dimanche 23 février 2014

La République malade de ses élites

Denis Payre, créateur d’entreprise et désormais Président de « Nous Citoyens », fustige dans les Echos du 3 février, l’incompétence d’une classe politique enfermée sur elle-même. Il n’est pas le seul à désespérer de l’incompétence des élus et des élites. Il y a presque 20 ans que Michel Crozier et Bruno Tilliette sortait en 1995, un livre qui fit forte impression : La crise de l’Intelligence, sous titré : Essai sur l’impuissance des élites à se réformer. Que disait-il ? Que les français et les corps intermédiaires étaient favorables et parties prenantes des réformes à envisager. C’était à la tête des élites de la bureaucratie française que se trouvaient les blocages faute de formation au management des hommes et de préparation à leurs responsabilités. Surtout, il mettait en évidence que, dès qu’il s’agissait de passer à l’action, tout dérapait ! Les guerres intestines, les conflits individuels, une mauvaise anticipation des contraintes, bloquaient toute capacité à faire bouger les choses, chacun défendant avec acharnement son pré carré[1]. Durant ces presque 20 ans, les choses ne se sont pas arrangées. Alors, peut-être incompétents, mais quels talents pour garder leurs postes!

Le sentiment partagé que l’élite doit encadrer la vie des français
Fréquenter les ors de la République c’est découvrir la noblesse du Tiers-Etat. Une majorité de cette élite garde le sentiment encore vivace, propre à la bourgeoisie d’avant guerre, qu’elle a le devoir de guider un peuple d’en bas. Oubliant les profondes transformations de notre société et l’importance des classes moyennes bien éduquées, notre nomenklatura se retrouve dans le récit de d’Alembert à propos des Jésuites. Pour eux ; « Le peuple ne connaît qu’une chose, les besoins de la nature, et la nécessité de les satisfaire ; dés lors qu’il est par sa situation, à l’abri de la misère et de la souffrance, il est content et heureux ; la liberté est un bien qui n’est pas fait pour lui, dont il ignore l’avantage, et qu’il ne possède guère que pour en abuser à son propre préjudice ; …  il faut bien le nourrir, l’occuper sans l’écraser, et le conduire sans lui laisser trop voir ses chaînes ». Aujourd’hui, pour l’élite du tiers Etat en charge de gouverner notre pays : il faut nous aider à marcher, nous conduire et nous encadrer sans trop le montrer, écrit encore d’Alembert. Cet état d’esprit reste le marqueur de cette spécificité française qu’est la prolifération des décrets et des lois qui occupent la majeure partie du temps de nos représentants.
Pour ces grands commis de l’Etat : il convient d’avoir un œil sur tout et sur tous. La bureaucratie de l’Etat français se mêle de tout et dispute à chacun le moindre bénéfice de son travail, dénaturant toute compréhension du contrat républicain. Le sociologue américain Daniel Bell soulignait l’absurdité d’un Etat « trop petit pour les grands problèmes et trop grand pour les petits problèmes ». En multipliant les textes législatifs, l’Etat devient impuissant et entrave sa propre société. Le contrat social est mort au fur et à mesure que les normes les plus stupides de théoriciens sans grande expérience pratique, ont pollué la vie quotidienne des gens, des entrepreneurs. Songez que l’on peut conduire à la ruine un hôtel, un restaurant, un magasin faute pour eux de pouvoir investir des millions d’euros dans des normes de sécurité draconiennes. C’est un artisan fromager qui, à force de se voir imposer des normes d’hygiène devra détruire les ferments naturels qui faisaient les caractéristiques uniques de son fromage. Il doit maintenant les acheter à l’extérieur. Ce sont les cantines qui doivent acheter à des fournisseurs nationaux agréés au détriment des bouchers locaux bien plus motivés à servir et préserver leurs clients.  Voici les normes de construction pour accueillir des handicapés, imposées à toutes les nouvelles habitations en faisant exploser les coûts. D’innombrables français mettent des affiches « A vendre » sur leur voiture. Ils risquent, le savent-ils ? 750 euros de contravention de 4eme classe et la confiscation de leur véhicule (Art R 644-3 du code pénal). Rien ne semble pouvoir stopper cette inflation des textes et des obligations imposées aux français, pourtant moult fois dénoncée.
