dimanche 16 mars 2014

Autorité : l'entreprise va devoir s'adapter au partage du leadership

Par Denis Cristol, expert en formation, avec la revue "Personnel" | 11/03/2014

Fin du contrat moral entre le salarié et l'employeur, prise de parole accrue grâce aux réseaux sociaux... Les pratiques traditionnelles de l’autorité en entreprise sont mises à mal et le leadership est en train de se partager. Explications du phénomène.




La parole libérée grâce à internet

Tout d’abord chacun apprend à se saisir des possibilités d’internet. En passant de la logique des portails à celle de la connexion entre pairs, internet vitalise les relations horizontales. Il offre une tribune à toutes les idées, et permet d’accéder directement à des personnes et des informations. Il vient tempérer la parole exclusive issue de l’entreprise et parfois même la contredit. Il est possible de disposer de canaux d’informations plus performants sur sa propre entreprise que les journaux internes. Il est possible de mieux évaluer les positions de la ligne managériale, via les bribes d’informations qui circulent sur les canaux sociaux. Internet ouvre à plus de transparence, incite chacun à analyser plus précisément les événements et in fine rend plus critique.

Plus de négociations avec l'employeur


Denis Cristol, CNFPT
Denis Cristol, directeur de l'ingénierie et des dispositifs de formation du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT).


80 % des occidentaux vivent dans des villes. L’urbanisation est un phénomène de maillage physique et de rapprochement des lieux de vie, de travail, de loisir, des centres de décision, des lieux de savoir et de consommation. En concentrant sur des zones ramassées des services, des emplois, des pôles de décisions, l’urbanisation accélère la formation d’idées, de projets, de perspectives et d’opportunités. Les grandes métropoles connaissent de plus grandes mobilités sociales, professionnelles, géographiques. Avec une urbanisation croissante, les asymétries sont moins grandes, les possibilités de négociation sont plus élevées pour un collaborateur vis-à-vis de son employeur.

Participer aux décisions

Avec plus de 60 % d’une classe d’âge accédant à l’enseignement supérieur dans le monde occidental, il est observable que des salariés plus qualifiés apportent plus d’idées à leurs entreprises, mais exigent aussi plus en retour. Ces salariés qualifiés souhaitent exploiter leurs compétences et participer aux décisions qui les concernent. Ils sont d’autant plus enclins à le faire que les valeurs portant sur l’épanouissement au travail se développent. Les managers autocratiques ou maladroits dans l’art de faire collaborer des équipes se trouvent alors devenir un problème.

Exigence accrue des salariés


« Pour les entreprises, un des moyens de sortir de l'impasse est de faire moins de discours sur les grandes causes et les bonnes intentions et de partager les responsabilités, les risques et les gains. »
  • Denis Cristol
A voir la montée des contentieux individuels et collectifs, les inégalités sont rejetées. Les managers sont sommés d’équilibrer les décisions. Mais, lorsque les inégalités croissent, la confiance diminue et les projets en souffrent. Il n’est guère possible d’accélérer les adaptations nécessaires si un sentiment de déséquilibre des charges et des gains est ressenti. Pour les entreprises, un des moyens de sortir de l’impasse est de faire moins de discours sur les grandes causes et la litanie des bonnes intentions et de partager les responsabilités, les risques et les gains.
Le contrat moral entre l’employeur et le collaborateur est mis à mal. L’offre d’un temps de travail et d’une obéissance contre le maintien de son emploi est rompue. Les crises énergétiques, démographiques, économiques, sociales, morales successives ne sont plus des crises mais un déséquilibre continu. Elles ont affaibli le contrat tacite initial qui s’est transformé en donnant-donnant voire même en prenant-prenant. Si l’on observe la montée du contentieux individuel, le manager se trouve en perte de repère et doit là aussi composer sous peine d’attrition rapide des collectifs de travail au sein desquels se niche une part de la valeur ajoutée. Le management autocratique fait courir des risques à cette source de valeur ajoutée.

