dimanche 16 février 2014

Economie du don vs économie de marché


L’expérience m’a appris que quand une personne entre dans l’économie du don, la plupart des gens pensent que cette personne devrait demander uniquement ce qui sert ses besoins basiques de survie. Au-delà de cette ligne, on entre dans le futile ou le trop demander. Cette façon de penser démasque un conditionnement de plus issu de la société de l’économie de marché
you_get_what_you_pay_for_fr_350x400L’économie de marché se construit à partir d’une tension entre chaque partie, où chacun essaie d’obtenir le meilleur des autres. Pour un produit ou un service donné, le vendeur essaie de réaliser la plus haute marge possible avec un investissement le plus bas possible, alors que l’acheteur vise le prix le plus bas tout en recherchant les plus hauts avantages. Chacun tire la couverture à soi. De ces tensions émerge un soi-disant équilibre, soigneusement entretenu par la croyance qu’une main invisible équilibrera tout et que personne ne tombera de la falaise.
Autre aspect fondamental : l’économie de marché implique que l’on ne donne pas sans contrepartie. Vous vous séparez de quelque chose à la condition qu’une valeur réciproque revienne vers vous. Pas de contrepartie ? Rien de donné. D’un point de vue systémique, une telle conditionnalité génère beaucoup de limitations.
En regardant ces deux faits — la tension marchande et la condition de réciprocité– je ne peux pas dire que l’économie de marché incarne un contrat social particulièrement ambitieux. Pas de jugement ici, je ne fais qu’utiliser les lunettes de l’intelligence collective. D’ailleurs la société humaine aurait-elle grandi sans l’économie de marché et l’argent en tant qu’infrastructure technologique ? Aujourd’hui on peut faire bien mieux, avec Internet, avec les socialwares et une connaissance profonde de l’intelligence collective.
VIllage des SchtroumpfJetons donc un coup d’œil à l’économie du don. Cette dernière ne peut fonctionner que lorsque les participants ont un sens du tout, d’où le fait que l’économie du don n’a toujours existé qu’à petite échelle dans des petits collectifs. D’ailleurs elle représente la plus ancienne et la plus naturelle forme d’économie que nous connaissions. Dans l’économie du don, vous savez quoi donner, quoi recevoir, et quand. Vous comprenez le sens de vos actions et vous n’opérez pas en tant qu’acteur aveugle. Cette relation vivante entre l’individu et le tout, ou entre le “je” et le “nous” s’appelle l’holoptisme. Quel tout ? Le tout de la communauté à laquelle vous appartenez, ou le tout en tant qu’univers tout entier, seule l’échelle change. Même si vous n’avez pas la capacité de tracer ou comprendre complètement les conséquences complexes et non-linéaires de vos actions, vous vous laissez guider par une profonde connaissance du caractère juste de vos actes. Dans un petit collectif (un village, une famille, une équipe de sport…), vous pouvez facilement suivre les bénéfices du fait de donner ou recevoir, pour vous, pour les autres, et pour le collectif. Si vous en venez à opérer au niveau cosmique, alors il vous faut vous relier à une connaissance plus profonde sur la manière dont l’univers fonctionne. Cette connaissance ne provient pas du mental déductif, et en plus vous ne pouvez pas suivre les conséquences de vos actions. Le sens du tout et le sens du juste proviennent tous deux d’un processus transrationnel (Wilber) ou supramental (Aurobindo).
Ainsi, dans l’économie du don, un don réel implique l’absence de toute dette cachée, j’insiste là-dessus. Un cadeau vient sans aucune attente cachée ni aucune négociation. Cela ne veut pas dire que l’on donne ou reçoit sans conditions. Dans mon cas, j’offre mon temps et mon expertise aux personnes set aux organisations à condition qu’elles donnent à leur tour et s’ouvrent à la dynamique de la générosité. Je demande également que l’on fasse tout en open source. Lorsqu’on décide d’aller plus loin, je n’offre mon temps que pour des projets pionniers car il s’agit du terrain sur lequel je me montre le plus efficace. Quant à accueillir des dons, je m’assure bien qu’ils proviennent d’une démarche juste et joyeuse de gratitude.

