vendredi 21 février 2014

12 Years a slave



12 Years as a slave
Affiche de "12 Years a Slave" de Steve McQueen (Mars Distribution)

Beaucoup de choses ont été écrites sur "12 Years a Slave".  Des articles au contenu lourd d'informations horrifiantes aux slideshows plus frivoles sur les tenues impeccables de Lupita Nyong'o (qui joue Patsey dans le dernier film de Steve McQueen), tous étaient nécessaires.

Ce meta-language sur "12 Years a Slave" qui consiste à moins parler du film que du sujet du film montre, s'il en était encore besoin, le vide émotionnel et intellectuel qu'il y avait ici à remplir.


Un grand film pour sortir d'une vision enfantine de l'esclavage

Il était temps de pouvoir aborder l'esclavage en profondeur. C'est d'ailleurs à l'aune de l'esclavage que ce film est la plupart du temps jugé. "Libération" critique un film qui "finit par occulter involontairement une dimension essentielle. L’ignominie de l’esclavage est tout entière contenue dans son caractère institutionnel, dans le fait qu’il répondait à des besoins économiques précis." Le Monde titre "L'esclavage, une infamie qui broie les corps", etc.

Il faut ainsi féliciter un film qui permet de dépasser une condamnation enfantine de l'esclavage ("l'esclavage c'est pas bien") pour amener à s'interroger sur ce qui rend l'esclavage, en tant qu'institution légale, moralement insupportable.

Car lorsqu'on s'interroge sur l'esclavage, on ne parle pas seulement de la traite négrière d'il y a 200 ans, mais aussi de l'esclavage comme il se pratique aujourd'hui, on aborde le sujet de la liberté, on dépasse en somme les frontières de l'aspect historique pour se concentrer sur le caractère ontologique de la servitude.

"12 Years a Slave" est en cela un grand film. Steve McQueen livre une oeuvre de parallélisme, où subtilité et ficelles grossières du récit hollywoodien se marient pour aboutir à une oeuvre qui ne se rapproche pourtant jamais de la distraction, de l'entertainment.

L'esclavage comme institution

Comment ne pas voir qu'il adresse le caractère institutionnel de l'esclavage lorsqu'en réalité, il s'agit de l'axe central du film. Que Salomon Northup soit kidnappé à Washington, là où on le voit emprisonné alors qu'un travelling vertical révèle le Capitole, en est une preuve. Qu'il s'agisse de l'histoire d'un homme qui, au Nord, est libre, au Sud, un esclave par un arbitraire dont le film nous fait toucher l'absurdité, en est un autre.

Qu'alors même que son premier maître, Master Ford, se voit comme un homme de bien, religieux, celui-ci invoque l'argument économique pour livrer, vendre Northup à un maître qu'il sait d'une cruauté exemplaire, ne fait qu'enfoncer le clou : Northup à qui on a retiré le droit d'avoir son nom et qui s'appelle désormais Pratt, n'est qu'un bien, un outil.

La banalité marchande de l'esclavage est également mise en avant lors de la vente, arrivée à la Nouvelle-Orléans, des esclaves kidnappés. Un long mouvement de caméra, serpentant la pièce, montre le marchand d'esclaves dans l'agitation de la négociation, face à l’appât du gain, devant ses hommes et femmes nus dont il vante et reconnait les qualités comme on apprécie, en connaisseur, un beau meuble.

Comment ne pas voir également le rappel du caractère institutionnel de l'esclavage dans les nombreuses, peut-être trop nombreuses, nominations  par Epps (joué par Michael Fassbender) de ses esclaves en tant que "propriétés".

L'esclavage comme quotidien

Steve McQueen parle également de la religion, qu'il s'agisse des prêches de Ford toujours recouverts par des bruits de douleurs qui en parasitent le discours et en soulignent l'hypocrisie, de l'utilisation de la Bible comme justification par Epps ou encore de la discussion entre Epps et Bass (interprété par Brad Pitt) qui utilisent tour à tour la Bible pour argumenter en sens contraire.

