samedi 15 février 2014

Le plaisir/bonheur au travail, c’est bien autre chose que multiplier les récrés!

Maintenant que le burnout menace une quantité non négligeable de travailleurs, être heureux au travail est au centre des préoccupations et la réflexion sur le sujet donne lieu à tout un tas de tentatives et expérimentations pas toujours très efficaces. Le “fun” au travail, sous la forme d’activités ludiques, est potentiellement l’une de ces fausses bonnes idées. L’occasion de proposer à défaut d’une définition complète, quelques éléments réellement constitutifs du plaisir au travail.

Le plaisir au travail, ce n'est pas des activités connexes fun, c'est prendre du plaisir dans l'exécution de ses tâches


Le fun modélisé au travail: chronique d’une fausse bonne idée


Des tombereaux d’études ont montrés trois points qu’il est grand temps de ranger dans le tiroirs à “acquis”:

Dont acte. Passons à une question plus intéressante: être heureux au travail, c’est quoi?

La gestion du stress, puis la prévention des risques psychosociaux sont devenus “bonheur au travail”. Laurence Vanhée, Chief Happiness Officer de la sécurité sociale belge et porte-drapeau du concept de bonheur au travail, propose une vision résolument optimiste et réjouissante du travail qui n’a rien du blabla version marque employeur, car elle se traduit par des actions et mesures concrètes et intelligentes dont l’objectif est le plaisir de travailler,et en particulier de travailler ensemble, dans la bonne humeur.

Malheureusement, tout le monde n’est pas Laurence Vanhée. Voyant dans le concept une merveilleuse occasion de javellisation sémantique, le bonheur au travaill a vu pondre du y’a-qu-à-faut-qu’on en forme de modelisation rassurante pour les RH et ripolinée de rose bonbon par les cabinets de consultants et le management. Et parmi toutes ces techniques, ce qui est de l’ordre du “fun au travail” concept pas totalement crétin au départ, commence à faire l’objet de mesures pas si futées.

Ainsi, il semblerait que pour être heureux au travail, il faut avoir un environnement “fun” avec des jeux, des couleurs et se voir proposer des activités extra-professionnelles “fun”. Le Monde a publié un article – Siffler en travaillant – sur une étude qui montre que tout cela est plutôt contre-productif. On a un peu envie de soulever un sourcil sarcastique et de dire “sans blague”.



Etre heureux au travail, ce autre chose que multiplier les récrés!


Car être heureux au travail signifie-t-il avoir l’opportunité merveilleuse d’aller faire un un babyfoot avec le département R&D? Sérieusement? On voudrait nous faire croire que ça développe l’esprit d’équipe et “une saine compétition” que de se sentir obligé d’aller faire un bowling avec le département juridique? Qu’avons donc nous fait de notre bon sens pour en arriver là?

Oui, cher Monde, nous sommes d’accord: il est évident que le fun imposé ne convient pas à tout le monde et qu’il est une fausse bonne idée de classe internationale. Le fun et le plaisir sont des sentiments complètement individuels, qui ne peuvent donc pas être modélisés d’une part, et les à-côtés soit-disant ludiques du boulot ne sont pas vraiment la question d’autre part.

Car s’amuser au travail n’a j’amais signifié multiplier les récrés, n’en déplaise aux théoriciens du management absurde, il signifie prendre du plaisir dans nos tâches professionnelles et dans la façon de les exécuter.

Effectivement, on pourrait nous donner autant de holodecks qu’on veut afin que chacun puisse trouver son fun à lui, pour faire un break sur son temps de travail, depuis aller massacrer du zombie dans un jeu vidéo jusqu’à écouter de l’opéra, en passant par construire des cathédrales en légo ou peigner la girafe. Mais ce n’est pas pour ça qu’ensuite, de retour à notre poste, nous aurons un sourire emprunt de bonheur et l’âme pleine d’un bien-être über-performant à l’idée de faire l’une de ces tâches fastidieuses inhérentes à notre fonction. Ou que nous serons réjouis à l’idée de servir de réceptacle aux emportements d’un patron bilieux ou d’un collègue soupe au lait.



