cosmétiques Weleda, le mouvement Camphill et la Communauté des Chrétiens.

Avant l'anthroposophie

Le 25 février 1861, Rudolf Steiner naît à Kraljevec, à l'époque partie de l'Empire austro-hongrois, actuellement en Croatie. Ses parents sont autrichiens. En 1869, sa famille s'installe à Neudörfl, aujourd'hui en Autriche. Il entre au collège moderne et technique de Wiener-Neustadt (Realschule) en 1872. Trois ans plus tard, il commence à s'intéresser à la philosophie. En 1877, il étudie la pensée de Kant.
En 1879, Rudolf Steiner obtient son diplôme de fin d'études avec félicitations. Il continue à étudier la philosophie, en particulier Fichte. En octobre, devient étudiant à l'École supérieure technique de Vienne et se lie avec son professeur de littérature Karl Julius Schröer (1825-1900) qui est philologue et grand connaisseur de l'œuvre de Goethe. Il suit également des cours de philosophie à l'université. En 1880, il fait la connaissance de Félix Kogutzki (1833-1909), le cueilleur de "simples" (herbes médicinales ou aromatiques) qui l'initie à l'occultisme traditionnel et lui aurait fait rencontrer un « maître spirituel » éminent1,2.
En 1882, Schröer conseille Steiner à Josef Kürschner en tant qu'éditeur de l'œuvre scientifique de Goethe. La famille Steiner s'installe dans les environs de Vienne. En 1883, il achève le premier volume pour Josef Kürschner (parution en 1884). En octobre, il met fin à ses études supérieures car il s'intéresse davantage à la philosophie3.
En 1884, Steiner devient le précepteur des enfants des époux Specht, et se consacre au jeune Otto qui est hydrocéphale. Il entame une correspondance avec Edouard von Hartmann. En 1886, il fréquente le salon de la poétesse Eugénie delle Grazie et les théologiens de son entourage. Il accepte de collaborer à l'édition des œuvres scientifiques de Goethe dans la grande édition de Weimar, celle dite « de la Grand Duchesse Sophie ». Il étudie les archives de Goethe et de Schiller et fait paraître en 1886 son ouvrage Fondements d'une épistémologie de la conception goethéenne du monde compte particulièrement tenu de Schiller4,3.
En 1888, de janvier à juillet, il participe à la rédaction de l'hebdomadaire allemand Deutsche Wochenschrift. Le 9 novembre, il donne une conférence : « Goethe, père d'une esthétique nouvelle ». L'année suivante, il lit Nietzsche et fréquente le salon de la théosophe Marie Lang. Son travail aux Archives à partir de 1890 élargit le cercle de ses connaissances, dont Ernst Haeckel, Hermann Grimm, Otto Erich Hartleben, etc. Il soutient en 1891 sa thèse de doctorat en philosophie à l'université de Rostock : « La question fondamentale de la théorie de la connaissance, compte particulièrement tenu de la Doctrine de la Science de Fichte ». Elle est publiée en 1892, complétée d'un chapitre sous le nom « Vérité et science5 ».
À partir de 1892, il loge chez la veuve Anna Eunike et l'aide dans l'éducation de ses cinq enfants. En 1894, Steiner publie La Philosophie de la Liberté GA 4. Alors qu'il continue son étude de Nietzsche, il rencontre la sœur de celui-ci, Elisabeth Förster, en 1894 et entre en relations avec les Archives Nietzsche à Naumburg. L'année suivante, il publie Nietzsche, un homme en lutte contre son temps, GA 5. En 1896, il prépare pour la maison d'éditions Cotta l'édition des œuvres de Schopenhauer et de Jean-Paul. Il termine son travail pour Kürschner. En 1897, il fait paraître Goethe et sa conception du Monde, GA 6. Il s'installe à Berlin chez la famille Eunike. Il est alors co-rédacteur avec Otto Erich Hartleben du Magazin für Litteratur. Il met en scène la pièce de Maurice Maeterlinck : L'Intruse. Il donne aussi des conférences à l'association scientifique « Giordano Bruno » et à celles des jeunes chercheurs et écrivains « Die Kommenden ». En 1898, il donne un cycle de conférences sur « Les Grands courants de la littérature allemande de 1848 à nos jours » à la Société Littéraire Indépendante.
À partir de 1899, il commence à enseigner l'histoire, les sciences et la technique de l'expression orale à l'Université Populaire de Berlin fondée par Wilhelm Liebknecht. Il publie un article dans le Magazin für Litteratur « La révélation secrète de Goethe ». Il épouse civilement Anna Eunike. Il publie aussi son texte « L'égoïsme en philosophie ». En 1900-1901, il fait paraître Visions du monde et de la vie au dix-neuvième siècle, repris en 1914 dans une édition élargie et Les énigmes de la philosophie constituant une histoire de la philosophie occidentale.