Mais ne parler que de l'institution et des moyens de justifications de cette institution aurait été ignorer ce que justement Steve McQueen a choisi de montrer : les esclaves dans leur quotidien.

On rencontre la peine inconsolable d'un mère séparée de ses enfants. On observe la vie tragique, mais supportée avec grâce, de Patsey, qui est aimée d'un amour honteux et donc violent par son maître et détestée pour cet amour par sa maîtresse. On voit les jours de Solomon (Chiwetel Ejiofor) qui, un jour, a été libre et qui, tout le long du film, supporte avec patience les coups de fouets dès le moment où il comprend qu'il s'agit du seul moyen de ne pas finir pendu et dans l'espoir de regagner  sa liberté.

Le discours sur la liberté entre par eux.

Le passé d'homme libre, omniprésent

Solomon se rend compte de l'hypocrisie de sa vie d'avant, lorsque lui libre, il ne s'intéressait pas aux autres esclaves qu'il pouvait croiser. Ce passé d'homme libre distingue également Solomon des autres, l'espoir du regain de liberté, le sentiment profond de l'injustice qui lui est faite, lui permet d'endurer pendant 12 ans la captivité, il ne cessera pas, tout le long du film, de chercher le moyen de retourner vers sa famille. Steve McQueen rend perceptible la frontière ténue entre liberté et servitude, notamment dans les séquences dans lesquelles Northup joue du violon.


Alors qu'il s'agissait de sa profession dans sa vie d'homme libre, il est contraint de se servir de son instrument pour distraire ses maîtres en captivité et même lorsqu'il n'est pas contraint, lorsque par un geste qui se veut plein de mansuétude, on lui propose un concert pour lequel il sera rémunéré, Pratt n'est pas libre, là où Northup l'est.

Le réalisateur utilise le même cadrage de Chiwetel Ejiofor, près d'une fenêtre au début du film dans ses habits de ville, saluant sous les applaudissements et au milieu du film, dans ses habits d'esclaves, regardant dans le vide, comme absent.

Amour et dignité

La question survient alors : si Solomon Northup survit dans l'espoir de la libération, qu'en est-il des autres, pourquoi vivent-ils? Comment aiment-ils? Rient-ils quelques fois? On ne voit jamais un esclave rire dans le film, très rarement également les voit-on pleurer, souvent sont perceptibles des cris, couplés au bruit du fouet sur la chair, et visible la peur, constante, dans les yeux de ces esclaves qui osent à peine se regarder.

Alors pourquoi vivent-ils? Dans une des séquences les plus déchirantes du film, Patsey demande à Solomon de la tuer en échange d'un bien quelconque, ici encore le caractère marchand est mis en avant et l'intériorisation de celui-ci également, il ne le fera pas, elle ne se tuera pas. Patsey alors même qu'elle dit "il n'y a aucun confort pour moi dans cette vie" continue de vivre et continue à créer, on la voit chantonner dans un murmure alors qu'elle tisse des personnages à l'aide de feuillages de maïs.

Ici se laissent entendre les mots du réalisateur, prononcés à maintes reprises : ce film pour lui est propos d'amour et de dignité. S'ils ont survécu, si tant d'esclaves ont continué d'avoir des enfants, ont continué à leur donner des prénoms qu'on leur retirerait, si tant d'hommes et de femmes aujourd'hui sont descendants d'esclaves, c'est que ces êtres, qu'on n'a cessé de traiter comme des bêtes, à qui on a voulu faire comprendre par tous les moyens qu'ils ne devaient pas être éduqués mais dressés, qui ont vu leurs semblables se faire pendre, ou être déchiquetés par des chiens, n'ont jamais renoncer au statut d'humain ni pour eux, ni pour leurs semblables.

S'il n'y a pas de rires dans ce film, nombreux sont les chants d'esclaves qui y résonnent et qui attestent de la détermination de ces esclaves à être des sujets.