Des espaces ludiques juste pour lâcher du lest


Offrir des espaces et des activités ludiques comme soupape de sécurité pour aller lâcher du lest dans les périodes de coups de bourre, ou déconnecter quelques instants histoire de reposer son cerveau en surchauffe est une bonne idée. A condition qu’ils ne soient que cela, et non pas une bonne excuse qui évite aux entreprise de ne pas remettre en cause un management générateur de stress. Voir à ce sujet
“Ces idées festives sont souvent une solution de facilité adoptée par les managers pour se donner et donner aux autres l’illusion du bonheur.” dit l’article du Monde. Les managers sont des bouc-émissaires faciles, il s’agit probablement plutôt de choix managériaux venus de l’entreprise, désireuse d’une bonne couche de peinture version marque employeur, histoire de “fidéliser les talents”, pour reprendre un de ces termes en vogue (Talents, engagez-vous, c’est trop fun de bosser chez nous).



Laisser libre cours au fun spontané


Les à-côtés ludiques au travail font parler d’eux en particulier depuis la guerre des Post-it de l’été 2011. Phénomène épatant, puis décortiqué avec une bêtise confondante, soit pour condamner, soit pour modéliser du fun obligatoire soit-disant source de plaisir. Un événement spontané, du genre potache en plein ennui estival n’a de bénéfices que s’il reste de qu’il est. Lui laisser libre cours? Bien sûr, il est aussi temporaire que générateur d’énergie positive. En faire une technique de management? Ca ne mérite même pas un commentaire!



Définir le plaisir au travail


Etre heureux au travail, c’est donc avoir la possibilité de trouver du plaisir dans nos tâches professionnelles. Pour que ce soit le cas, il est indispensable que chacun bénéficie d’un cadre dans lequel il va pouvoir mettre en oeuvre ses propres façons de combler ses besoins professionnels et pouvoir ainsi aller vers le plaisir plutôt que de consacrer l’essentiel de son temps à éviter de trop souffrir.

Pour le SNPHAR, ”Le travail qui permet de réaliser ses aspirations est source de plaisir: plaisir d’estime de soi par les contacts et la relation à l’autre, plaisir altruiste d’être utile ou d’aider, plaisir de faire, plaisir de création et d’enrichissement personnel”. Ce qui nous donne quelques pistes utiles pour approfondir quelques éléments constitutifs du plaisir au travail.


1- Des missions en adéquation avec les sources de motivation individuelle

Francis Boyer, parle de “passer de la gestion des savoir-faire au management de l’aimer-faire”. Il s’agit de cesser de chercher à motiver chacun, mais bien de lui permettre de générer sa propre motivation en s’appuyant sur ses appétences lors de l’attribution d’une mission et non uniquement sur ses compétences. Au passage, la motivation intrinsèque issue du goût marqué pour la tâche à accomplir favorise le développement plus rapide de la compétence, lorsque celle-ci est nécéssaire.

Avoir du goût pour ses tâches est l’un des grands oubliés des définitions du plaisir au travail et il est grand temps de remettre l’appétence au centre du plaisir au travail.

2- Du plaisir dans les relations et le sentiment d’appartenance

Les relations sont au coeur de nos vies professionnelles et ont un impact majeur sur le sentiment d’être heureux au travail. Leur nature est déterminante en termes de sentiments d’appartenance et de reconnaissance, tous deux vecteurs de satisfaction. L’entreprise et les salariés sont co-responsables de cet environnement relationnel:

  • Le salarié est responsable de ses propres comportements toxiques et inversement de son amabilité, de sa bienveillance, de son esprit d’équipe, de sa capacité à collaborer.
  • L’entreprise est responsable du cadre dans lequel les relations se joue: limiter sa toxicité, arbitrer les conflits, virer les harceleurs et autres manipulateurs pervers, favoriser une ambiance saine et dénuée de jeux de pouvoir. Dès lors que l’environnement relationnel devient toxique, le salarié n’est plus en mesure de garantir seul une posture sereine et pro-sociale, il a avant tout besoin de se protéger.
A défaut d’être meilleur pote avec tout le monde (vu le fun qu’on a à faire du toboggan ensemble dans le hall trop ludique de notre boîte trop innovante), des relations a minima empreintes d’amabilité dans sa propre équipe, dans lesquelles chacun sait le rôle de chacun et la façon dont il peut s’appuyer sur ses collègues. Des relations sans autre enjeu que la collaboration, c’est à dire sans crainte des jeux de pouvoir et de l’égo, sans rôles relationnels nuisibles au bien-être, sans compétition interne. Elles peuvent alors devenir source de plaisir, en particulier parce qu’en minimisant la peur de l’autre, elles autorisent la bienveillance, la reconnaissance mutuelle des talents, accomplissements et compétences et l’esprit collaboratif.