Le développement de l'anthroposophie

La théosophie

En 1900, à la demande du Comte Brockdorff, Steiner donne une conférence sur Nietzsche à la Bibliothèque Théosophique. Une semaine plus tard il donne au même endroit une conférence sur Goethe, à caractère ésotérique cette fois. Durant l'hiver, c'est une conférence sur Gustav Theodor Fechner, à laquelle assiste Marie de Sivers. Il cesse alors ses activités à la rédaction du Magazin für Litteratur. L'année suivante, il donne deux cycles de conférences chez les théosophes : le premier portant sur la Mystique auquel assiste Marie de Sivers ; le second cycle a lieu chez les théosophes de Berlin : Le Christianisme, fait mystique.
En janvier 1902, il devient membre de la Société théosophique et secrétaire général pour l'Allemagne6. En juillet, à Londres, il rencontre les responsables de la Société théosophique, dont sa présidente Annie Besant. En octobre, il participe à la fondation de la Section allemande de la Société théosophique dont il devient le secrétaire général. Marie de Sivers devient sa collaboratrice.
En 1903, c'est la première parution de la revue Luzifer, qui s'appelle à partir de 1904, Lucifer-Gnosis. À partir de 1904, son activité de conférencier prend de l'ampleur, notamment en dehors de Berlin. Il publie le petit livre Théosophie, et écrit des articles pour la revue Lucifer-Gnosis sur la « Chronique de l'Akasha ». Steiner fréquente Kafka et le peintre Kandinsky et publie le Drame d'Edouard Schuré Les Enfants de Lucifer dans Lucifer-Gnosis7. Steiner se sépare de sa première épouse, Anna Eunike, et vit avec Marie von Sivers. Annie Besant le nomme responsable de l'École ésotérique de la Section allemande. En 1905, il cesse d'enseigner à l'université populaire de Berlin (École de formation ouvrière). Il donne de nombreuses conférences à Berlin. C'est un an après la création du Cercle intérieur de l'École ésotérique, en 1905, que le rite Yarker le sollicite mais « Ni ce rite, ni l'École ésotérique n'avait à exercer d'influence sur la moelle de son enseignement, …le présent doit reposer sur le passé. Certes, il apporte un message nouveau qui ne pouvait ni ne devait puiser ailleurs qu'à sa propre source : toutefois il cherchait encore à se rattacher par la forme aux traditions existantes ». Il rattache le germe nouveau au fait existant dans le respect de la tradition historique. Rudolf Steiner est donc sollicité par l'obédience maçonnique de l'Ordre Memphis-Misraïm, sous l'égide de John Yarker qui avait succédé à Garibaldi. Ce dernier avait réuni les deux Ordres séparés jusque là Memphis et Misraïm. Steiner œuvre avec Marie von Sivers durant une décennie à restaurer le cérémonial cultuel et symbolique basé sur la tradition de la sagesse ancienne. En 1906, Théodor Reuss, représentant de Yarker en Allemagne, présente un cadre à Steiner pour son propre enseignement : "Un bon nombre de participants, il est vrai parlèrent de notre institution comme s'il s'agissait d'un ordre… Il est vrai que nous avions Marie de Sivers et moi, signé des documents concernant nos rapports avec cette institution Yarker. D'aucuns s'en sont servis pour répandre sur notre compte des calomnies de toutes sortes. En fait, on avait attaché une grande importance à une affaire insignifiante. Nos signatures avaient été apposées au bas de certaines « formules ». Nous avions respecté les coutumes. Alors que nous signions, j'avais encore clairement insisté et dit : tout cela n'est que formalité et l'institution que je vais instaurer n'empruntera rien au courant Yarker… Mais j'aimerais faire remarquer en toute modestie qu'à