Chiwetel Ejiofor dans le film anglo-américain de Steve McQueen, "12 Years a Slave".

Solomon Northup, né en juillet 1808R 1, à Minerva, comté d'Essex dans l'État de New York et mort à une date inconnue après 1857R 2, est un mulâtre afro-américain né libre, fils d'un esclave affranchi. Il était agriculteur et violoniste, et possédait une propriété à Hebron, dans l’État de New York.
En 1841, il est enlevé par des marchands d'esclaves, après avoir été séduit par une offre d'emploi en tant que violoniste. Alors qu'il accompagne ses supposés employeurs à Washington DC, ils le droguent et le vendent comme esclave. Il est envoyé à la Nouvelle-Orléans où il est vendu à un propriétaire de plantation en Louisiane. Il est détenu dans la région de la Rivière Rouge par plusieurs propriétaires pendant douze ans, période pendant laquelle ses amis et sa famille n'ont pas de nouvelles de lui. Il fait plusieurs tentatives pour s'échapper et faire passer des messages. Finalement, il obtient des nouvelles de sa famille, qui a contacté des amis et rallié à sa cause le gouverneur de New York, Washington Hunt. Il retrouve la liberté en janvier 1853 et retourne à sa famille à New York.
Solomon Northup poursuivit les trafiquants d'esclaves à Washington DC, mais perdit devant le tribunal local. La loi du District de Columbia lui interdisait en tant qu'homme noir de témoigner contre les Blancs, et sans son témoignage, il n'était pas en mesure de les poursuivre pour dommages et intérêts. Plus tard, dans l'État de New York, deux hommes furent accusés d'enlèvement mais les accusations furent retirées au bout de deux ans.
Devenu abolitionniste, il publie des mémoires, Douze ans d'esclavage, qui deviennent un best-sellerR 3 et contribuent au débat sur l'abolition de l'esclavage. Devenu militant pour l'abolitionnisme, il donne des dizaines de conférences à travers le Nord-Est des États-Unis. Il disparait dans des circonstances inconnues quelques années après avoir retrouvé sa condition d'homme libre.
Ses mémoires sont adaptées au cinéma en 2013 par le réalisateur britannique Steve Mc Queen, mettant en vedette Chiwetel Ejiofor dans le rôle de Solomon Northup.

Jeunesse et mariage

Le père de Solomon, Mintus Northup, est un esclave afro-américain qui a passé la première partie de sa vie au service de la famille Northup. Originaire du Rhode Island, il habite par la suite à Hoosick, dans le comté de Rensselaer, État de New York. La mère de Solomon était elle quarteronne et de condition libreR 4. Au décès de M. Northup, le testament affranchit Mintus Northup, lequel déménage alors pour Minerva, où naît, libre, son fils Solomon.
Le jour de Noël 1828 ou 1829R 5, Solomon Northup épouse Anne Hampton. Ils ont trois enfants : Elizabeth, Margaret et AlonzoR 6.

