dimanche 17 novembre 2013

La stratégie d'entreprise comme vecteur de sens. Par Claire Delisles

Publié le 14/11/2013

La stratégie précède l’entreprise. Si bien que l’on en oublie parfois facilement qu’elle se construit au gré des efforts de l’ensemble des collaborateurs et qu’elle en est l’un des principaux vecteurs de motivation.

Une entreprise n’est pas qu’une structure froide et désincarnée, poursuivant des objectifs abstraits. C’est une organisation faite d’hommes et de femmes poursuivant, en principe, un but commun très clairement formulé à l’aide d’une stratégie. Dans le cadre d’une entreprise, cette stratégie est et a toujours été l’un des ciments nécessaires à l’effort collectif : chaque personne est garante d’un rôle et contribue à atteindre les objectifs. À l’heure où la segmentation des tâches, des qualifications et des marchés s’est imposée en règle, matérialiser ce trait d’union entre tous les collaborateurs de l’entreprise s’avère parfois difficile ou contre-intuitif. Pourtant la capacité d’une entreprise à proposer une stratégie claire est une condition nécessaire et non négociable de sa réussite aux niveaux corporate et opérationnel.
De la Ford T à la Ford Focus
« Deux choses capitales n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise, déclarait Henry Ford, sa réputation et ses hommes. » Ces deux choses ne sont autres que les moyens stratégiques de l’entreprise. À l’époque de la Ford T, il ne fait aucun doute que les ouvriers employés par Ford avaient le sentiment de participer à une aventure entrepreneuriale et industrielle qui allait révolutionner leur société. Cette stratégie a depuis été révisée et adaptée, mais elle a conservé toute son ambition : produire une voiture universelle. Aujourd’hui, Ford continue d’être couronnée de succès. Précurseur de la stratégie de la voiture mondiale avec sa « One Ford Strategy », le constructeur américain est parvenu à imposer sa Ford Focus sur tous les continents. « One Ford vise à proposer aux clients du monde entier des produits exceptionnels intégrant la quintessence de Ford Motor Company », expliquait Allan Mulally, l’artisan de cette stratégie en 2010.
Un cap, une direction
Une stratégie solide est une composante majeure du succès. A contrario, des difficultés à la formuler résultent presque toujours en de sérieuses complications. L’effondrement du marché du PC a par exemple jeté le trouble sur les affaires de Dell, subitement contraint de se réinventer. « [Le rêve] de Michael Dell était de concurrencer IBM », pouvait-on lire dans Le Monde en septembre 2013, mais les bouleversements du marché ont forcé l’entrepreneur à « faire en sorte que son entreprise, à l’instar de son aînée, se transforme de constructeur-vendeurs d’ordinateurs en fournisseurs de services ». Mais opérer de tels revirements stratégiques est une tâche ardue : « on ne change pas en une nuit, et les concurrents sont nombreux, beaucoup plus qu’avant », observe Craig Slice, analyste chez IHS cité par Le Monde. Et d’ailleurs, le chiffre d’affaires de Dell stagne depuis 2007 malgré un doublement de sa masse salariale. Le groupe dispose désormais des ressources pour opérer sa mue, mais il semble lui manquer un cap, une direction pour mobiliser ses équipes.
Justifier son existence
Pour une entreprise, déterminer sa stratégie revient à justifier son existence, notamment en termes d’utilité sociale. Par conséquent, rien ne la destine à réussir si ses plans ne sont pas limpides et pertinents. Parfois, l’égarement conduit les entreprises à perdre de vue leur raison d’être. En diversifiant ses activités, et s’en adaptant à des marchés lointains, une entreprise évolue tellement qu’il en devient parfois difficile pour ses collaborateurs de mettre des mots sur le projet qui l’anime et les moyens d’y arriver. Les symptômes de l’absence d’un projet collectif fort sont fréquemment l’émergence d’un management trop directif ou la faiblesse du leadership. Ces symptômes charrient bien souvent un même risque : la perte de sens. Un mal dont les chefs d’entreprise sont de plus en plus nombreux à prendre conscience et qu’ils s’efforcent d’anticiper pour préserver la qualité de leur fonctionnement interne.