cette époque je croyais encore à la droiture des gens à qui j'avais affaire" (Steiner, Autobiographie, tome II, p. 217-218). L'activité culturelle de l'école ésotérique s'y déroule, elle est ouverte à tous les Ordres ou Sociétés ésotériques. Nombreuses conférences à Berlin, Stuttgart, Cologne, Paris, Munich, Düsseldorf. À la fin de l'année, il voyage en Italie avec Marie von Sivers. Ils passent Noël et le Nouvel-An à Venise. En 1907, il multiplie les conférences à Berlin, Karlsruhe, Leipzig, Munich, Kassel, Stuttgart, Vienne, Bâle, Nuremberg, Cologne. En mai, le Congrès théosophique européen a lieu à Munich. On y représente la pièce Le Drame sacré d'Eleusis d'Edouard Schuré. Annie Besant et Rudolf Steiner constatent qu'ils ont des conceptions différentes de ce que devrait être l'ésotérisme. Fin mai, avec le 100e membre affilié à « Mystica Aeterna », Steiner devient le dirigeant du Rite de Memphis-Misraïm en Allemagne, des loges sont installées à Berlin, Cologne, Leipzig, Stuttgart et Munich. Il voyage en Italie durant 4 semaines au cours de l'été : 2 semaines à Rome, puis Pise, Gêne, Milan, Lucerne, Berne et lors du retour, en septembre, séjourne quelques jours à Barr, en Alsace, invité par Édouard Schuré. En 1908, il continue ses conférences : Francfort, Heidelberg, Berlin, Munich, Hambourg, Cologne, Nuremberg, Stuttgart, Leipzig et effectue un nouveau voyage en Italie par mer sur l'Adriatique. Il visite le Paestum et fait l'escalade du Vésuve.
En 1909, le drame de Schuré Les Enfants de Lucifer est joué au Congrès théosophique d'été de Munich. Au printemps, Steiner est invité à Rome par la princesse del Drago. Il donne des conférences dans la Ville. Il séjourne au Palazzo del Drago dans les pièces où Winckelmann avait vécu et développé ses idées sur l'art, qui avaient très fortement intéressé Goethe. Il fait un nouveau séjour de deux semaines en Italie au printemps 1910. La même année paraît l'ouvrage La Science de l'occulte dans ses grandes lignes. C'est aussi la représentation du premier drame-mystère. Il donne de nombreuses conférences à Berlin, Strasbourg, Karlsruhe, Heidelberg, Pforzheim, Kassel, Düsseldorf, Cologne, Vienne, Stuttgart, Munich, Rome, Palerme, Hanovre, Hambourg, Oslo, Berne.
En mars 1911, alors qu'il donne un cycle de conférences à Prague, « La Physiologie occulte », le 17 mars meurt Anna Steiner-Eunike. Au printemps, il fait un séjour de trois mois au bord de l'Adriatique, puis de deux semaines en Autriche, pour le rétablissement de Marie von Sivers. Il donne une conférence à Bologne à l'occasion du Congrès international de philosophie. Marie von Sivers traduit le livre de Schuré Les Sanctuaires d'Orient. En septembre, nouveau voyage en Italie et conférences en Suisse et à Milan. À l'automne, il entre en conflit avec Annie Besant à cause de l'affaire Alcyone-Krishnamurti qu'elle veut faire passer pour une réincarnation du Christ. Steiner poursuit ses conférences à Berlin, Stuttgart, Cologne, Coblence, Bâle, Munich, Copenhague, Lugano, Milan, Neuchâtel, Karlsruhe, Leipzig, Nuremberg, Hanovre. En 1912, il fait un dernier voyage en Italie, visite Florence, Pérouse, Assise et donne deux conférences à Milan. Il donne ensuite des conférences à Hanovre, Berlin, Munich, Winterthur, Zürich, Kassel, Breslau, Vienne, Stuttgart, Helsinki, Helsingsfors, Stockholm, Düsseldorf, Copenhague, Norrkörping, Cologne, Hambourg, Bâle, Milan, Neuchâtel, Saint-Gall, Berne. À l'automne 1912, ce sont les premiers pas de l'eurythmie, art du mouvement. Fin 1912, il se sépare de la Société théosophique et à Noël, fonde la Société anthroposophique.