L'enlèvement

Au mois d'avril 1841, alors âgé de 32 ans, Solomon rencontre deux hommes qui se présentent à lui comme étant Merrill Brown et Abram Hamilton. Ils lui disent qu'ils sont des artistes, membres d'une compagnie de cirque, et lui proposent un poste de violoniste pour plusieurs représentations à New York. S'attendant à ce que le voyage soit bref, Solomon part sans avertir sa femme. Quand ils arrivent à New York, les hommes le convainquent de les suivre pour le cirque à Washington DC, en lui offrant un salaire généreux et le prix de son voyage de retour. Ils s'arrêtent pour qu'il puisse obtenir une copie de ses papiers, afin de prouver son statut d'homme libre. En effet, son statut devient une préoccupation alors qu'il se rend à Washington, car l'esclavage y est légal : la ville fut l'un des plus grands marchés d'esclaves de la nation et les chasseurs d'esclaves enlevaient parfois des Noirs libres. À ce moment-là, vingt ans avant la guerre de Sécession, l'expansion du coton dans le Sud profond appelait une demande permanente d'esclaves en bonne santé. Des ravisseurs utilisaient de nombreux moyens pour y répondre, de l'enlèvement par la force à la tromperie, et les enfants étaient souvent kidnappés.
« Brown » et « Hamilton » droguèrent Solomon avec de la belladone et le vendirent à James H. Birch, un marchand d'esclaves de Washington DC, pour 650 $, en affirmant qu'il était un esclave fugitif de la Géorgie. Birch et Ebenezer Radburn l'ont sévèrement battu pour l'empêcher de dire qu'il était un homme libre. Solomon fut enfermé dans la cave de la « Yellow House », un des nombreux sites dans Washington DC où étaient vendus les esclaves, le plus connu étant cette négrerie Williams (du nom du marchand d'esclaves William H. Williams) du Fort Edward1.

