samedi 14 décembre 2013

Salaires : l'exception française

LE MONDE | • Mis à jour le | Par

L'économie française patine, peine à sortir de la récession et pourtant les salaires restent dynamiques. Les chiffres publiés, vendredi 13 décembre, par le ministère du travail en témoignent. Au 30 septembre, l'indice du salaire mensuel de base de l'ensemble des salariés (SMB) affichait une hausse de 1,6 % sur un an. Comme, dans le même temps, l'inflation (hors tabac) a été limitée à 0,7 %, cela signifie que le SMB a progressé en réel de 0,9 % sur un an.

Cette situation est d'autant plus paradoxale que, depuis des mois, l'économie française détruit des emplois. Sur un an, les secteurs marchands ont supprimé 132 500 emplois, principalement dans l'industrie. « Il y a effectivement en France une forme d'inertie de l'évolution des salaires par rapport à l'activité. Le produit intérieur brut en valeur a progressé de 9,7 % entre 2007 et 2013, alors que sur la même période le salaire par tête a, lui, augmenté de 13,6 % », note Denis Ferrand, directeur de Coe-Rexecode.

« L'ÉCART SE CREUSE »
Dans une note, publiée en avril, le Conseil d'analyse économique (CAE) avait souligné cette particularité. S'intéressant à la période 2008-2010, l'organisme, rattaché à Matignon, pointait que, depuis la crise de 2008, « un écart se creuse en France entre la productivité du travail, qui tend à stagner, et les salaires qui continuent de progresser ».

Dans le même temps, certains pays voisins, comme l'Italie ou l'Espagne, ont accusé une sévère baisse des salaires. La Fondation d'études d'économie appliquée (Fedea) calcule que les salaires ont baissé en Espagne de 12 % entre 2010 et 2012. Un recul salué par le chef du gouvernement espagnol. Dans un entretien au quotidien El País, Mariano Rajoy a estimé, le 10 décembre, que pour sortir de la crise, « une des clés est la modération salariale », ajoutant : « Dans les situations de difficulté, il vaut mieux gagner un peu moins et maintenir le plus grand nombre possible de postes de travail. »
Lire aussi l'entretien avec Patrick Artus (économiste en chef chez Natixis) :  « Les salaires français sont les plus rigides de la zone euro »
Comment expliquer la dynamique préservée des salaires en France durant la crise ? Une partie de la hausse – environ un quart selon le CAE – est mécanique. Les destructions d'emplois observées durant cette période concernent majoritairement des salariés à faibles qualifications et faibles rémunérations, ce qui entraîne une hausse du salaire moyen des personnes ayant conservé leur emploi.
Par ailleurs, relève le CAE, « les modalités de définition des minima salariaux et de financement de la protection sociale jouent aussi un rôle dans cette dynamique salariale ».
Enfin, et c'est là un élément commun aux entreprises françaises et étrangères, les dirigeants sont réticents à infléchir leurs pratiques salariales. « Pour préserver la motivation des travailleurs et le climat social, deux déterminants essentiels de la productivité, les entreprises préfèrent réduire l'emploi que les salaires », observe le CAE.
Cette absence de réactivité des salaires à la crise n'est pas sans conséquence. A très long terme, les évolutions salariales demeurent corrélées aux gains de productivité. Si, depuis 2008, la productivité horaire en France a crû de 3 %, le salaire par tête dans le secteur marchand s'est apprécié en cumulé de 10 %. L'écart a été supporté par les entreprises, à travers une contraction des marges.
Enveloppes revues à la baisse
En raison du décalage observé, le rebond de l'activité économique en France, s'il se concrétise, ne sera donc pas synonyme d'une hausse accélérée des salaires. « Les entreprises vont d'abord reconstituer leurs marges, ensuite, elles augmenteront l'emploi et redistribueront du salaire », prédit M. Ferrand, selon qui le salaire nominal (celui inscrit sur la feuille de paie) ne devrait augmenter que de 1,5 % en 2014.
La modération salariale va donc s'installer dans la durée. Les grands cabinets spécialisés dans les ressources humaines et le management le confirment : 2014 ne sera pas un millésime très fructueux pour les rémunérations en France.
Hay Group – qui se fonde sur un panel de 22 000 entreprises à travers le monde – estime que, l'an prochain, les rémunérations ne devraient progresser en France que de 2,5 %, après 2,6 % en 2013. Pour sa part, le cabinet Towers Watson, qui a centré son étude sur 63 grandes entreprises en France, relève que ces dernières diminuent leurs enveloppes d'augmentations salariales.
Alors que cet été, ces entreprises estimaient qu'en 2014 leurs budgets consacrés aux augmentations (générales et individuelles) pourraient progresser de 2,8 %, elles considèrent désormais que cette hausse ne sera que de 2,3 %, toutes catégories de salariés confondues.
Selon Armelle Prokop, responsable du département rétributions chez Towers, cette révision traduit le fait que « le regain d'activité économique, attendu en juillet, n'a pas été aussi notable qu'espéré en cette fin d'année, les contraignant à revoir à la baisse leurs budgets d'augmentations salariales ».

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