L'anthroposophie

Article détaillé : anthroposophie.
La première assemblée générale de la Société anthroposophique a lieu les 2 et 3 février 1913. Steiner n'exerce aucune fonction administrative, seulement celle d'enseignant et de guide spirituel. Il n'en était même pas membre. La direction devait être assurée par un comité de trois personnes : Carl Unger, Michael Bauer, Marie von Sivers. La Société anthroposophique est exclue officiellement de la Société théosophique le 7 mars 1913 par décision venant d'Adyar. En mai, Steiner voyage à Paris pour la fondation du Groupe Saint-Michel. Il visite Chartres avec Schuré et Marie von Sivers. Le 20 septembre, il pose la première pierre du futur Goethéanum, à Dornach. Il donne des conférences à Cologne, Berlin, Linz, Vienne, Tübingen, Stuttgart, Francfort, Munich, La Haye, Breslau, Düsseldorf, Londres, Paris, Strasbourg, Helsinki, Helsingsfors, Oslo, Bergen, Copenhague, Leipzig.
La guerre limite les déplacements de Steiner à l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse. Le 1er avril 1914, lors de la fête de l'érection des sapins, la charpente du Goethéanum est construite. En août, la guerre éclate. De Bayreuth, Steiner et Sivers rentrent rapidement à Dornach. Eliza Von Moltke, membre de la société théosophique, fait venir Rudolf Steiner au chevet de son mari atteint dans sa santé, le général et chef de l'état-major allemand Helmuth Johannes Ludwig von Moltke le 27 août 1914 à Coblence mais son action réelle est restée ignorée8. Le 24 décembre, Steiner épouse Marie von Sivers. Il donne des conférences à Leipzig, Berlin, Stuttgart, Pförzheim, Munich, Vienne, Dornach, Paris, Bâle, Norrköping. Cette année-là ferme l'école ésotérique, qui fonctionnait depuis 1904.
Il donne des conférences en 1915 à Berlin, Dornach, Vienne, Düsseldorf, Stuttgart et en 1916 à Berne, Liestal, Berlin, Leipzig, Stuttgart, Dornach, Zurich, Bâle. En 1916, il publie un livret très controversé Pensées du temps de guerre publié à Berlin, qui fit démissionner Edouard Schuré.
En 1917, ses activités sociales et politiques, ses remises des mémorandums à de hauts responsables de Berlin et de Vienne restent sans écho. Il réalise la première formulation de la triarticulation de l'être humain. Il donne des conférences à Dornach, Berlin, Zurich, Saint-Gall, Bâle et en 1918 à Dornach, Berne, Munich, Stuttgart, Berlin, Heidenheim, Ulm, Hambourg, Bâle.
En 1919 est fondée l'École Waldorf à Stuttgart. Il donne de nombreuses conférences à Bâle, Zurich, Dornach, Düsseldorf, Stuttgart, Ulm, Berlin; en 1920 à Stuttgart, Bâle, Dornach, Zurich, Berne; en 1921 à Stuttgart, Dornach, La Haye, Berne, Oslo, Berlin, Bâle.
En 1922, conférences à Dornach, Berne, La Haye, Londres, Vienne, Stuttgart, Oxford9, Berlin. Mais à la fin d'une conférence donnée à Munich, Steiner échappe de peu à une agression de perturbateurs fascistes. Dès lors il ne fait plus de conférences publiques en Allemagne. La Communauté des Chrétiens est fondée cette année-là. Le 31 décembre, un incendie criminel détruit le Goethéanum.
  • 1923
Conférences à Dornach, Stuttgart, Berne, Bâle, Penmaenmawr, Prague, Ilkey, Londres, La Haye. Création de la nouvelle Société anthroposophique : la Société anthroposophique universelle, dont Steiner prend la présidence et Albert Steffen, la vice-présidence. Création de l'École libre de science de l'esprit.
  • 1924
1er janvier, Steiner se serait dit empoisonné. Conférences à Dornach, Berne, Zurich, Stuttgart, Prague, Paris, Koberwitz, Breslau, Arnheim, Torquay, Londres. Fin mars, Steiner achève la maquette du second Goethéanum. Mai, première assemblée générale de la Société anthroposophique en France. Juin, naissance de la pédagogie curative à Iéna; naissance de la Bio-dynamie suite au cycle de conférences faites devant les agriculteurs à Koberwitz. Juillet, Congrès anthroposophique et pédagogique à Arnhem aux Pays-Bas. 28 septembre, dernière conférence aux membres. À partir du 1er octobre, Steiner est alité. Il poursuit son Autobiographie et Les Lignes directrices de l'anthroposophie pour parution dans Das Goethéanum.
  • 1925
Termine avec Ita Wegman, l'ouvrage médical à la base de la médecine anthroposophique. Données de base pour un élargissement de l'art de guérir. Steiner meurt le 30 mars, vers 10 heures du matin.

