mercredi 12 février 2014

Vers une Europe plus féminine ?

Women's Forum Bruxelles
Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schumann
Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schumann
Isabelle Lefort  |   -  2088  mots
A la veille de la première édition du Women's Forum organisée à Bruxelles, en partenariat avec le parlement européen, un texte a fait date en 2013 pour comprendre la situation des femmes dans l'Union, tant sur le plan politique qu'économique. Rédigé par Pascale Joannin, la directrice générale de la Fondation Robert Schumann, cet article paru en mars dernier, conserve toute son actualité. A lire absolument dans la perspective des élections européennes le 25 mai prochain.
Les grandes conquêtes des femmes ne sont jamais arrivées par hasard. Rien ne leur a été donné. Ce qu'elles ont  obtenu, elles ne le doivent qu'à leur persévérance et leur  ténacité. Cela était vrai hier, cela l'est toujours et le sera  encore demain. Les progrès sont si lents qu'il faudra attendre longtemps avant que les choses ne changent vrai ment. Et ces nécessaires évolutions ne peuvent s'opérer  naturellement, car des blocages, de toute sorte, existent  qui freinent les progressions. Il faut parfois un peu aider  le destin…
Peu à peu s'impose l'idée que, pour modifier les déséquilibres existants entre les hommes et les femmes, des me sures incitatives plus contraignantes sont indispensables  pour vaincre les réticences et donner un « coup d'accélérateur » à la féminisation de la société. Les femmes sont  plus diplômées que les hommes, mais trop peu d'entre  elles accèdent aux postes de responsabilité. Comment  corriger cette situation? Par des quotas. A la seule évocation de ce mot, certains blêmissent, d'autres s'énervent ou  perdent leur flegme, il ne laisse pas indifférent.
Il y a 10 ans, les quotas ont été mis en place pour remédier, dans la vie politique, à une sous représentation manifeste des femmes dans les Assemblées parlementaires.  Plusieurs pays les ont utilisés. Et il faut bien avouer que  cela a donné un certain élan à la parité.
Pour ne prendre qu'un exemple, il y a davantage de femmes  françaises élues au Parlement européen (45,95%), où la  loi électorale impose des quotas, qu'à l'Assemblée nationale (26,34%) où la loi n'est encore qu'incitative envers  les partis politiques.
Malgré tous les cris d'orfraies qui ont été poussés lors de la  mise en place de ces quotas dans plusieurs États d'Europe,  il semble bien difficile de revenir en arrière. D'abord parce  que la place des femmes est encore relativement faible  tant dans les Parlements (25,98% dans l'Union, 20,8%  dans le monde) qu'au sein des gouvernements (28,22%  dans l'Union) et que toute régression en la matière serait  du pire effet et, donc, dommageable à celui qui en serait  l'instigateur. Ensuite parce que la méthode est apparue  depuis dans la vie économique.
Devant la désolante situation de l'absence de femmes  dans les organes de direction des grandes entreprises,  plusieurs pays européens (Autriche, Belgique, Danemark,  Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Portugal, et Slovénie) ont décidé de transposer dans le domaine  économique la règle qui semble donner quelques résultats en politique. Ils ont adopté des lois pour imposer de  manière progressive, par un système de quotas, l'accès  des femmes aux conseils d'administration. Ces lois ne  s'appliquent que pour les sociétés cotées uniquement et  elles ne concernent pas les comités exécutifs.
Néanmoins, en peu de temps, les pays qui ont voté de  telles dispositions voient leur situation évoluer considérablement. A titre d'exemple, les entreprises françaises  cotées n'avaient au sein de leurs conseils que 4 à 6% de  femmes dans les années 1990. La loi du 27 janvier 2011  stipule que les entreprises doivent ouvrir leurs conseils à  20% de femmes d'ici 3 ans et à 40% d'ici 6 ans. En à  peine deux ans, ces entreprises comptent d'ores et déjà 16,6% de femmes dans leur board [1]. Ce n'est pas le  seul pays dans ce cas. Et ce n'est qu'un début.
D'ailleurs, la Commission européenne s'est emparée de  cette question. Se basant sur le fait que, « au cours de la  dernière décennie, malgré un débat public intense et plu sieurs initiatives volontaires, l'équilibre entre les femmes  et les hommes dans les conseils d'administration n'a  guère évolué en Europe », elle a proposé le 14 novembre  2012 une directive qui fixe un objectif minimum de 40%  de membres du sexe sous-représenté parmi les administrateurs non exécutifs de conseils d'administration de  sociétés cotées en Bourse en Europe d'ici 2020, ou d'ici  2018 pour les entreprises publiques cotées en Bourse.  Sa vice-présidente, Viviane Reding, rappelle que « les  conseils d'administration des plus grandes entreprises  européennes restent dominés par les hommes et un plafond de verre empêche les femmes de talent d'accéder  aux positions les plus élevées. Les femmes ne constituent  que 15% des conseils non exécutifs et 8,9% des conseils  exécutifs».
Cette proposition a donné lieu à de vifs échanges et Mme  Reding a même été obligée de s'y reprendre à deux fois  pour vaincre les résistances tant au sein de la Commission  que face à 9 États membres qui sont opposés, par principe, aux quotas [2].
Mais il sera vraiment difficile de revenir en arrière.

