dimanche 18 mai 2014

Management: comment se servir des neurosciences quand vous êtes dos au mur

Challenges.fr

Les récentes recherches soulignent que le cerveau transforme de manière étonnante notre perception de la réalité. Un atout potentiel dans le cadre professionnel.

L'intelligence humaine peut être multiple. (AP/Sipa) L'intelligence humaine peut être multiple. (AP/Sipa)
Comme un réalisateur hollywoodien talentueux le fait subtilement pour nous faire vivre pleinement l’histoire qu’il nous raconte, nous pouvons prendre conscience puis modifier volontairement ce que nous voyons, entendons et ressentons pour atteindre plus efficacement nos objectifs.
La réalité est perçue et vécue de manière subjective et très personnelle. Les découvertes en psychologie et neurosciences nous amènent à parler de "réalités" au pluriel : certaines situations altèrent notre représentation interne (perception de la réalité externe), tout autant que cette dernière impacte les actions que nous menons dans le monde environnant
Des illusions sensorielles sont créées par le cerveau en fonction de paramètres tels que l’effort, la faim, le plaisir ou la réussite, réels ou anticipés. Les altérations visuelles ont été plus particulièrement étudiées par les chercheurs, et observées pour certaines dès l’activité des neurones du cortex visuel primaire censés être des collecteurs objectifs de la réalité :
1. La taille :
Certaines ondes cérébrales, qui reflètent l’intensité du traitement émotionnel par le cerveau, sont renforcées lorsque les mots sont écrits en GROS CARACTERES … seulement 0,3 secondes après stimulus ! La faim quant à elle modifie le regard des personnes qui sont au régime : tous les participants ont tendance à surestimer la taille de mets délicieux, mais seuls ceux qui arrivent à mincir de manière durable subissent la même illusion d’optique à propos de leurs plats diététiques.
Dans le domaine sportif, le célèbre joueur de tennis John McEnroe témoignait après sa victoire à Wimbledon en 1984 que la balle lui apparaissait « aussi grosse qu’un ballon de basket-ball », le champion de baseball Mickey Mantle voyait la balle – objectivement de la taille d’une petite pomme – « comme un pamplemousse » lorsqu’il était performant, et les golfeurs qui réussissent leurs parcours voient les trous plus larges qu’ils ne sont en réalité. Les psychologues ont confirmé l’efficacité de cette illusion auprès de 47 sportifs de haut niveau.
2. La distance :
La façon dont nous nous sentons « proches » ou non de quelqu’un fait intervenir les mêmes zones cérébrales (localisées dans le cortex pariétal) que l’évaluation de la distance géographique entre un objet et nous.
3. La largeur du champ visuel :
Lorsque nous sommes dans un état émotionnel positif, notre vision accède à une portion plus large de l’environnement, comme si l’horizon s’élargissait.

Les autres sens ne sont pas en reste, et ils sont parfois même combinés, ce que les psychologues appellent « renforcement multimodal ». Par exemple, un point lumineux qui échappe à la vision lorsque son intensité est trop faible, redevient visible si l’on fait retentir au même instant un bruit concomitant. Les sensations de chaleur corporelle sont quant à elles corrélées à l’impression de réconfort social et améliorent les relations humaines : le cerveau ne fait pas toujours la différence entre chaleur physique et psychologique.
Les scientifiques continuent d’explorer les illusions perceptives pour comprendre comment notre cerveau combine et modifie différents aspects de l’information sensorielle, et son impact sur notre performance dans un environnement bombardé de stimuli.

Comment piloter votre cerveau ?

Notre cerveau code les informations sur la base de nos sens – vision, audition, toucher, goût et odorat – pour créer une représentation interne de notre réalité externe. Chaque sens a des caractéristiques propres appelées sub-modalités qui sont consciemment actionnables telle une modification de notre téléviseur intérieur par une télécommande :
  • une image peut être plus ou moins large, en couleur ou noir et blanc, lumineuse ou sombre, proche ou éloignée, située à gauche ou à droite...
  • une sensation peut être localisée dans notre ventre ou notre dos, être chaude ou froide...
  • un flot de paroles à un volume, une intonation, un rythme...

Ces sub-modalités structurent notre expérience subjective interne – je me sens bien, mal à l’aise, performant – et notre langage avec des représentations visuelles (« ses explications restent obscures / éclairantes pour moi »), auditives (« sa réponse ne sonnait pas juste / résonne en moi »), kinesthésiques (désigne les perceptions du toucher, du goût et de l’odorat ainsi que les sensations internes et les émotions ; « je me sens proche de cette personne », «elle a un visage d’une froideur ! »).
En faisant varier une à plusieurs composantes par un entraînement approprié et régulier, l’intensité et/ou la signification d’une expérience en sont modifiées, de même que les sensations éprouvées au cinéma en étant au milieu du premier rang ou au fond de la salle sur la gauche seront différentes ... en regardant pourtant le même film.
Légende : Durant tout son film Limitless et dès la 1ère minute de la bande annonce, le réalisateur Neil Burger a joué efficacement sur les sub-modalités visuelles (largeur du champ, luminosité, saturation des couleurs…) pour faire vivre au spectateur le changement entre l’état dépressif du personnage (joué à merveille par Bradley Cooper) et sa transformation vers sa « zone d’exception ».

Comment faire lorsque l’on est dos au mur et face à son projet ?

Imaginez - ou rappelez vous - un projet clé face auquel vous perdez tous vos moyens à l’approche d’une échéance majeure. Vous prenez alors conscience que vous vous représentez le rendez-vous imminent devant le comité de pilotage sous la forme d’une image collée à votre visage, lumineuse et face à vous, comme un réalisateur de cinéma caméra à l’épaule ; votre petite voix interne vous répète en boucle « tu vas y arriver, tu dois y arriver ! » alors qu’une sensation froide dans le bas de votre dos vous déséquilibre vers l’arrière.
Comme un sportif de haut niveau ou un pilote de chasse avec son entraîneur / préparateur mental, vous pouvez désormais « prendre de la distance » grâce à une pratique associant intensité, feed-backs et de nombreuses répétitions (similaires à un tournage) en :
– positionnant la même image à un autre endroit de votre champ visuel (droite, gauche, haut, bas) et à une distance plus éloignée de vous, avec pour conséquence possible un rendu plus sombre et contrasté
– abaissant le volume et rendant plus lente votre voix intérieure
- reculant physiquement d’un pas pour prendre psychologiquement de la distance tout en notant l’éventuel changement de température de votre sensation initiale dans le bas du dos et plus généralement en prenant conscience des modifications de votre état interne.

Penser à ce projet appelle désormais une nouvelle manière de le voir et de le vivre qui vous permettra de communiquer votre enthousiasme et de gagner l’adhésion du comité. Il y a même de fortes chances que votre cerveau ait généralisé cet apprentissage et code les informations avec plus d’efficacité pour « penser avec recul » à l’ensemble de vos projets importants. L’entrainement approprié est la clé du succès le jour J, dans le stade, dans un cockpit ou en salle de réunion.

Grégory Le Roy,  pour Challenges.fr


Grégory Le Roy est consultant, spécialisé dans la découverte et le développement des pratiques d’exception (www.GR3G.org  pour ses articles/interviews & www.2080.pro  )

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