Œuvres

Les œuvres de Steiner comportent un numéro GA faisant référence à l'édition complète allemande (Gesamtausgabe)
Abréviations utilisées :
  • EAR = Éditions anthroposophique romandes
  • ET = Éditions Triades
  • EN = Éditions Novalis
  • Édition Paul de Tarse

Au sujet de La Philosophie de la liberté

Jusqu'à la fin de sa vie, Rudolf Steiner attachera une importance première à cet ouvrage. Il déclara, au cours de la deuxième décennie du XXe siècle, au seul étudiant qu'il conseilla en vue du doctorat d'État, Walter-Johannes Stein, qui lui demandait ce qu'il subsisterait de son œuvre dans quelques siècles : « Rien !... sauf La Philosophie de la Liberté, mais à partir d'elle le reste peut être retrouvé10. »

Œuvres écrites de Rudolf Steiner

  • GA 001 : Introduction aux œuvres scientifiques de Goethe. (1884-1887)
    • in Le Traité des Couleurs de Goethe, ET
    • in La métamorphose des plantes, Goethe, ET
    • in Goethe, le Galilée de la science du vivant, EN
  • GA 002 : Une théorie de la connaissance chez Goethe. (1886), EAR
  • GA 003 : Science et Vérité (1892), EAR
  • GA 004 : Philosophie de la liberté (1894), EAR, EN, édition Paul de Tarse (1986), PUF (1923). Trad. Germaine Claretie, édi. Alice Sauerwein Lire en ligne sur le site Gallica
    • Première édition originale 1894 (Berlin, Verlag von Emil Felber), réédité en 2009 en facsimilé, éd. Kessinger Puc Co
    • Deuxième édition 1918 : modifications et appendices.(Le 1er chapitre Les objectifs de tout savoir est supprimé)
    • Troisième et dernière édition (1921) publié du vivant de Rudolf Steiner, identique à celle de 1918
      • Réédition de la version 1918 mais avec les variantes de l'édition original (1894) Philosophisch-Anthroposophisher Verlag am Goetheanum (1983), Édition, Paul de Tarse (1986) pour la France. Par contre, le chapitre Les objectifs de tout savoir n'est pas réintégré.
  • GA 005 : Friedrich Nietzsche, un homme en lutte contre son temps (1895), EAR
  • GA 006 : Goethe et sa conception du monde (1897), EAR
  • GA 007 : Mystique et Esprit moderne (1901), EAR
  • GA 008 : Le Christianisme et les Mystères antiques (1902), EAR (Das Christenthum als mystische Thatsache ; trad. d'Édouard Schuré : Le Mystère chrétien et les mystères antiques, Perrin, 1908). Lire en ligne sur le site Gallica
