mardi 4 juin 2013

Campus Probono 2013



Pro bono est l'abréviation de l’expression latine pro bono publico, signifiant « pour le bien public ». Le pro bono désigne l'engagement de volontaires qui donnent du sens à leur métier en s'impliquant dans des initiatives d'intérêt général à titre gracieux.
En France, le terme « pro bono » est principalement utilisé par les avocats, bien qu’il recouvre plus généralement les pratiques de bénévolat de compétences, de mécénat de compétences et bénévolat d’entreprise. Le pro bono est en effet une pratique courante chez les avocats. Cependant, il se répand de plus en plus dans d’autres professions telles que le marketing et la communication, la stratégie, l’informatique et les ressources humaines notamment.

http://www.pro-bono.fr/

Le pro bono d’un point de vue anthropologique

Des recherches récentes ont souligné les mutations de l’engagement bénévole. A la question « qu’est-ce-qui explique le choix d’une activité bénévole ? », les réponses indiqueraient une nouveauté d’approche : on peut citer par exemple la recherche du plaisir ou encore la volonté de développer ses compétences professionnelles. Yannick Blanc, Président de la Fonda, donne un éclairage complémentaire à  l’enjeu que représente le bénévolat dans le monde associatif : « Le constat d’une crise du militantisme, de la difficulté à renouveler cadres et dirigeants associatifs renvoie au spectre du repli sur soi qui caractériserait l’évolution des mœurs et de l’idéologie »[1].
Toutefois, la majorité des conclusions de ces études retiennent la recherche du sens, ou encore la recherche de l’utilité (« être utile à la société et faire quelque chose pour les autres ») comme source de motivation principale à l’engagement bénévole. Recherche du sens qui semble caractériser aussi les choix professionnels chez les jeunes de la « génération Y ». La recherche de l’utilité, si on la rattache par ailleurs à l’affirmation récente de la notion d’utilité sociale, est liée à la question des valeurs, à ce que les individus jugent utile pour la société, en un temps et un lieu donnés.
Le bénévolat, un don créateur de lien social
La question de l’engagement bénévole peut être abordée d’un point de vue anthropologique, en particulier à travers le paradigme du don-contredon élaboré par l’ethnologue Marcel Mauss. Considéré comme le père de l’anthropologie française et l’un des piliers de la discipline, Mauss a étudié le fonctionnement de sociétés dites archaïques. La démarche de Mauss, empirique, attribue aux significations données par les acteurs eux-mêmes une portée d’explication des phénomènes sociaux. Ses recherches ont abouti à la découverte d’un fait social particulier, le don, qu’il traite comme un « fait social total ». Le don est un fait social total parce qu’il a des conséquences structurantes sur la société dans son ensemble.
La dynamique du don et du contre-don est en effet articulée autour de trois actes bien différenciés, trois « obligations » : donner, recevoir et rendre, qui « créent une état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social ». C’est cette dynamique qui permet la circulation de l’information et, en tissant des relations de confiance, d’éviter la désintégration sociale et la guerre. C’est alors « qu’une histoire commune peut commencer à s’écrire, pour le meilleur ou pour le pire ! ».
Dans bon nombre de civilisations archaïques (…) les échanges et les contrats se font sous la forme de cadeaux en théorie volontaires mais en réalité obligatoirement faits et rendus »[2]
Une des définitions du sens renvoie par ailleurs à l’interprétation subjective d’un message, exprimé à travers l’usage d’un code donné. Si le don est un moteur de la construction de sens, il semble intéressant d’analyser le pro bono sous cet angle. Les conditions particulières du partage qui s’opère grâce à des activités telles que le bénévolat ou le mécénat de compétences suggèrent naturellement une dynamique d’échange, de don et de contre-don, plus certaine que dans le cas de la forme classique de mécénat financier.
Ces activités offrent un cadre qui permet notamment la rencontre humaine, et par là une reconnaissance de sujets traditionnellement opposés, entreprises et associations. Les associations n’ont pas le monopole du sens, et les entreprises ne sont pas seules détentrices de compétences. Les premières et les secondes peuvent donc être associées dans une dynamique collective de construction de valeurs communes et de renforcement des liens sociaux.
Crédit photo : Cordes, de Daniel Delsol, sous licence Creative Commons.
Sources :
Roger Sue et Jean-Michel Peter, Rapport de Recherche Intérêts d’être bénévole, synthèse des résultats, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris-Cité, Crédit Mutuel et La Fonda.
Jacques T. Godbout, en collaboration avec Alain Caillé, L’esprit du don, 1992 http://classiques.uqac.ca/contemporains/godbout_jacques_t/esprit_du_don/esprit_du_don_intro.html#_Quand_le_don
Isabelle Douart, Mécénat de compétences, une autre source de financement, 2008.
Lionel Prouteau et François-Charles Wolff, Les motivations des bénévoles. Quel pouvoir explicatif des modèles économiques ? 2004.