L'esclavage

Birch expédia Solomon et d'autres esclaves par la mer jusqu'à la Nouvelle Orléans, d'où son partenaire Théophile Freeman les vendrait. Pendant le voyage, Solomon et les autres esclaves attrapèrent la variole, dont un nommé Robert qui mourut en route.
Solomon persuade John Manning, un marin anglais, d'envoyer une lettre à Henry B. Northup expliquant l'enlèvement de Solomon et de son esclavage illégal. Northup, avocat, était un membre de la famille qui avait eu le père de Solomon comme esclave, et un ami d'enfance de Solomon. La législature de New York avait adopté une loi en 1840 pour protéger ses résidents afro-américains en fournissant une assistance juridique et financière, ceci pour faciliter la récupération de tous ceux qui seraient enlevés et menés hors de l'état. Henry était prêt à aider, mais ne pouvait pas agir sans savoir où Solomon allait.
William Ford
Au marché aux esclaves de la Nouvelle-Orléans, le partenaire de Birch, Théophile Freeman, vendit Solomon (qui avait été renommé « Platt ») à William Ford, un petit planteur de Bayou Boeuf, de la Rivière Rouge dans le nord de la Louisiane. Ford était un prédicateur baptiste. Dans son livre, Solomon caractérise Ford comme un homme bon, attentionné de ses esclaves. En dépit de sa situation, Solomon écrivit :
« À mon avis, il n'y a jamais eu d'homme de plus aimable, noble, sincère, et chrétien que William Ford. Les influences et les associations qui l'ont toujours entouré l'ont aveuglé au mal inhérent à la base du système de l'esclavage. »
L'égard de Solomon pour Ford n'empêcha pas son intention de s'échapper. Il fit de nombreuses tentatives pour obtenir des nouvelles de sa famille et de ses amis, ainsi que des précisions sur l'endroit où il était détenu et il fit de nombreux efforts pour s'enfuir. Il ne pouvait pas avoir de papier pour écrire, ce qui rendait toute messagerie presque impossible. Les esclaves étaient constamment surveillés et les sanctions en cas d'infraction aux règles étaient violentes.
Sur le domaine de Ford à Pine Woods, Solomon proposa de faire des radeaux de buches pour déplacer le bois à travers l'étroit cours d'eau, pour le vendre sur le marché à moindre coût. Il était familier avec cette procédure depuis son travail précédent, et son projet aboutit avec succès. Il construisit également des métiers à tisser, copiés sur une des environs[pas clair], de sorte que Ford pourrait mettre en place ses filatures sur le ruisseau. Avec Ford, Solomon trouvait ses efforts appréciés. Mais le planteur eut des difficultés financières et dût vendre 18 esclaves pour régler ses dettes.
John M. Tibaut
Durant l'hiver de 1842, Ford vendit Solomon à John M. Tibaut, un charpentier qui avait travaillé dans une des filatures et dans une minoterie sur la plantation de Bayou Boeuf de Ford. Tibaut n'avait pas le prix d'achat total, ainsi Ford tint une hypothèque sur Solomon de 400 $, ce qui signifie que Tibaut devait à Ford 400 $ et que Solomon était la garantie de l'emprunt. Avec Tibaut comme maître, Solomon subit un traitement cruel et capricieux. Tibaut le ramena à la plantation de Ford, où il y avait d'autres constructions à réaliser. Un jour, Tibaut décida de fouetter Solomon parce qu'il n'aimait pas les clous que Solomon utilisait. Mais quand Tibaut saisit son fouet, Solomon riposta. Le surveillant Chapin Ford sauva Solomon d'être lynché par Tibaut et ses amis. Chapin rappela à Tibaut sa dette de 400 $ pour l'achat de Solomon à Ford, et dit que tuer Solomon entraînerait des accusations à l'encontre de Tibaut en raison de sa dette. Solomon considéra que cette dette lui sauva la vie. L'historien Walter Johnson suggère que Solomon pourrait bien avoir été le premier et seul esclave que Tibaut ait acheté, marquant son passage de l'employé itinérant à maître possesseur de biens.
Tibaut, qui était mal considéré dans la région, décida alors de tuer Solomon. Lorsque les deux hommes furent seuls, Tibaut saisit une hache et essaya de frapper Solomon, mais il se défendit. Avec ses mains nues, il étrangla Tibaut jusqu'à ce qu'il perde conscience. Solomon s'enfuit alors à travers les marécages afin que les chiens ne puissent pas le suivre, et tenta de retourner chez Ford, avec qui il resta pendant quatre jours. Le planteur convainquit Tibaut de louer Northup afin d’arrêter leur conflit, et Solomon fut embauché par M. Eldret, qui vivait environ 38 miles au sud de la Rivière Rouge. À ce qu'il appelait « The Big Cane Brake », Eldret avait Solomon et d'autres esclaves pour faire les durs travaux qu'étaient la coupe de la canne, ainsi que le débroussaillage afin de développer la culture des champs de coton. Alors que les travaux n'étaient pas terminés, après environ cinq semaines, Tibaut vendit Solomon à Edwin Epps.
Edwin Epps
Epps posséda Solomon pendant près de dix ans, jusqu'en 1853. C'était un maître cruel, qui punissait souvent ses esclaves et les traitait durement. Il fouettait les esclaves s'ils ne respectaient pas le quota de travail qu'il avait établi pour eux. Solomon écrivit que les bruits de coups de fouet étaient entendus tous les jours à la ferme de Epps, du coucher du soleil jusqu'à l'extinction des feux. Epps violait une jeune femme esclave nommée Patsey.
En 1852, un menuisier canadien itinérant, Samuel Bass, vint travailler pour Epps. En entendant Bass exprimer son point de vue abolitionniste, Solomon décida finalement de lui confier son secret : c'était la première personne à qui il dit son vrai nom et ses origines d'homme libre depuis qu'il était esclave. Bass envoya une lettre écrite par Solomon et écrivit plusieurs lettres aux amis de Solomon avec les détails de son emplacement à Bayou Bœuf, dans l'espoir de gagner son secours. Bass prit de grands risques à titre personnel : dans le pays Bayou, il aurait pu se faire tuer si le secret avait été divulgué avant l'intervention des autorités.

