dimanche 30 mars 2014

La pathologie du secret

LE MONDE | | Par

Un an après l'affaire Cahuzac, vingt ans après l'affaire Urba sur le financement du PS, tout se passe comme si rien n'avait changé. Les faits de corruption à droite révélés ces derniers jours s'ajoutent à de nombreux dossiers en cours. Ils n'ont de particulier que leur soudaine accumulation. Au-delà de l'arrogance, de l'hypocrisie ou du déni, des constantes peuvent être observées : l'insuffisance des règles sur le financement de la vie politique, le culte du secret, les attaques contre les magistrats.

Pour remédier à ces dérives, des lois ont été adoptées de 1988 à 2013. Pourtant, les échappatoires à cette législation restent nombreuses. Il suffit pour s'en convaincre de lire les rapports de la Commission des comptes de campagne et du financement de la vie politique. Le nombre de partis enregistrés est à lui seul un indicateur d'alerte : ils étaient 402 au 30 juin 2013.
Autre constante : la pathologie du secret. Comme si le scandale n'était pas dans les infractions elles-mêmes, mais dans leur dévoilement. Des avocats s'indignent contre des intrusions de la justice dans leurs cabinets. Pourtant, la violation des règles de procédure relève des juridictions d'appel et de cassation, et les fautes déontologiques, des magistrats du Conseil supérieur de la magistrature. Les avocats n'ont pas besoin de se constituer en lobby pour convaincre de l'importance du secret des correspondances avec leurs clients. A trop en faire, ils risquent le discrédit, si les atteintes portées à ce secret, qui n'est pas absolu, sont justifiées.
Les affaires révèlent un secret de la défense nationale bien gardé, qui autorise nombre d'abus. La France est un des seuls pays de l'UE où un ministre décide discrétionnairement ce qui doit rester secret et ce qui peut être divulgué à la justice. La France est aussi le seul pays où le ministre du budget décide de la fraude fiscale qui sera poursuivie en justice. Le procureur financier est dépendant en ce domaine. Cela entachera de soupçon le traitement du volet fiscal de ses dossiers.
Le secret des paradis fiscaux et judiciaires facilite la corruption. Mais la société Bygmalion n'a pas le monopole des montages financiers alambiqués et de l'usage de places financières opaques. Chaque année, 60 à 80 milliards échappent à l'impôt en France pour être placés dans ces territoires. Les leçons du rapport parlementaire de MM. Boquet et Dupont-Aignan comme des études de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l'érosion fiscale tardent à être tirées. Enfin, les attaques contre la justice sont récurrentes. Un ministre a qualifié une perquisition dans l'affaire Urba de « cambriolage judiciaire ». Un ancien conseiller de M. Sarkozy a estimé que le juge qui avait mis en examen l'ancien président avait « déshonoré la justice ». Le soupçon d'instrumentalisation partisane est fréquent dans ce type de dossiers.

DES CITADELLES D'IMPUNITÉ
Certes, la ministre de la justice n'entrave plus les enquêtes, ayant mis fin aux pratiques d'intervention de ces dix dernières années. Cela peut expliquer en partie l'accumulation d'affaires. Une certaine oligarchie avait profité de l'affaiblissement de la justice pour construire des citadelles d'impunité, aujourd'hui attaquées. Des juges d'instruction et des procureurs sont mis en cause. Mais l'enlisement de la réforme constitutionnelle, qui devait améliorer le statut du parquet, n'honore pas la classe politique. Sans garantie en matière de nomination et de discipline des procureurs, le soupçon persistera. Dans les dossiers sensibles, le ministère de la justice demande toujours aux parquets des informations diligentes. L'opposition peut s'interroger sur l'usage qui en est fait.
La crise rend plus obscène l'esprit de corruption. En Espagne, en Italie, en Grèce, l'exaspération face au délitement de la probité publique a été à l'origine de manifestations. Il ne faut pas sous-estimer la part de cette exaspération dans les événements d'Ukraine. L'Eurobaromètre sur la corruption, paru en février, révèle une société de défiance : 51 % des Français pensent que la corruption a augmenté ces trois dernières années, 68 % qu'elle est répandue dans le pays, 70 % que les partis sont corrompus.
Une nouvelle donne s'impose pour que le citoyen se sente à nouveau représenté par ceux qu'il élit. Dans une Ve République crépusculaire, la démocratie et la justice du XXIe siècle restent à construire. La Déclaration des droits de l'homme de 1789 affirme que « l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Les droits qu'elle proclame sont autant de remèdes aux pathologies de la démocratie : égalité devant la loi et devant l'impôt, séparation des pouvoirs, droit de demander compte de leur administration aux agents publics. A nous, citoyens, de revenir à ces fondamentaux pour combler le gouffre entre les principes et leur application.
Eric Alt (Vice-président d'Anticor, association de lutte contre la corruption )

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