[1] Yannick Blanc, Les associations face à la reconfiguration des individus, La tribune Fonda – octobre 2011 [2]  Marcel Mauss, Essai sur le don, édition 1950, p.147

Bénévolat : les nouveaux ressorts de l’engagement

La nature du bénévolat semble avoir changé en l’espace d’une génération. C’est le constat indéniable que devra faire tout lecteur des dernières études sur les ressorts de l’engagement bénévole, études qui laissent également esquisser les formes et les contours du bénévolat de demain.
Du devoir, voire de la mission, sous couvert d’altruisme, on est passé à une forme privilégiée de la réalisation de soi avec l’avènement d’un « individualisme relationnel », où la notion de plaisir devient déterminante. Jean-Michel PETER et Roger SUE, De l’intérêt d’être bénévole.
Pour réaliser cette analyse, nous avons souhaité croiser les résultats de deux travaux complémentaires, à savoir : les études quantitatives La France Bénévole (éditions 2010 et 2012) menées conjointement par France Bénévolat et Recherches & Solidarités, ainsi que l’étude qualitative de 58 récits de bénévoles, réalisés par Roger Sue et Jean-Michel Peter, chercheurs au laboratoire Cerlis/CNRS de l’université Paris Descartes.
Donner un sens à sa vie : le plaisir de s’accomplir 
Lorsque l’on interroge les bénévoles sur leurs motivations, la première raison apportée est « J’ai voulu donner du sens à ma vie ». Cette motivation est citée par 57% des actifs et des retraités, et 49% des étudiants.
Le plaisir semble jouer un rôle déterminant dans la construction du sens de l’action par les bénévoles : il est à la fois la condition et la conséquence de l’action. En ce qui concerne cette composante « plaisir », les jeunes assument davantage l’épanouissement personnel que leur procure leur engagement bénévole. Ainsi, en 2010, 60% des 18-25 ans citent ainsi l’épanouissement comme source de satisfaction contre seulement 36% des retraités et 48% de l’ensemble des bénévoles en moyenne[1]. Si les différences de questionnaires ne nous autorisent pas toutes les comparaisons, on peut certainement se risquer à interpréter une plus forte présence de l’épanouissement personnel parmi les attentes des bénévoles, notamment chez les plus de 60 ans. Ainsi en 2010, seulement 36% des retraités citaient l’épanouissement personnel comme source de satisfaction dans leur engagement associatif[2], contre 48% en 2012[3]. Cette évolution est confirmée par les récits de bénévoles.
Aujourd’hui, les leviers de l’engagement résultent de l’adéquation entre la volonté d’œuvrer pour une collectivité et de former sa personnalité dans un engagement choisi et volontaire pendant son temps libre. Roger Sue et Jean-Michel Peter, De l’intérêt d’être bénévole, 2011.
Le bénévole semble finalement offrir à l’association son temps et ses compétences en échange d’un cadre propice à l’épanouissement personnel. Particulièrement propice à l’introspection, au retour sur soi et à la reconnaissance, l’engagement associatif contribue à la formation de l’identité de l’individu moderne, toujours en mouvement. Parallèlement, cet engagement paraît indissociable du plaisir lié à l’accomplissement de soi.
Apporter ses compétences à une cause d’intérêt général : de l’utilité des compétences 
52% des actifs et 51% des étudiants souhaitent apporter leurs compétences professionnelles ou leurs connaissances académiques à une cause d’intérêt général.
Lorsque les bénévoles se définissent eux-mêmes comme « des personnes ayant simplement le souci de se rendre utiles », il n’est pas surprenant d’observer que la moitié des bénévoles souhaitent mobiliser leurs compétences pour se rendre utiles à la société. Cette tendance est encore plus forte chez les étudiants, 70% desquels affirment utiliser leurs connaissances et compétences acquises au cours de leurs études pour leur activité bénévole, contre seulement 5% qui tiennent à bien séparer ces deux activités.
Si les bénévoles souhaitent apporter leurs compétences aux associations, ils attendent également de leur engagement associatif qu’il leur permette d’acquérir de l’expérience et de nouvelles compétences, parfois mobilisables au travail,  et que les bénévoles n’hésitent pas à valoriser. Ainsi, 76% des actifs citent leurs expériences bénévoles sur leur CV, dont 47% systématiquement et 29% uniquement lorsqu’ils pensent que cela sera un atout.