Retour à la liberté

Parmi les lettres que Bass écrivit, l'une fut envoyée à Céphas Parker et William Perry, des commerçants de Saratoga. Il y faisait référence à un certain Henry B. Northup, le fils de l'ancien maître de Mintus (le père de Solomon). Henry B. Northup contacta le gouverneur de New York Washington Hunt, qui s'occupa de l'affaire et nomma le procureur général en tant que représentant légal. En 1840, New York avait adopté une loi engageant l’État à aider ses habitants enlevés pour être réduit en esclavage. Une fois que la famille de Solomon fut alertée, ils durent enquêter pour le retrouver, mettre à jour les preuves de sa citoyenneté et de sa résidence, et des déclarations sous serment furent nécessaires. Pendant ce temps Solomon ne savait pas si sa lettre avait été livrée et n'eut aucun mot de personne.
Bass était itinérant et sans famille. Il quitta la région avant que les amis de Solomon n'arrivent avec les documents juridiques révélant à Epps la véritable identité de Solomon, et n'engagent les procédures judiciaires pour le libérer. Même ainsi, le risque était suffisamment important pour que Bass n'eut pas révélé son nom dans la lettre.
En collaboration avec le sénateur américain Pierre Soule et les autorités locales de Louisiane, Henry arriva à Marksville le 1er janvier 1853. Solomon n'était connu localement que sous son nom d'esclave, le retrouver fut difficile. Lorsqu'il fut confronté à la preuve que Solomon était un homme libre et qu'il avait une femme et des enfants, Epps demanda d'abord pourquoi il ne lui avait pas dit cela au moment de l'achat. Puis il dit que s'il avait su que des hommes venaient chercher « Platt », il aurait pris des mesures pour veiller à ce qu'ils ne puissent pas le prendre vivant. Il maudit l'homme (inconnu pour lui) qui avait aidé Solomon et menaça de tuer cet l'homme s'il découvrait son identité. Solomon écrivit plus tard : « Il ne pensait qu'à sa perte, et me maudit d'être né libre ». Epps fut convaincu par son avocat qu'il serait vain de contester les documents de citoyenneté au tribunal, de sorte que le planteur concéda et signa les papiers renonçant à tout droit sur Solomon. Enfin, le , quatre mois après la rencontre avec Bass, Solomon était à nouveau libre.

Affaires judiciaires et mémoires

Solomon Northup fut l'un des rares Noirs libres à retrouver la liberté dans de telles circonstances. Il poursuivit Birch et d'autres hommes impliqués dans sa vente comme esclave. À l'époque, Solomon ne porta pas plainte contre les hommes du cirque parce qu'ils ne pouvaient pas être trouvés, et il douta d'abord de leur complicité.
Les tribunaux ont fait valoir leur juridiction, ainsi l'affaire devait être jugée à Washington. Mais en tant que Noir, Solomon était empêché par la loi du district de témoigner contre les Blancs. Un des accusés eut l'intention de poursuivre Solomon, mais il abandonna ses accusations. Solomon resta libre. L'affaire reçut l'attention de toute la nation et le New York Times publia un article sur le procès le 20 janvier 1853. Les hommes furent acquittés. Cette affaire mit en lumière l'ampleur des pratiques illégales et les détails du récit de Solomon furent confirmées par le tribunal.
Solomon Northup publia un compte rendu de ses expériences en 1853, Douze ans d'esclavage (Twelve Years a Slave). Le livre fut écrit en trois mois avec l'aide de David Wilson, un écrivain local. Publié lorsque le roman La Case de l'oncle Tom était un best-seller, le livre de Solomon fut vendu à 30 000 exemplaires en trois ans. Il permit d'identifier les ravisseurs, dont les vrais noms étaient Alexander Merrill et Joseph Russell.
Thaddeus St. John, un juge de la cour de Fonda, siège du comté de Montgomery dans l’État de New York, se souvint avoir vu deux vieux amis, Alexander Merrill et Joseph Russell, voyageant avec un homme Noir à Washington au moment des funérailles de l'ancien président Harrison. Lorsqu'il les revit en revenant de Washington, sans l'homme Noir, il s'est rappelé une conversation étrange avec eux lors du premier voyage. Les deux hommes lui avaient demandé de les appeler « Brown » et « Hamilton » en compagnie de l'homme Noir. St. John contacta les autorités, et rencontra Solomon : ils se reconnurent. Merrill et Russell furent localisés et arrêtés.
L'affaire fut ré-ouverte le 4 octobre 1854. Solomon et St. John témoignèrent tous deux contre Merrill et Russell. Les avocats respectifs débattirent si le crime avait été commis à New York (où Solomon pourrait témoigner) ou à Washington, en dehors de la juridiction des tribunaux de New York. Après plus de deux ans d'appels, un nouveau procureur du district de New York ne poursuivit pas l'affaire, qui fut abandonnée en mai 1857. Aucune autre action juridique ne fut prise contre ceux qui avaient enlevé et vendu comme esclave Solomon Northup.