Une question de finalité
Sans projet commun, point de vigueur dans la mobilisation collective. Désormais, le besoin des collaborateurs d’adhérer à une stratégie fait donc évoluer le métier de chef d’entreprise. « Le rôle de l’entrepreneur, face à une compétition intense, mais surmontable […], n’est plus seulement celui de gestionnaire, de décideur ou de porte-parole, affirme Jean-Pierre Savare. S’y ajoute désormais celle du cultivateur de talents, à même de traduire une ambition partagée en vision stratégique de l’avenir. » Le président d’Oberthur Fiduciaire, l’une des rares sociétés au monde à maîtriser l’impression de sécurité et de billets de banque, peut en dire quelque chose. Après l’avoir redressée, Jean-Pierre Savare a en effet passé près de trois décennies à faire fructifier l’héritage de cette imprimerie fondée à Rennes en 1842. Le métier d’Oberthur Fiduciaire a considérablement évolué, mais sa finalité est restée la même au gré des années, fédérant des générations de salariés autour de la noblesse d’un métier ancestral : l’imprimerie.
Compréhension et appropriation
Au niveau opérationnel, la stratégie d’entreprise conditionne l’engagement des collaborateurs. De plus en plus d’entreprises françaises mettent donc en place des processus qui permettent aux salariés d’en prendre connaissance et de se l’approprier dès leur arrivée dans les locaux. Chez le fameux site d’annonces Leboncoin.fr, « chaque nouvel arrivant déjeune au cours de sa première semaine avec chacun des membres du comité de direction, explique-t-on chez chefdentreprise.com. Il rencontre également tous les responsables de service dans les 15 jours, afin d’avoir une vision complète de l’entreprise. » Outre l’humanisation des rapports de travail, l’intérêt de ce type de démarche est évident : elle permet à chaque participant de la vie de l’entreprise de savoir ce que l’organisation fait, et en quoi il y contribue individuellement.
Donner du sens aux actes
Ce type de démarche n’est pas cantonné aux fonctions de production. Du côté des fonctions de support, la nécessité de réaffirmer la stratégie auprès des collaborateurs est parfois forte en effet. « Les différentes directeurs exécutifs de l’entreprise orientent principalement leur carrière, dans une filière technique particulière (finance, RH, marketing) », commente Matthieu Poirot, coach pour Midori Consulting. « Aucun objectif commun n’en ressort pour l’organisation », conclut-il.
Lorsque l’on n’est qu’un maillon d’une longue chaîne, il peut être difficile de situer la finalité de ses gestes. Il n’y a que le chef d’entreprise qui peut permettre aux collaborateurs de resituer leur travail dans le contexte de l’organisation en portant leur stratégie avec volontarisme. Le faire donne du sens à la vie de l’entreprise et aux efforts des individus qui travaillent pour elle. C’est une source d’inspiration indispensable, sans quoi le travail ne devient qu’une succession de tâches abstraites et sans grand intérêt moral. Bien sûr, la responsabilité de chef d’entreprise à cet égard n’est pas évidente pour tout le monde. Mais la prise en compte des attentes des salariés va croissante car, rappelle Muriel Humbertjean, directrice générale adjointe de TNS Sofres, « le travail n’est plus vécu comme un devoir, mais comme une manière de s’accomplir soi-même ».
A propos de l’auteur :
Après plusieurs années d’expérience au sein de directions RH en administration territoriale dans le Nord de la France, Claire Delisles s’est installée sur Paris comme consultante indépendante en gestion des Ressources Humaines, formation et coaching en développement personnel et professionnel.
Pour la contacter : claire.delisles@yahoo.fr

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