lundi 17 juin 2013

Jean-Paul Delevoye. « Notre société humilie de plus en plus »

Économie samedi 20 avril 2013

Pour le président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul Delevoye, la France est en train de nourrir des violences à venir. Entretien.

Même revues à la baisse, les prévisions de croissance du gouvernement sont contestées. Qui a raison ?

Les prévisions du gouvernement sont davantage calculées pour afficher une maîtrise de la dette, donc du budget, que pour correspondre à la réalité. Et aux effets réellement attendus de mesures de relance de la croissance. Si on entre dans une période de croissance durablement faible, ce qui est déjà arrivé dans l’histoire, on ne finance pas notre système actuel de retraite et de santé.

Que faire ?

À quatre points de croissance, on double son pouvoir d’achat en 20 ans. À un point de croissance, il faut plus de 85 ans pour doubler son pouvoir d’achat. Cela pose une question : la future génération aura-t-elle un confort de vie et un bonheur de vivre inférieur ? Mais il faut aussi rester optimiste : cette période de croissance faible peut être l’avènement d’une société de partage, comme le montre aujourd’hui l’extraordinaire vitalité de l’économie collaborative.

Vous dites attendre beaucoup du futur patron du Medef…

Il y a aujourd’hui une possibilité, pour les syndicats de salariés et les syndicats patronaux, d’avoir un véritable dialogue sur les évolutions de l’économie. Mais c’est sous réserve de la personnalité du futur patron du Medef. Et Patrick Bernasconi, est le candidat qui me semble avoir cette capacité d’ouverture.

Plusieurs ministres ont réclamé une « pause » dans la politique de rigueur. Y a-t-il « trop d’austérité » ?

Il faut effectivement s’interroger sur la soutenabilité sociale des décisions prises, mais aussi sur leur efficacité. On voit bien que les États-Unis, qui ont misé sur un soutien de l’activité par la profusion monétaire, n’obtiennent pas forcément les résultats à hauteur des attentes. De même, le FMI est en train de revoir, à la suite de l’expérience grecque, ses coefficients de corrélation entre maîtrise budgétaire et croissance. Le paradoxe est que cette année 2013 peut se révéler une bonne année boursière, compte tenu d’une activité internationale bien meilleure qu’en Europe, mais une année terrible sur le plan économique et social, dans un contexte où la population perçoit de plus en plus difficilement la montée des inégalités.

Socialement, vous vous montrez assez préoccupé.

Notre société est en train d’humilier de plus en plus de personnes : le bac +5 qui est payé au Smic, le gars qui est viré à 40 ans sans alternatives… Nous nourrissons aujourd’hui des violences qui peuvent se retourner contre les individus ou le système. Le discrédit politique est le plus haut depuis la dernière guerre. De nouvelles forces de déstabilisation du système se multiplient : les Pigeons au Medef, Beppe Grillo en Italie… Le taux de chômage va arriver à celui des années 30. C’est sur l’humiliation qu’Hitler est arrivé au pouvoir.

Selon vous, l’économie « parallèle » est en train de l’emporter sur le « système réel »…

Oui et on se réfugie derrière un déni de réalité. Quand François Hollande a dit « on supprime les heures sup’de Nicolas Sarkozy », tous ceux qui ont perdu 500 € sont allés travailler au noir. Dans les quartiers de Seine-Saint-Denis, quand Monsieur Guéant (ancien ministre de l’Intérieur) a fait reculer le commerce de la drogue, six mois après, il y avait une augmentation de 60 % des impayés d’HLM. L’économie parallèle fait vivre les quartiers. Et cela devient de plus en plus compliqué, car la mondialisation a mis en place son organisation la plus forte : la mafia.

C’est-à-dire ?

10 % du PNB mondial, c’est le trafic de drogue, d’armes et de personnes. J’ai encore en tête cet enseignant qui avait supprimé les classes vertes des CM2, par manque de sous. Trois jours après, un de ses élèves de 10 ans mettait un paquet de billets sur son bureau en disant « mon grand frère vous paie la classe verte ». À Marseille, on sait bien que certaines patinoires ne sont pas payées par la mairie mais par le « grand frère ».

Recueilli par Guillaume BOUNIOL.

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