La Perte du sens civique : les français les uns contre les autres
Tout ce pataquès lamentable, généré par des fonctionnaires qui cherchent du blé à moudre dans les plus infimes actes de nos vies, fait enrager les citoyens qui ne peuvent plus qu’entrer en résistance en s’octroyant le droit de se révolter – en douce – contre les abus, contre un Etat tyrannique. La fauche, l’emprunt (on a vu à l’EDF des syndicalistes manifester avec les voitures de l’entreprise), toutes occasions de se payer sur la bête, de se laisser aller à une malhonnêteté considérée comme mineure devient la réponse à ce sentiment d’être spolié et encadré. Cela se traduit par des petits larcins, des faiblesses vis-à-vis du bien d’autrui. Pour dire les choses simplement, avec la dégradation du climat social, on devient un mauvais citoyen. C’est la révolte par la dérobade ; la résistance silencieuse. La perte du sens civique !
Deux autres facteurs d’importance auront contribué, en dressant les français les uns contre les autres, à la déliquescence de notre pacte républicain. D’abord, la multiplication des « indirectes ». Plutôt que d’établir un système fiscal transparent et lisible par tous et pour tous, l’astuce aura consisté à inventer une avalanche de taxes différentes selon les professions, les métiers ou les secteurs d’activités. La multiplication de ces prélèvements, telles des sangsues, saigne à petites doses les acteurs économiques. En prenant soin de ne s’attaquer qu’à des fractions de notre société ainsi fragmentée, le pouvoir en place crée une situation où chaque catégorie socioprofessionnelle concernée peut difficilement mobiliser l’ensemble d’une population réfugiée dans son égoïsme et son corporatisme (Un vrai bottin[2]). Celle encore épargnée, heureuse de n’être pas prise dans la nasse, oublie qu’un jour ou l’autre les pouvoirs publics risquent de la solliciter à son tour. Ensuite, les élites au pouvoir ont fait du clientélisme une arme absolue pour fracturer la société française. Il leur a suffit d’octroyer aux uns et aux autres des avantages que des groupes de pression ou des corporations se disputaient. Du coup, envieux, chacun d’eux se bat pour s’octroyer un avantage supplémentaire sans trop se soucier de l’effet que cela pourrait avoir sur les petits camarades. Chaque parti politique, syndicat ou association concernée ne cesse ainsi de servir ou de se servir de son groupe de pression pour atteindre ses objectifs. Que les intermittents du spectacle, et d’autres professions encore, ne puissent vivre qu’en se finançant sur le dos de l’ensemble des travailleurs ne les dérangent guère. Tout cela aura abouti à créer un fort sentiment d’iniquité et d’inégalité qui dresse les différentes composantes de la société françaises les unes contre les autres.
La Déchéance de l’Etat par la perversion de ses élites
Déchéance et décadence vont de pair. Nous nous moquons volontiers des italiens et des affaires « berlusconiennes ». Nous ne faisons pas mieux. Piégée dans une sorte de tautologie de l’affrontement politique, qui peu à peu l’éloigne du réel, la représentation nationale ne cesse de s’abaisser à de sordides règlements de compte, oublieuse de ses missions et de ses responsabilités. Pour certains, le sens des affaires prime sur l’éthique. Ces élus, cadres du privé et du public, qui se rencontrent dans des clubs très fermés,  prennent le goût du pouvoir et le désir de vivre bien et mieux que la moyenne plutôt qu’à servir. Dans nos meilleures écoles des jeunes gens brillants y deviennent des techniciens des lois, des tacticiens de leurs carrières et des dialecticiens de l’embrouille. Difficile pour un jeune homme ambitieux, désireux de se faire une place dans cette nomenklatura, de ne pas attraper le virus. La perte des valeurs et l’appât des avantages qu’exerce le pouvoir est un constat que l’on peut faire partout dans le monde. La mafia d’Etat a ses règles et ses trucs auxquels le commun n’accède généralement pas, sinon par accident.
