samedi 20 avril 2013

Quand la pratique managériale suscite autant d'espoir que d'agacement

Par Muriel Jasor, journaliste | 12/04/2013

Responsable de déviances au sein des entreprises, la pratique du management agace…… déçoit souvent, mais suscite aussi, à tous les échelons de la hiérarchie, quantité d'attentes.


Crédits photo : shutterstock.com
Les organisations se crispent par temps de crise économique. Et les critiques se multiplient à l'encontre des modes de gestion des entreprises. « Problème de management ! », se récrie-t-on à longueur de temps, à l'intérieur comme à l'extérieur des sociétés. Des accusations qui pointent non pas le management en tant que discipline - toute organisation a nécessairement besoin que « ses rênes soient tenues » (voir encadré) - mais la façon dont les différents échelons hiérarchiques la mettent en œuvre. Jugées responsable de nombre de maux et déviances de l'entreprise, les pratiques managériales suscitent toutefois aussi beaucoup d'espoirs et d'attentes. Explications de l'effet attraction-répulsion de la pratique du management en quatre articulations.

Le management, en tant que discipline, est difficile à définir

« Il est compliqué d'en parler d'une manière synthétique et intelligente », assurait, dans un entretien aux « Échos », Michel Berry, chercheur en gestion à l'École de Paris du management. « Il y a une telle diversité dans la façon de bien gérer une entreprise ! Sauf à caricaturer les choses en trois formules, ce n'est pas demain la veille que les experts en management se retrouveront sur les plateaux de télévision. » Résultat : les voix des consultants, praticiens et autres professeurs en management pèsent peu face aux discours rodés des économistes et des banquiers. Alors que, en France, les sciences économiques disposent d'un paradigme établi depuis longtemps, le management - discipline jeune dont on se demande encore s'il s'agit d'une science, d'un art ou d'une simple pratique - oscille encore entre un cercle de spécialistes aux travaux ésotériques et quelques recettes navrantes. Un poison pour les directions d'entreprise.

Sa mauvaise pratique provoque quantités de déviances

Le management mal appréhendé serait à l'origine de quantités de dysfonctionnements, des injonctions contradictoires aux « conceptions les plus absurdes bâties à base de formules incantatoires et de fixations arbitraires de seuils à dépasser ou non », juge lui-même le penseur des affaires Henry Mintzberg, en qualifiant ces pratiques de « toxiques ». Du coup, les managers montent en puissance au détriment des chefs - les vrais, ceux qui commandent, brocarde Guillaume Bigot, directeur général de l'Ipag et auteur de « La Trahison des chefs » (Fayard), et « on aboutit à un système de valeurs qui érige l'intérêt individuel en loi commune ». Avec, en conséquence, un collectif affaibli au sein duquel « chacun, quelle que soit sa position hiérarchique, se considère comme un point nodal fondamental entre ceux du dessous qui ne font pas leur boulot et ceux du dessus », observe Frédéric Fréry, professeur de stratégie à ESCP Europe.

Condamnation du même tonneau par le professeur Jean-François Amadieu dans « DRH, le Livre noir » (Seuil), un ouvrage à charge, mais savamment argumenté et, avant lui par Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton dans « Faits et foutaises dans le management » (Vuibert). Trop de décisions de dirigeants reposeraient en effet sur la peur d'être dépassés par un concurrent ou sur des recettes qui ont fait florès dans le passé ou le mimétisme. Dans un tel contexte, le récent « Rien ne sert de courir si on n'est pas pressé », inspiré par l'humoriste Pierre Dac et lâché par Jean-François Dubos, le président du directoire de Vivendi, lors de la présentation des résultats annuels, a détonné.

Certains gourous du management « agacent »

Quelques « speakers » et conférenciers mondiaux, portés par leur succès initial semblent détenir la solution à tout. « C'est plutôt la consternation qui nous envahit. […] Une fois de plus nous voilà dans le monde merveilleux du "Yakafokon managérial" venu tout droit des États-Unis… donc nécessairement performant ! », s'étaient agacés Sandra Enlart, directrice générale d'Entreprise & Personnel, et Hervé Laroche, professeur à l'ESCP Europe, dans une tribune parue dans « Les Échos », suite à un article relatif au dernier ouvrage de Gary Hamel.

« Poussés à l'extrême, certains concepts peuvent conduire les entreprises à des erreurs toxiques », reconnaît Jean-Pierre Felenbok, partner senior chez Bain & Company. Mais nombre de penseurs, comme C.K. Prahalad, ont au contraire largement fait avancer le débat et « conduit à une nouvelle grille de lecture des entreprises, de leur échiquier stratégique et de leurs enjeux organisationnels », estime Yves Morieux, associé et directeur de l'institut pour l'organisation du Boston Consulting Group (BCG) en rappelant que le concept de plate-forme stratégique, créé par le BCG, est directement hérité des travaux de Prahalad, notamment sur la notion de compétences.

Chacun attend de la discipline des solutions

La pratique du management a du bon quand elle fait tomber certains concepts qu'elle tenait pour intangibles. Quand elle s'abstient d'étouffer les initiatives et l'innovation et surtout quand elle accorde toute son importance à l'humain, compliqué par essence. C'est à ce prix que le management peut apporter au jour le jour des solutions aux organisations.

La fin du conformisme managérial n'apparaît aujourd'hui guère évidente au sein d'un establishment français toujours féru de modèle pyramidal (et guère transversal) et peu ouvert aux innovations. Il n'empêche. Un besoin de pensée alternative se fait sentir. Les scientifiques, sociologues et autres historiens sont appelés à la rescousse pour associer leurs réflexions à celles des as de la discipline managériale. Le « bon » management serait capable de réintégrer l'intérêt général dans son échelle de valeurs et de regarder le réel sans complaisance. Avec l'objectif, comme le rappelle Frédéric Fréry, de « faire des choses extraordinaires avec des gens ordinaires ».



Rappel sémantique
Issu du verbe français « mesnager », le terme management renvoie à l'univers de l'équitation. « Mesnager », qui provient lui-même de l'italien « maneggiare », signifie « tenir en main les rênes d'un cheval ». Par extension, il en est venu à désigner le fait de tenir les rênes d'une organisation.
Lectures
  •  Management - espoir
    « L'Organisation pirate », par Rodolphe Durand & Jean-Philippe Vergne, (Le Bord de l'eau)
    « Les Mers de l'incertitude », par Robert Branche, (Le Palio)
    Management - déception
    « Faits et foutaises en management », par J. Pfeffer et R. Sutton, (Vuibert)
    « DRH, le Livre noir », par Jean-François Amadieu, (Seuil,)
    « La Trahison des chefs », par Guillaume Bigot, (Fayard).

 

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