De la théorie à la pratique

Méritocratie 
D’un point de vue intellectuel, l’économie du don semble facile à comprendre. La pratiquer nous embarque dans une toute autre dimension. Par exemple j’ai récemment pris conscience comment un “virus” peut insidieusement empoisonner l’économie du don et la travestir en économie de marché. Ce virus a un nom : l’utilitarisme. Il fonctionne sur la croyance que pour vivre dans l’économie du don, il faut prouver son utilité à la société. En d’autres termes, on doit mériter ce que l’on demande. Le mérite opère en tant que doctrine qui détermine notre droit d’exister dans un monde où “gagner sa vie” s’énonce comme un mantra. Cela érige un système méritocratique dans lequel il faut sans cesse démontrer sa valeur et sa productivité.
En tant que personne offrant son temps et ses talents ces dernières années, j’ai eu le beau rôle. Quand je donne, je fais ce que j’aime, j’évolue dans le meilleur contexte possible, je jouis de la reconnaissance et des remerciements de mes pairs. Je manifeste mon utilité.
Maintenant vient le temps de demander la richesse qui m’aidera à réaliser de plus belles choses encore. Je me surprends en train de légitimer ma demande en justifiant mon utilité. “Regardez ce que j’ai accompli jusque là et ce que j’ai l’intention de faire dans le futur. Ne mérité-je pas votre soutien ?” Il a fallu que je me retrouve dans ce contexte –demander publiquement des richesses– pour prendre conscience de l’utilitarisme sous-jacent que mon message véhiculait.
Maintenant que je m’en aperçois, je souhaite bien sûr éviter ce piège. Donner inconditionnellement a construit le premier chapitre. Le prochain chapitre pourrait s’intituler :
“demander inconditionnellement”
Voilà la partie la plus risquée, la plus vulnérable et probablement la plus difficile à comprendre pour beaucoup. Ne pas demander inconditionnellement impliquerait de ne pas opérer honnêtement dans l’économie du don. Et en même temps, qui se sent prêt à comprendre la démarche ?
Au nom des saintes bananes, pourquoi je me foure dans de telles situations ? :)

Eviter le pauvrisme

Lapin et carottesUn autre aspect de l’économie du don consiste à éviter le pauvrisme, je veux dire par là de véhiculer une idéologie inconsciente de la rareté, ce qui amène à l’état de survie et non plus de vie.
Le vœu de richesse que j’ai prononcé engage à honorer l’arc en ciel intégral de la richesse, matérielle et immatérielle, de ses formes basiques (nourriture, toit, vêtements, etc) aux plus hautes réalisations de l’être (joie, beauté, liberté, art, amour, etc). La demande de choses comme un beau vêtement ou un bon instrument de musique peut paraître consumériste à certains, en fait cela incarne l’exact opposé. Demandez simplement à l’univers, donc à vous-même d’abord, ce qui fera de vous la personne la plus libre et créative. Ni plus, ni moins. Il s’agit de vivre au milieu des objets et des flux justes qui servent nos aspirations et manifestations les plus élevées, et qui servent le monde par la même occasion. En ce qui me concerne, plutôt que de simplement demander de la “nourriture” (pauvrisme), je veux déguster de délicieux fruits bios qui me donnent une bonne santé tout en soutenant l’environnement. Plutôt que d’acheter des vêtements “junk” fabriqués par des esclaves salariés quelque part au Maroc, en Chine ou au Bengladesh, je veux porter de beaux vêtements, bien designés, de haute qualité, qui dureront longtemps, qui font du bien aux gens qui les fabriquent, ainsi qu’à l’environnement. Plutôt que d’acheter un objet à bas prix qui ne passera pas l’année, je souhaite le meilleur, celui qui durera pour toujours. La richesse intégrale incarne le beau, le bon et le vrai.
Ainsi, contrairement à ce que pensent peut-être la plupart des gens (ou ne pensent pas du tout), l’économie du don va dans le sens contraire du consumérisme, du matérialisme, de la négociation, de la conditionnalité. L’économie du don ne rime pas avec pauvrisme. L’économie du don invite des standards et des alliances sociales plus élevés que l’économie de marché conventionnelle. Elle énonce fondamentalement que nous nous offrons le meilleur les uns aux autres, loin au-delà de ce que le marché peut faire.

Juste demander

Piano Yamaha C3Je veux développer cette faculté de demander l’arc en ciel complet des cadeaux, de la manière la plus décontractée et ouverte possible. Des dons qui me font fleurir et pas seulement ceux qui me font survivre. Cela représente-t-il beaucoup ? Dans l’absolu, non. N’oubliez pas, inviter la richesse intégrale n’a rien à voir avec le consumérisme. Cela implique-t-il des choses chères ? Oui, dans certains cas, du moins dans la perspective monétaire classique. Ai-je besoin de ces choses pour survivre ? Non, sans aucun doute. Ai-je atterri sur Terre juste pour survivre ? Non, sans aucun doute. J’existe pour fleurir, ce qui implique d’offrir et recevoir les meilleurs, les plus beaux cadeaux possibles, au nom de la joie, de la créativité et pour jouer la vie divine ensemble.
Ce que je dis a-t-il un quelconque lien avec l’utilitarisme ? Non. Cela peut sembler paradoxal, mais plus j’ai appris à accueillir mon inutilité, plus j’ai pu entrer dans une relation généreuse avec le monde.
Voici venu le temps de la pratique. Vous trouverez ici ma liste de richesses désirées (et non de richesses dont j’ai “besoin”).

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