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s'habitueront.
René CHAR

Il faudrait même aller plus loin. En effet, les femmes sont  de plus en plus nombreuses à travailler : 62,5% dans  l'Union européenne. Elles sont aussi plus diplômées que  les hommes : 58,9% des diplômes délivrés par des universités européennes. Elles ont investi peu à peu tous les  secteurs professionnels. Mais elles ont encore du mal à investir les plus hauts postes hiérarchiques. S'ils ne sont pas  la panacée, les quotas ont démontré leur utilité. Sans eux,  la progression des femmes aurait été encore plus lente.
Ouvrir les portes des conseils d'administration, c'est bien  mais pourquoi se limiter à ceux des seules sociétés cotées  ? Des postes d'administrateurs sont aussi à conquérir dans  les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou dans les  petites et moyennes entreprises (PME). Et ces entreprises  ont tout autant besoin d'être gouvernées par des hommes  et par des femmes. Une étude [3] montre que les conseils  d'administration en France comptaient en 2010 17,3%  de femmes dans les PME contre 10,5% dans les grandes  entreprises et 10,3% dans les ETI. Cette moyenne était  plus favorable aux femmes dans les entreprises familiales  que dans les autres. Il reste donc encore beaucoup à faire.
Sans tout attendre des quotas, les femmes ont décidé de relever leurs manches et montrer de quoi elles sont capables. Des initiatives ont vu le jour un peu partout dans le monde ; du Women's Forum, qui est devenu, en quelques  années, le symbole mondial du « réseautage » au féminin, aux centaines de structures de réflexion conduites  par des femmes qui ont bien compris tout l'intérêt du  « Networking ». Il ne sera plus possible de faire  comme avant. Les lois, les débats, les échanges,  les volontés sont là pour faire bouger les choses et  contribuer aux mouvements en cours pour briser «  le plafond de verre ». Les pays nordiques ne sont plus  seuls à afficher désormais de bons chiffres, comme par  exemple la Norvège (36,3%) qui avait lancé la question  de la présence des femmes dans les boards dès 2004.  L'Europe tout entière s'y met, et même au delà. Il suffit de  regarder la situation en Afrique du sud (17,4%).
Les femmes ne veulent plus s'en laisser conter et refusent  les situations inacceptables. Lors du renouvellement d'un  des membres du Directoire de la Banque centrale européenne [4], les députées européennes se sont étonnées  que l'institution, qui a déjà compté des femmes au sein  de son Conseil, ne désigne qu'un Directoire exclusivement  masculin jusqu'en 2018 ! Au Parlement européen, elles  ont bataillé pour obtenir gain de cause, en vain cette fois- ci, mais chacun a bien compris désormais que les institutions européennes devront à l'avenir, au moins, respecter  les règles qu'elles se sont fixées, de réaliser « l'équilibre  entre les femmes et les hommes dans le processus décisionnel, dans la vie économique et politique et dans les  secteurs public et privé ». Il serait temps que cet objectif  se concrétise enfin. Par exemple, lors du prochain renouvellement de la Commission en 2014, celle-ci pourrait être  complètement paritaire et compter 14 femmes sur les 28  États membres que l'Union européenne comptera alors.
De plus, les femmes s'organisent pour contrer les arguments fallacieux selon lesquels on ne trouverait pas de  femmes compétentes. Plusieurs initiatives ont vu le jour  afin de recenser les femmes capables et les promouvoir  auprès de ceux qui colportent ces contre-vérités. Des for mations ont été mises en place pour préparer les femmes  aux fonctions d'administrateurs, des agences de conseil  ont développé des activités pour sélectionner des femmes  et, ainsi, répondre à la demande de certaines entreprises  qui veulent désigner des femmes dans leurs conseils.  Une certaine émulation se dessine. Des écoles de  commerce européennes ont lancé le 12 décembre  2012 une base de données intitulée « Global Board  Ready Women » [5] (Femmes du monde entier prêtes à  entrer dans des conseils d'administration). Cette liste  de 8 000 membres fait apparaître qu'il y a largement  assez de femmes qualifiées pour contribuer à diriger de grandes entreprises au XXIe siècle et qu'il est temps  de briser le plafond de verre qui les empêche d'accéder à  des postes de direction. Cette initiative a reçu le soutien  de Viviane Reding.