A cet égard, s’il est important de prendre en compte la représentation que l’individu se fait du monde du travail, on notera que 62% des actifs répondants affirment que leur employeur est au courant de leur activité bénévole, 35% pensent que l’employeur n’est pas au courant ou n’a pas à être au courant, et seulement  3% ont peur que cela soit mal perçu par l’employeur.
 90% des étudiants font mention de leur activité bénévole dans leur CV (dont 62% le font systématiquement). 57% des étudiants pensent que leur expérience bénévole leur sera utile devant un jury d’examen.
Parfois, les bénévoles attendent que l’association soit proactive en matière de transfert de compétences. C’est notamment le cas de 26% des moins de 25 ans, et de 27% des 25-40 ans qui souhaitent recevoir une formation dans le cadre de leur engagement bénévole. On note un parallèle important : 41% des retraités aimeraient transmettre leurs savoir-faire à des bénévoles plus jeunes dans les prochaines années.
On retiendra finalement plusieurs apprentissages. D’une part, les bénévoles souhaitent mobiliser leurs compétences, voire même recevoir une formation, pour être « utiles et efficaces » dans leur engagement. D’autre part, ils sont conscients de la capacité des associations à développer chez eux certaines compétences qui peuvent faire l’objet d’un transfert dans la vie professionnelle ou estudiantine. Ils hésitent alors ni à  les valoriser, ni à les mobiliser à l’extérieur du monde associatif.
Appartenir à un groupe : de l’adhésion à la reliance 
80% des bénévoles jugent que la dimension collective du projet a été essentielle lorsqu’ils ont commencé leur activité bénévole.
Si l’individu moderne souhaite davantage être maître de son réseau relationnel, il se soumet moins facilement aux règles d’un collectif dont l’élaboration lui échappe. Pourtant, le collectif ne semble pas disparaître sous la pression de l’individualisme. Le besoin d’échange, de reconnaissance et d’appartenance à un groupe, dit « reliance » reste fort malgré tout.
46% des étudiants et 34% des actifs citent l’envie de participer à des activités en équipe comme facteur de motivation.
Le projet associatif en tant que document formalisé et fédérateur, preuve de l’association des bonnes volontés, n’est pas un facteur d’adhésion déterminant. Il justifie et motive l’engagement sur le long-terme plus qu’il ne le suscite en premier lieu. Ainsi, bien que 64% des bénévoles connaissent et se sont approprié le projet associatif, seulement 9% des bénévoles affirme que le document du projet associatif les a décidé à devenir bénévole dans l’association.[4] Par contre, les bénévoles, et notamment les jeunes, sont désireux de réaliser des activités concrètes en équipe. On note que les liens créés grâce au bénévolat sont également appréciés par les retraités, d’autant plus qu’ils sont davantage exposés aux situations d’isolement.
On est donc passé d’une adhésion idéologique et militante aux valeurs et aux règles du collectif à un phénomène de reliance, c’est-à-dire un besoin ressenti par les individus de se lier ou de se relier au groupe, cher au sociologue belge Bolle de Bal.
Finalement, cette nouvelle génération de motivation n’est probablement pas le signe d’un recul de l’altruisme ou du sens du collectif, mais plutôt d’une reconfiguration profonde des individus. Chacun cherche sa propre trajectoire en s’affranchissant des identités héréditaires, dans une société où la frontière entre sphère privée et sphère publique s’effrite et où les idéologies, les institutions (tradition, croyances, mœurs, etc.) et les corps intermédiaires s’essoufflent.[5] Mais il existe bien un parcours de l’engagement, puisque les études montrent aussi l’évolution des motivations : on s’engage d’abord pour soi, puis avec les autres, puis pour les autres et enfin pour la société.[6]


     
[1] La France Bénévole 2010 [2] La France Bénévole 2010, réponse « L’épanouissement personnel »  à la question « Quelles principales satisfactions éprouvez-vous dans votre engagement » [3] La France Bénévole 2012, réponse « Qu’elle est épanouissante » à la question « De votre activité bénévole, vous diriez plutôt » [4] La France Bénévole 2012, France Bénévolat [5] Yannick Blanc, Les associations face à l’individu reconfiguré, La Tribune Fonda, 2011 [6] Bénédicte Harvard Duclos –Sandrine Nicourd – Pourquoi s’engager : Bénévoles et militants dans les associations de solidarité – Paris – Payot – 2005

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