A cause de quelques brebis galeuses, une part grandissante de français a le sentiment que nos élites s’affranchissent des lois et règles imposées à la majorité des petites gens. A la grande joie des extrémistes, pas une semaine, pas un jour, où la presse ne relate un délit plus ou moins grave impliquant des personnalités proches des pouvoirs politiques et économiques du pays. La France, pour tout dire, est une démocratie en panne. La déchéance de notre nation ne tient pas seulement – ce serait trop facile – à des facteurs extérieurs[3]. Selon Transparency International, organisation s’intéressant à la corruption des Etats dans le monde, la France se situe à une piteuse 22ème place mondiale. Alain Pichon, président de chambre à la Cour des comptes, souligne que la France a des « bouffées législatives » mais qu’elle n’applique pas suffisamment les lois qu’elle crée. En particulier, le magistrat déplore que la Cour de discipline budgétaire et financière, rattachée à la Cour, ne puisse pas poursuivre les ministres et les élus locaux mais seulement les hauts fonctionnaires. « Comme cela, dès qu’un directeur ou un conseiller remarque un contrat ou un projet un peu louche, il le fait signer par son ministre et personne n’est inquiété ! ». Un silence étrange protège les grands commis de l’Etat totalement incompétents qui ont mené au désastre des entreprises nationalisées[4].
La connivence entre des élus, de grands commis et les banques ou les organisations financières internationales est un secret de polichinelle et devient un sujet d’inquiétude maintes fois dénoncé par des journalistes?
Une situation qui est loin de s’améliorer alors qu’au fil des années nous observons une surreprésentation du secteur public à l’Assemblée Nationale. Secteur qui défend avec efficacité ses places et ses avantages. On ne s’étonnera donc pas si les élus venus de la fonction publique, en gardant les protections afférant à leur statut, ne sont pas pressés de demander un équilibre plus sain par la parité de la représentation nationale entre le secteur public et le secteur privé. En évitant au fil des années toute remise en question, le poids du secteur public dans le fonctionnement de la société française aura pénalisé notre efficacité globale mais surtout, il aura créé une crise de l’appareil d’Etat, de la fonction publique et de ses missions dont nous paierons le prix durant des décennies.
Chapeau les artistes. Je n’ose imaginer comment les pères de la démocratie s’arrangeraient de cela. L’héritage que laisseront leurs fils ne sera ni probe, ni joyeux. Incompétents, peut-être, mais quel talent !
Denis Ettighoffer
Institut des Libertés
Paris le 14 février 2014


1] Exemple récent :  «la fin des baronnies» à la Caisse des dépôts » Les initiés connaissent les conflits parfois violents qui ont éclaté entre les grandes écoles pour le partage des attributions de postes des grandes fonctions régaliennes.
[2] Une liste plus complète
http://www.wikistrike.com/article-la-liste-horrible-et-complete-des-205-impots-et-taxes-augmentees-ou-creees-en-france-depuis-2007-113728603.html
[3] Croyez vous sérieusement que l’ont peut durant des décennies créer impunément des milliards de déficit  sans un consensus coupable de la noblesse du tiers état ? Dans votre entreprise on aurait viré rapidement le directeur financier et administratif. En France on lui donne des postes. Par exemple Dexia, Le Crédit Lyonnais (sic) etc.…
[4] Voir les livres de Sylvie Coignard sur la nomenklatura française (L’Oligarchie des incapables,  Le Pacte immoral, ou encore le plus récent La caste cannibale – Albin Michel 2013)

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