La nouvelle gouvernance qu'elle soit européenne ou nationale, politique ou économique, doit être repensée. Il  faut s'adapter en permanence aux défis globaux qui  remettent en cause l'ordre établi et nos repères. Sur le  plan international, la Chine et d'autres pays émergents  défient les positions américaine et européenne ; sur le  plan économique, la crise bouscule nos certitudes et nos  réflexions pour trouver les moyens d'en sortir. Enfin, sur  le plan professionnel et social, la féminisation bouscule les  mentalités. Chacun de ces phénomènes est un vecteur de  changement.
Instaurer une culture de l'égalité implique un changement  des mentalités et une lutte contre les stéréotypes persistants. Cela suppose de part et d'autre une volonté de  réussir cette mutation : les femmes s'y préparent en se  formant, en se remettant en question, en définissant leur  rapport au pouvoir et en osant affirmer leurs valeurs, leurs  motivations et leurs ambitions. Les hommes doivent faire  de même et certains s'y sont déjà attelés. Car nous ne  pourrons relever qu'ensemble les défis qui nous attendent.
Dans le monde, l'Europe est perçue comme un modèle  en matière de droits des femmes. Ne décevons pas ceux  et celles qui nous regardent en ne réalisant pas une vraie  égalité hommes-femmes.
Cet impératif devrait d'ailleurs davantage faire partie intégrante des politiques extérieures que l'Europe mène pour  soutenir les mouvements de démocratisation et le développement. L'exemple des pays du sud de la Méditerranée,  qui ont vécu le printemps arabe en 2011, s'impose immédiatement : l'Europe devrait conditionner son aide, qui est  l'une des plus importantes du monde, au respect plein et entier des droits des femmes par les nouveaux régimes.  Il s'agit d'une question de principe, qui rejoint l'intérêt de  ces pays : sans les femmes, les réformes seront plus difficiles.
La bataille est sans doute moins rude en Europe pour les  femmes que pour nos voisines d'outre-Méditerranée. Mais  elle a une valeur de symbole. Les progrès que nous accomplissons leur servent de modèles. L'Europe doit être  exemplaire. En un mot, oser.
Les femmes, elles aussi, osent de plus en plus. Elles sont  convaincues que pour s'adapter aux nouvelles exigences  du monde, les entreprises comme les sociétés doivent  faire appel à tous les talents, y compris les leurs. Elles  sont complémentaires des hommes et peuvent apporter  un « plus » dans la gestion et le management. Leur spécificité peut être une richesse. Encore faut-il oser relever le  défi de mettre des femmes à tous les postes. La modernité  réside dans une société paritaire : le courage, la diversité, l'adaptabilité, la nouvelle gouvernance plus équilibrée  entre les hommes et les femmes sont les vertus indispensables de la réussite des sociétés au XXIe siècle.
Pascale JOANNIN,
Directrice générale de la Fondation Robert Schuman.
Ancienne auditrice à l'Institut des Hautes Etudes de la Défense  Nationale (IHEDN).
Elle est l'auteur de  » L'Europe, une chance  pour la femme  »
Note de la Fondation Robert Schuman,  n°22, 2004.
Elle codirigé l'Atlas permanent de l'Union  européenne, Lignes de repères, 2012.
Pour en savoir plus, en particulier découvrir les infographies qui donnent en un clin d'œil, lire la lettre numéro 569 de la Fondation Robert Schuman

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