La difficile position du manager


Les zéta-octets qui inondent la toile sont manipulés par des travailleurs qui apportent une valeur ajoutée singulière (86 % des cadres et 26 % des ouvriers travaillent avec un micro-ordinateur) difficilement capitalisable collectivement. Le knowledge management a du mal à capter des savoirs vivants. Ces travailleurs dont le nombre croît avec le déploiement des économies tertiaires (expansion des services) et quaternaires (mobilisation de plus de connaissances), sont capables d’agir dans la complexité et de se coordonner avec des flux d’activités complexes sans instructions précises de leurs hiérarchies. Ils se désengagent s’ils ne perçoivent pas de perspectives. Les managers ne peuvent contrôler que le temps et des résultats visibles et ne savent entrer dans le processus intellectuel qui préside à nombre de tâches à dimension collaborative, humaine, créative et pour ainsi dire invisible. Toute la difficulté est d’adapter un management qui facilite la coopération de ces salariés, à leurs besoins de reconnaissances particuliers.
Un des phénomènes les plus déstabilisants pour le management réside dans la financiarisation de l’économie. Celle-ci conduit les actionnaires à s’attacher la fidélité d’équipes dirigeantes pour atteindre des objectifs de profit. Ces groupes de cadres restreints et choyés assurent les fonctions managériales d’orientation et laissent à leurs équipes de cadres intermédiaires la tâche de surveiller la réalisation de l’activité selon des procédures précisément établies. Ce faisant, la ligne managériale est doublement coupée en deux. D’une part, il y a une désolidarisation économique entre ceux qui bénéficient des bonus et les autres. D’autre part, la fonction sociale de management diverge dans sa finalité et ses temporalités. Les temps financiers auxquels s’attachent les dirigeants sont plus courts que les temps des hommes qui doivent sans cesse s’adapter.

Développement des solidarités



Il est encore possible de croire qu’un approfondissement démocratique a lieu. Celui-ci nicherait dans un réseau associatif dense que ne sait plus capter le pouvoir politique obnubilé par sa propre perpétuation. Il autoriserait la formation d’opinions, de débats et de dialogues féconds. Le côté positif des scandales est que s’ils sont connus, c’est que les contre-pouvoirs ont produit leurs effets. Malgré de nombreuses crises, le modèle européen continue de fonctionner et des solidarités s’exercent. Mais, alors que les idées trouvent des terrains d’expression hors des entreprises, pourquoi faudrait-il taire l’habitude prise de s’exprimer à l’intérieur ? Ces solidarités sont aussi perceptibles dans le « monde du co ». Le coopératif, le collectif, le collaboratif, constituent un nouveau monde en partage. Ce nouveau continent de la solidarité gagnerait les esprits imperceptiblement, par des actes anodins mais qui, additionnés, commencent à transformer la façon dont s’établissent les liens sociaux. Il est à ce titre possible de citer le co-voiturage, le partage de biens, l’échange d’appartements pour les vacances, le partage d’heures de bricolage en proximité. Peut-être que ces solidarités sont forcées par une crise économique. Quels que soient les motifs, de nouvelles habitudes s’installent aidées en cela par les moyens technologiques qui permettent de se géo-localiser. Ces comportements sont porteurs de plus d’empathie. Cette empathie s’adresse à nos congénères mais également à notre environnement dont on voit bien qu’il a absorbé plus de débords de l’activité humaine qu’il ne pouvait.


Les phénomènes énoncés annoncent autre chose que des pratiques de management qui se limitent à gérer, à donner des ordres, à distribuer des signes de reconnaissance et stimuler les équipes en « leur donnant du sens ». Le changement est si profond que les sociologues évoquent la métamorphose de l’intérieur du corps social et plus seulement le changement piloté d’en haut. Les anciens dirigeants campés sur leurs repères sont comme les généraux français de 39-45 qui abordaient la guerre avec les idées de 14-18. La perspective qu’ils peuvent embrasser aujourd’hui est celle du leadership partagé introduisant à l’intérieur de l’entreprise un terrain d’expression qui a été pris à l’extérieur. Cette perspective est particulièrement pertinente pour les cadres et les travailleurs qualifiés. Dans un pays qui a simultanément le culte et la détestation des élites, le leadership partagé reste à inventer. Il permettrait sûrement de rebâtir un socle de confiance sur un pacte plus démocratique. Il permettrait de faire pénétrer plus de pouvoir d’innover. 


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