vendredi 9 janvier 2015

«Nous sommes l’unique bouclier humaniste face à la barbarie»


Kurdistan
Entretien réalisé par 
Stéphane Aubouard
Lundi, 6 Octobre, 2014
L'Humanité
Gharib Hassou est le représentant du PYD syrien au Kurdistan irakien, la principale force de résistance kurde de Syrie. Il accuse la Turquie d’appuyer militairement « l’État islamique » (« EI ») et d’acheter du pétrole aux djihadistes, organisés selon lui en véritable « mafia ».
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AFP

Erbil (Kurdistan irakien), envoyé spécial. Pourquoi la prise de Kobané est-elle un enjeu si important pour « l’État islamique » ?
GHARIB HASSOU La situation de la ville de Kobané est stratégique. Si Daesh (« EI ») venait à la prendre, cela séparerait les deux autres cantons kurdes syriens d’Afrin et de Djeziré, ce qui affaiblirait notre résistance tout en élargissant leurs propres frontières. Mais au-delà de l’aspect stratégique, il y a aussi un aspect symbolique, car c’est à Kobané en 2012 que nous avons commencé la révolution. Daesh veut aussi saper le moral des Kurdes syriens en s’emparant de ce symbole fort. Depuis un an, ils ont tenté à dix reprises de prendre la ville et à chaque fois, avec nos seules forces armées, nous avons réussi à les repousser. Le problème, c’est qu’aujourd’hui leur puissance de feu, depuis qu’ils ont pris des chars et des armes lourdes à l’armée irakienne, est bien plus importante. Et puis il y a des forces obscures… des États, qui aident franchement les djihadistes dans leur conquête.
Vous pensez à la Turquie ?
GHARIB HASSOU Ce sont des aides directes, et je parle bien de la Turquie. Joe Biden (le chef de la diplomatie américaine – NDLR) vient d’ailleurs de le confirmer sur le plan financier. Non seulement Ankara a aidé récemment Daesh militairement, mais l’apport financier de la Turquie est très important. Il y a des accords directs avec Daesh, qui fonctionne comme une mafia avec l’argent qu’on lui donne. Cet argent, c’est notamment celui du pétrole que les djihadistes contrôlent tout au long de la frontière et vendent à la Turquie (on parle d’un prix du baril à 40 dollars au lieu du prix actuel de 100 dollars). C’est la Turquie qui aujourd’hui tire les ficelles dans la région, et puis d’un autre côté elle parle de venir rejoindre la coalition…
Mais le Parlement turc vient de voter pour une intervention, sinon militaire, au moins manitaire, pour aider la ville de Kobané…
GHARIB HASSOU Je n’y crois pas une seconde. Cela fait des millénaires que les Turcs combattent les Kurdes donc ils ont choisi qui était leur ennemi. Et ce n’est pas Daesh. En vérité la Turquie ne veut pas d’un État démocratique dans notre région, mais d’un État islamique. Erdogan est un islamiste. Aussi faut-il que les Occidentaux sachent que cette guerre, dans laquelle nous sommes les seuls (YPG, Kurdes syriens, et PKK, Kurdes de Turquie) à combattre sur le terrain, les concerne autant que nous. Nous sommes l’unique bouclier fraternel, humaniste, face à la barbarie. Nous sommes le seul peuple de la région à être organisé démocratiquement. Chez nous, c’est le peuple qui dirige. Dans chacun des trois États, il y a un gouverneur de chaque sexe. Toutes les communautés ont droit de cité. Nous n’avons pas gagné Kobané en coupant des têtes et en ayant violé des femmes ! Je lance donc un appel au monde civilisé, il faut nous venir en aide. Si Kobané tombe, c’est le symbole de la fraternité d’un peuple qui tombe. Et aujourd’hui nous sommes le seul rempart pour éviter la création de l’État islamique. Si nous tombons, cela peut entraîner un effet domino. Car la Syrie entière, la Turquie, et même jusqu’aux confins de l’Europe, la Roumanie, la Bulgarie, pourraient un jour tomber. Et pourtant aujourd’hui le monde entier nous regarde nous faire massacrer sans que personne ne bouge le petit doigt.
Les États-Unis procèdent pourtant à des bombardements près de Kobané…
GHARIB HASSOU Oui, mais nous commençons à douter de l’objectif de ces frappes. Je ne comprends pas comment l’armée la plus puissante du monde, capable de viser un seul homme caché dans le désert, est incapable aujourd’hui de toucher un char de l’EI. Des combattants kurdes ont même été tués la semaine dernière lors d’une frappe américaine ratée. Le but de ces attaques était de faire reculer Daesh, elles ont eu l’effet inverse. Il n’y a d’ailleurs pas le moindre contact entre les combattants kurdes et l’état-major américain. En revanche nos frères kurdes d’Irak tentent de nous aider, notamment en menant des attaques du côté de Sinjar où sont réfugiés les yézidis, ce qui a permis un temps de desserrer l’étau de l’EI à Kobané, obligé d’envoyer quelques renforts en Irak. Mais tout cela ne suffit malheureusement pas. Au lieu de procéder à des frappes qui coûtent très cher, nous préférerions une aide en termes d’armes lourdes. C’est la seule chose dont nous avons besoin pour faire reculer Daesh. Malheureusement il y a des accords entre la Turquie et les Occidentaux qui ne veulent pas forcément que les lignes bougent au Moyen-Orient. Nous payons encore le poids des accords de Lausanne signés par les grandes puissances en 1923 pour diviser notre pays.

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