3- Pouvoir exprimer ses talents naturels

L’exécution des tâches professionnelles autant que les relations interpersonnelles sont beaucoup plus agréables lorsque nous avons la possibilité d’y exprimer nos talents naturels en toute liberté. La recherche a montré qu’agir en s’appuyant sur ces talents, plutôt qu’en fonction d’un processus trop formaté, augmente de façon significative le plaisir que nous prenons à nos activités professionnelles.

4- Pouvoir exprimer ses besoins et être entendu

Si les besoins fondamentaux sont universels, leur expression (les envies) sont profondément individuels. En d’autres termes, personne ne peut savoir ce que nous voulons pour augmenter notre bien-être et notre plaisir au travail tant que nous ne l’exprimons pas. Et souvent, nous ne l’exprimons pas:

  • par crainte des jugements, des conséquences,
  • par résignation face aux demandes qui restent lettre morte
Il ne s’agit pas pour les entreprises de céder à tous les caprices de ses employés, mais bien de veiller à ce que chacun soit entendu et que la réponse apportée à ses demandes soient adéquate.

Ainsi l’envie d’autonomie, souvent donnée comme une condition sine qua non du plaisir au travail, va s’exprimer, en terme de degré, de façon très variable. Etre en mesure de s’exprimer dessus et d’être entendu est essentiel, faute de quoi la non satisfaction du besoin risque de générer angoisse, colère ou démotivation. Le degré de latitude dans l’exécution des tâches doit être déterminé non pas en fonction d’une norme ou d’une moyenne, mais en fonction du salarié.

De même pour la variété des tâches, l’ampleur des challenges ou des responsabilités. Affirmer qu’il faut des tâches variées pour ne pas s’ennuyer est une erreur, certains sont très heureux avec des tâches répétitives. Cessons donc de transformer des tendances en vérités universelles normatives et écoutons l’expression individuelle des besoins!


5- Trouver du sens à son travail

Le sens est un sentiment profondément personnel qui se rapproche du sentiment de contribuer, d’être utile à plus grand que soi et qui s’appuie sur les valeurs motrices de chacun. Il est parfaitement vain de vouloir “donner du sens”. Chacun d’entre nous va trouver du sens – ou pas – dans son activité professionnelle en fonction de sa propre perception de l’intérêt et de l’utilité de son job en général, de ses tâches en particulier et de le fierté qu’il a à exercer sa profession.
S’il est temps d’arrêter de vouloir donner du sens, faire en sorte que chaque employé, quel que soit son niveau hiérarchique sache pourquoi son job est important, soit informé des bénéfices de sa contribution pour l’entreprise est un moyen de lui donner la possibilité de générer davantage de sens, en particulier dans les grands groupes où il n’est pas toujours évident de voir les résultats concrets de son travail.

D’autre part, les entreprises qui donnent du sens à leur action, au travers de leur mission ou de leur engagement (environnemental ou social par exemple) ont des employés plus motivés et plus performants. “il y a un réel sentiment de fierté à appartenir à une entreprise socialement et environnementalement responsable” explique le Docteur Pekovic, chercheuse associée à la Chaire « Performance des Organisations » de l’Université Paris-Dauphine dans cet article des Echos:
Encore une fois, le principe de co-responsabilité entre l’entreprise et le salarié s’applique:

  • L’entreprise est responsable de la construction d’environnements de travail dans lesquels les employés disposeront de conditions favorables pour trouver le sens en question. Difficile de trouver qu’un boulot a du sens quand les délais sont intenables, qu’il est impossible de bien faire son travail ou que l’ambiance du service est parfaitement délétère.
  • Le salarié est responsable du sens qu’il trouve, ou pas dans le métier et la fonction qu’il exerce. Il lui revient d’évaluer le sens de son travail et d’agir, dans la marge de manoeuvre dont il dispose. Si la perte de sens est trop forte, il est peut-être temps d’envisager un changement de job ou une reconversion professionnelle.
D’autre part, pour qu’un job ait du sens, il est nécessaire qu’il s’inscrive dans une définition de la réussite en adéquation avec les aspirations de la personne qui l’exerce. Or ces aspirations peuvent évoluer en cours de vie professionnelle et sont nouvent négligées autant par le salarié que par l’entreprise. Par la réflexion individuelle et l’accompagnement tout au long de la carrière dans l’entreprise, les salariés peuvent être amenés à explorer leurs apsirations et, comble de l’optimisme, à leur donner corps.

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