Dernières années

Après avoir retrouvé sa liberté, Solomon Northup rejoignit sa femme et ses enfants. En 1855, il vivait avec la famille de sa fille Margaret Stanton à Glens Falls, dans le comté de Warren (État de New York), et était charpentier. Il devint actif dans le mouvement abolitionniste et donna plus de vingt conférences sur l'esclavage dans le nord-est des États-Unis dans les années précédant la guerre de Sécession. Durant l'été 1857, il a été empêché de parler à Streetsville, Ontario, par une foule hostile canadienne2.
Le lieu et les circonstances de sa mort sont inconnues. Plusieurs rumeurs ont circulé. En 1858, un journal local a rapporté : « Il est dit que Solomon Northrup, qui fut enlevé, vendu comme esclave, et ensuite sauvé et remis en liberté, a été une nouvelle fois enlevé pour le Sud, et est à nouveau esclave »3. Peu de temps après, il est même dit que son bienfaiteur Henry B. Northup pensait qu'il avait été enlevé au Canada en état d'ébriété. Ces rumeurs d'enlèvements persistèrent. Des années plus tard, dans The Bench and Bar of Saratoga County (1879), E. R. Mann indiqua que l'affaire de l'enlèvement du comté de Saratoga contre Merrill et Russell avait été rejetée parce que Solomon avait disparu. Mann ajouta : « son sort reste inconnu du public, mais les impitoyables ravisseurs savaient sans doute »4.
Au cours de l'été 1857, Solomon est allé au Canada, se préparant à donner une conférence. En 1909, John Henry Northup, le neveu de Henry, écrivit : « La dernière fois que j'ai entendu des nouvelles de lui, Sol donnait une conférence à Boston pour vendre son livre. Tout à coup, il disparut. Nous croyons qu'il a été enlevé et emmené, ou tué »5... Dans des lettres écrites dans les années 1930, John R. Smith indiqua que Solomon avait visité le père de Smith, un pasteur méthodiste du Vermont, le révérend John L. Smith, avec qui Solomon et l'ancien esclave Tabbs Gross avaient travaillé au début des années 1860, afin d'aider les esclaves fugitifs pour le chemin de fer clandestin. Smith décrit la visite comme survenant après la proclamation d'émancipation du président des États-Unis Abraham Lincoln, ceci donc après janvier 1863, mais cela semble peu probable.
Il n'existe aucune preuve contemporaine de Solomon après 1857. Il ne fut pas enregistré avec sa famille lors du recensement des États-Unis de 1860. Le recensement de 1865 de l'État de New York enregistre bien son épouse Anne Northup vivant avec leur fille et son beau-fils, Margaret et Philip Stanton, dans les environs de Moreau dans le comté de Saratoga, mais pas lui. En 1875, Anne Northup vivait dans Kingsbury/Sandy Hill dans le comté de Washington. Quand Anne Northup mourut en 1876, certains dirent dans les journaux qu'elle était veuve. Dans une rubrique nécrologique, tout en louant Anne, il est dit de Solomon Northup qu'« après s'être exhibé dans tout le pays, il est devenu un vulgaire vagabond »6.
Les historiens du XXIe siècle, comme Clifford Brown et Carol Wilson, pensent qu'il est probable qu'il soit mort de cause naturelle5. Ils pensent qu'un nouvel enlèvement était peu probable, qu'il était trop vieux pour être digne d'intérêt pour des kidnappeurs d'esclaves, mais sa disparition reste inexpliquée7.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.