  • GA 009 : Théosophie. Étude sur la connaissance suprasensible et la destinée humaine (1904), ET, EAR. Trad. Elsa Prozor, éd. Alice Sauerwein Lire en ligne sur le site Gallica
  • GA 010 : L'Initiation, Comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs (1904/05), ET
  • GA 011 : La Chronique de l'Akasha (1904-1908), EAR
  • GA 012 : Les degrés de la connaissance supérieure (1905-1908), EAR
  • GA 013 : La science de l'Occulte [en esquisse] (1910), EAR, ET
  • GA 014 : Quatre Drames-Mystères (1910-1913), ET
  • GA 015 : Les Guides spirituels de l'homme et de l'humanité (1911)
  • GA 016 : Un chemin vers la connaissance de soi. Huit méditations (1912), EAR Lire en ligne sur le site Gallica
  • GA 017 : Le seuil du monde spirituel (1913), EAR
  • GA 018 : Les énigmes de la Philosophie (1914), EAR
  • GA 019 : Pensées durant le temps de Guerre (1915) - publication privée.
  • GA 020 : Les Enigmes de l'homme (1916), EAR (Aux sources de la pensée imaginative)
  • GA 021 : Des Enigmes de l'âme (1917), EAR
  • GA 022 : L'esprit de Goethe, sa manifestation dans Faust et dans le Conte du Serpent Vert (1918), EAR
  • GA 023 et 024 : Fondements de l'organisme social (1919 et 1915-1921), EAR
  • GA 025 : idem GA 215, Philosophie, Cosmologie et Religion (1922)
  • GA 026 : Les lignes directrices de l'anthroposophie (1924-1925), EN
  • GA 027 : Données de base pour un élargissement de l'art de guérir, en collaboration avec Ita Wegman (1925), ET
  • GA 028 : Autobiographie (1923-1925), EAR
  • GA 029 à GA 036 ce sont des recueils d'articles publiés dans des revues et journaux.
  • GA 038 et 039 des recueils de lettres
  • GA 040 Recueil d'aphorismes : Paroles de Vérité (traduit partiellement)
  • GA 051 à GA 354 : Conférences publiques, privées et cours qui représentent la majorité des ouvrages de Steiner. Les conférences sont des retranscriptions de sténogrammes non revus par l'auteur.
Parmi la trentaine de livres et plus de 6 000 discours publiés, ses œuvres principales comprennent :
  • La Philosophie de la liberté (1894)
  • Friedrich Nietzsche, un combattant contre son époque (1895)
  • Goethe et sa conception du Monde (1886)
  • L'Éducation de l'enfant à la lumière de la science spirituelle (1907)
  • Théosophie (1904)
  • Théosophie du Rose-Croix (1907)
  • La Science de l'Occulte (1913)
  • Les Quatre Drames-Mystères - L'Éveil des Âmes (1913)

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